Il faut choisir, monsieur le Président !
Justice au singulier - philippe.bilger, 14/08/2013
L'antagonisme entre Christiane Taubira et Manuel Valls n'est pas né aujourd'hui.
S'il s'est révélé de manière éclatante avec le courrier adressé par le ministre de l'Intérieur au président de la République pour exposer leurs divergences, il a frappé d'autant plus certains esprits que ces deux personnalités ont tenté longtemps, derrière une solidarité et une cordialité apparentes, de dissimuler le conflit qui les opposait et qui tenait à l'évidence autant à leur être qu'à leur vision de la politique, de la sécurité et de la Justice (Le Monde).
Ce n'est pas le commentaire lénifiant du Premier ministre cherchant à banaliser ce qui ne l'était pas et à minimiser la portée d'une querelle de fond essentielle qui va apaiser l'effervescence. Une polémique qui va bien au-delà des disputes dont le gouvernement de Jean-Marc Ayrault et lui-même ont été accablés au moins durant les premiers mois (France 2). Manuel Valls lui-même aura du mal, par la référence usée au débat nécessaire, à atténuer l'ampleur des désaccords (20 minutes).
Elle manifeste, en effet, qu'une faute grave a été commise initialement dans le choix des ministres et qu'il était absurde, au nom d'une conception intégriste de la parité, de nommer Christiane Taubira garde des Sceaux, avec ce qu'on savait d'elle, son intelligence mais aussi son idéologie même fleurie par les citations des poètes, aux côtés d'un Manuel Valls qui s'obstinait avec succès à enseigner à ses camarades socialistes que le réel existait. Alors que le président de la République, impardonnable, ne pouvait pas se défausser en prétendant ignorer l'homme qu'il fallait à ce poste puisqu'il l'avait sous l'esprit et la fidélité et qu'il s'agissait d'André Vallini.
Dès l'origine, a été ainsi mis en place un dispositif lourd de menaces pour la cohérence gouvernementale et la philosophie pénale avec un ministre épris d'action et un obsédée par le verbe, avec l'un plus soucieux d'innover, de construire et de se projeter, de l'avenir que du passé, et l'autre acharnée à défaire, à théoriser, à donner des leçons, à déplorer. Avec Manuel Valls lassé des comparaisons avec Nicolas Sarkozy et inventant au jour le jour une autre manière d'être ministre de l'Intérieur et Christiane Taubira toute de mansuétude doctrinaire et vindicative, ayant érigé son rôle en gardienne de la parole et en consolatrice du socialisme contraint de perdre, plume après plume, ses illusions.
Valls plonge les socialistes dans la vérité et Taubira continue à leur promettre du rêve. De sorte que le premier a déjà un bilan quand la seconde a pour seul capital un lot de déceptions. Elles tiennent au fait que son verbe peut faire beaucoup mais n'est pas susceptible de créer ni de peser sur la matérialité et que la ministre s'est aliénée la droite et la gauche judiciaires alors que les deux, lors de l'élection de François Hollande, dans un registre différent, espéraient du nouveau pouvoir.
L'étonnant est que ce désappointement n'a pas été suscité par une politique pénale mais par une absence de politique qui apparemment peut séduire un président de la République.
A ce que j'ai cru comprendre, Manuel Valls, en s'adressant au président de la République, a évoqué le problème des peines plancher - qu'il faut absolument conserver alors que sa collègue traîne mais affiche sa volonté de les supprimer - et le projet de loi de la Chancellerie résultant de cette risible Commission de consensus pour prévenir la récidive, qui s'est bien gardée du pluralisme. Etat des prisons, surpopulation, constructions à décider, récidive qui ne naît pas de l'enfermement, angélisme en chambre, exécution des peines laxiste ; autant de questions qui interpellent les bonnes âmes (nouvelobs.com).
Il me semble que j'ai fait preuve de beaucoup d'indulgence à l'égard du ministre de la Justice en lui faisant l'honneur d'un antagonisme entre sa vision et celle du ministre de l'Intérieur. Pour elle, je vois une ligne - un humanisme doctrinaire - sans le moindre effet concret sur la réalité des prisons, des juridictions et de l'exécution des peines et pour Manuel Valls, il est facile de mesurer l'ampleur et l'intensité de ses entreprises. Et c'est parce que Christiane Taubira n'accomplit pas sa mission que Valls déborde en quelque sorte de la sienne.
J'en veux beaucoup au président de la République. Sur le fond, il y a longtemps qu'il a quitté les territoires enchantés de la naïveté. Il sait évidemment que Manuel Valls voit et agit juste, même s'il est certainement agacé par l'omniprésence de celui-ci. Il n'a pas l'ombre d'un doute sur la vacuité ministérielle de Christiane Taubira mais il a été ravi de la voir auréolée par le débat parlementaire sur le mariage pour tous, se réjouit de sa pugnacité face à la droite et la félicite d'avoir réduit ses vacances. Il est clair que le président de la République a soutenu Taubira jusqu'à aujourd'hui pour des motifs extrinsèques à la substance de sa mission ministérielle. Elle lui fait de l'effet même si elle ne fait rien.
Manuel Valls a appréhendé cette complicité intellectuelle et politique avec le président de la République. Il perçoit qu'il y a là un soutien, une approbation qui lui sont acquis non pas par opportunisme ou esprit partisan mais à cause de la similitude de leur point de vue sur la sécurité et la Justice.
Taubira, en sa qualité de ministre à proprement parler, ne lui crée que des ennuis, des incommodités, des équivoques. Elle brouille comme à plaisir le message. A mesurer le nombre de controverses qui l'impliquent, on penserait presque qu'elle a en charge le ministère de la Justice ! Il serait peut-être opportun, elle qui n'en souhaite pas, de lui prouver qu'il y a un patron !
Il faut choisir, monsieur le Président. Deux fers au feu, certes, mais si l'un est opératoire et l'autre médiocre ? Sortez de votre habileté, sachez hiérarchiser, ne confondez pas les joutes sectaires avec une véritable politique, réparez votre erreur initiale, Valls et Taubira étant incompatibles, votre pouvoir risquant d'en pâtir, la société assurée d'en souffrir, l'insatisfaction globale vous alertant, n'attendez pas des années pour remplacer Christiane Taubira. Vous avez, en ces temps difficiles, davantage besoin d'une compétence incontestable que d'un éclat superficiel, d'actes que de mots. Avec le renvoi de Delphine Batho, vous avez déjà mis à mal la parité. Continuez !
Un agresseur, à deux reprises, à une heure d'intervalle, a violé, fait souffrir. Il se trouvait en semi-liberté. L'alternative est simple : une justice qu'on désarme et une démocratie qui se laisse faire ou un humanisme efficace et de sauvegarde ?
Monsieur le président, vous aimez les petits calculs même si c'est au détriment des grandes causes. Mais là, il y a de votre honneur et de votre crédibilité.
Il faut clairement choisir entre Manuel Valls et Christiane Taubira.