Eduquer dans la contrainte ou comment se rassurer à bon compte (584)
Planète Juridique - admin, 24/10/2014
Indéniablement, depuis les années 95, nombreux sont ceux qui estiment que la nouvelle délinquance juvénile appelle à durcir les réponses judiciaires, mais aussi éducatives, apportées aux jeunes « en conflit avec la loi ».
On redécouvre les vertus de la contrainte que l’on va parer d’une dimension éducative. Ici encore il faut, nous dit-on, tourner la page de Mai 68.
On va déjà faciliter le recours à la prison en durcissant les textes et en musclant les procédures. « Juger vite, pour juger fort ! » devient le leit-motiv quitte à concevoir dans tous les sens du terme une prison qui soit réellement éducative. Il faut alors se doter de structures ayant a priori un projet éducatif autre que la simple mise à l’écart. Ce seront les Etablissements pénitentiaires pour mineurs - EPM - de la loi de programmation dite Perben I de septembre 2002.
Il faut admettre que dans les quelques 60 lieux de détention pour mineurs de France on se contentait encore trop souvent de retenir des jeunes sans autre occupation que quelques activités sportives, notamment musculaires. Ajoutons, et ces remarques sont loin d’être négligeables, que l’état du parc pénitentiaire français pour les plus jeunes était d’un doux euphémisme déplorable. On citait souvent l’exemple des ex-prisons de Lyon aujourd’hui désaffectées, mais il y avait bien d’autres lieux sordides. Et, remarque tout aussi essentielle, les plus jeunes étaient souvent mélangés avec des adultes - en tous cas avec des moins de 21 ans - et leur sécurité physique et corporelle n’y était pas assurée. Un comble de la part de l’Etat qui incarcère au nom de considération d’ordre public ! De la prison on disait bien quelle était une école, mais celle du crime.[1] Bref, rénover les prisons pour mineurs de France était une priorité et se doter de nouvelles structures mettant l’accent sur l’éducatif pouvait paraître comme un objectif a minima.
Mais dans cette même loi du 9 septembre 2002, dans la foulée de la campagne électorale où les deux candidats, Jacques Chirac et Lionel Jospin, avait fait preuve de la même verve et de la même veine pour s’attaquer à la délinquance juvénile à travers des lieux de rétention autres que la prison, on va se doter de structures présentées comme fondamentalement éducatives ... dans lesquelles on ne se privera pas d’user de la contention. En sautant le pas et en accentuant le coté «fermé », on va concrétiser l’idée des « centres fermés » qui prolongeront les Unités éducatives à encadrement renforcés (UUER) de Jacques Toubon devenues les Centres de placement immédiat (CPI) d’Elizabeth Guigou et autres Centres éducatifs renforcés (CER). L’idée n’était pas neuve. Certains avaient la nostalgie des maisons de correction d’antan, d’autres qui ne les avaient pas connues y aspiraient. La digue devait sauter dans ce basculement d’un siècle à l’autre. On renouait avec le passé quitte à remplacer les grilles et les clés par l’informatique et les caméras. S’ouvrait l’ère des Centres éducatifs fermés (CEF).
Au risque, dès le premier jour et faute d’avoir approfondi ce que l’on voulait faire durant la campagne électorale en avançant ces pistes, de la confusion entre les EPM et les CEF!
C’est effectivement une démarche digne du célèbre « Jeu des 7 erreurs« que de chercher à distinguer un Centre pénitentiaire pour mineurs d’un Centre éducatif fermé. Au moment où les centres éducatifs se transforment en bunkers avec des grilles, de l’électronique, des caméras, des hauts murs et des bergers allemands, les EPM new look [2] sont définis par le ministre comme des « écoles-prison » avec une forte présence de travailleurs sociaux de la PJJ (une trentaine) , mais surtout une escouade scolaire conséquente[3]. On y rendla scolarité obligatoire même pour les plus de 16 ans. Les CEF se sont caparaçonnés de hauts murs et les EPM tentent de s’alléger des contraintes péniten -tiaires : la sécurité n’est plus une finalité avançait M. Perben.
On est bien dans la confusion car fondamentalement la démarche éducative suppose la liberté. Un jeune, comme tout adulte, peut refuser cette démarche éducative, c’est le rôle du juge et des travailleurs sociaux, sinon de la famille que de le convaincre de la nécessité de s’y engager pour y trouver finalement son compte. Généralement on y parvient si un lien de confiance existe ou se crée. Mais il ne saurait suffire. Le jeune réagira, il pourra fuguer une fois, deux, cinq, dix fois et à chaque fois l’éducateur, comme nous l’avons souvent vu en pratique, viendra le rechercher, quitte à traverser la France, là où aura été découvert : à la rue, au commissariat ou au tribunal, chez ses parents, à l’hôpital pour le reconduire au foyer et reprendre le travail engagé. On assiste alors fréquemment à un dialogue (éducatif) passionnant :
- « Pourquoi tu me lâches pas le coude ?
- « Parce que j’ai reçu l’ordre du juge et que j’obéis. Mais aussi parce que tu m’intéresse !
Généralement, intrigué par cet intérêt positif qu’un adulte lui manifeste, mais aussi avide, sauf à ne jamais l’admettre, le jeune finit souvent par se résoudre à cette prise en charge. De fait, sur la base de cette relation, il y trouvera plus ou moins son compte essentiellement parce qu’il a enfin compris que des adultes s’intéressent à lui et qu’il a en vérité quelques qualités que l’on va essayer de mettre en valeur. Un lien éducatif a été noué.
On doit pouvoir partir librement d’un lieu éducatif même si les responsables sont en droit de tenter d’en dissuader le jeune autrement qu’en l’attachant ou en le plaçant en chambre de contention. Comme à la maison, les enfants demeurent parcequ’ils sont chez eux et que l’autorité parentale les contient. Ils ne sont pas attachés à leur lit et si la porte est fermée de l’intérieur, c’est pour empêcher des intrusions nocturnes indésirables. Par essence, un lieu éducatif moderne, à la différence des maisons de correction et autres Bon Pasteur, est un lieu ouvert. [4]
Si on le quitte, sans autorisation, alors qu’on est sous un contrôle judiciaire obligeant à y séjourner on prend le risque notamment d’une incarcération. On a désobéi à l’injonction du juge qui avait bien prévenu de ce qu’il pouvait faire si jamais on lui manquait. Sans y être contraint, la loi lui permet de saisir le JLD pour qu’il y ait incarcération.
On retiendra qu’un établissement – et d’une manière générale tout lieu – qui se dit éducatif dont on ne peut pas sortir librement du fait de son équipement est une prison quoi qu’il soit inscrit sur le panneau placé au-dessus de la porte d’entrée. Un centre Club Méditerranée d’où on serait interdit de partir librement serait qualifié, à juste titre, de prison, peu importe que l’on ajoute ou pas, de prison dorée ! Et un lieu carcéral dans un pays comme le notre doit répondre à des normes (ex. : être géré par des personnels dépendant de l’Administration pénitentiaire, donc de l’Etat) et des règles (notamment celles de l’écrou qui sont très strictes).
Le Conseil constitutionnel a rappelé cet axiome à la Chancellerie en 2003 et les CEF se gardent bien d’être totalement clos au risque là -encore d’accentuer la confusion entre ce qu’ils affichent – une structure fermée – et ce qu’ils sont réellement !
En revanche la prison, que les magistrats y recourent dans le cadre de la détention provisoire ou de l’exécution d’une peine, ne se négocie pas. Il s’agit d’une injonction. L’incarcération est une obligation imposée par la justice à quelqu’un et un ordre donné aux personnels de surveillance qui garder sous leur main quelqu’un qui présente des risques de disparition ou de récidive ou qui tout simplement mérite d’être puni pour ce qu’il a fait.[5] Bien sûr, la prison se voit donner l’objectif de prévenir de nouveaux passages à l’acte en dissuadant l’intéressé qui doit, du moins l’espère-t-on, ne pas vouloir revivre ce qu’il y supporte.
A la limite, il faudrait donc, en théorie, que le régime pénitentiaire soit très dur pour réellement être dissuasif de la réitération. Mais on a compris de longue date que ce raisonnement touchait ses limites. Le taux de récidive en sortant de prison - 65 % - dans des conditions qui ont amenées les rapporteurs sur la prison française de parler de « la honte de la République » démontre, s’il le fallait, que l’on est loin de l’objectif. On a entendu qu’il fallait tenter de changer la donne si l’on voulait qu’en sortant de prison le détenu - a fortiori le jeune détenu – ne replonge pas dans le même milieu, les mêmes causes produisant les mêmes effets. D’où l’idée d’éducation que l‘on confond très vite avec instruction. Bien entendu le niveau scolaire peut contribuer à changer la donne d’une vie, mais être au clair sur « 1515 Marignan » n’a jamais changé le rapport à soi-même et aux adultes. On peut apprendre techniquement à faire du vélo dans une cellule ou une cour de prison, on n’apprendra pas pour autant les règles de la circulation.
On est dans la confusion des réponses et des structures mobilisées - prison-école ou école-prison -, mais on est aussi dans la facilité en faisant l’économie – quoique l’on dépense beaucoup d’argent si on regarde le prix de journée pour chaque jeune retenu en CEF [6] – des analyses de fond. On se rassure à bon marché : le jeune est mis à l‘écart et pris en mains !
On a retrouvé, pour se rassurer, les schémas de pensée d’antan qui quelque part relève du comportementalisme. Il suffirait d’apprendre, sous la menace, à quelqu’un à ne pas être délinquant pour qu’il ne le soit pas. On se souvient de la caravane des délinquants aux USA ou toujours aux USA des jeunes appelé à faires des séjours d’une journée en prison où ils sont pris en charge par des délinquants chevronnés… S’il sort des clous il faut lui infliger un coup, non pas par de la violence physique, mais par une sanction. A chaque acte, une sanction préconisait le rapport remis par la commission Varinard en 2008 à la ministre de la justice Rachaida Dati qui inspira le projet de code de justice pénale pour les mineurs resté lettre morte, mais qui nourrit les lois de 2011. Fondamentalement la délinquance est analysée comme une attitude volontaire. On est délinquant parce qu’on le veut ! Réciproquement on peut donc rompre avec la délinquance si on le décide. CQFD ! Tout est simple dans la vie.
On retrouve le discours d’Alain Peyrefitte de 1977 dans son rapport sur la violence. Il suffit donc de ne pas vouloir pour ne plus être délinquant
Dans le même temps on a un discours aussi simpliste sur le rôle des parents responsables de la délinquance de leur enfant par manque d’encadrement. Sans distinction ni nuances les parents sont qualifiés de démissionnaires. Il suffit de les menacer de sanctions ou, mieux, de les prendre au portefeuille pour qu’ils exercent leurs responsabilités. D’où les velléités de retrait des allocations familiales, de contribution financière à charge et encore l’idée d’engager la responsabilité pénale des parents du fait du comportement de leur enfant s’il désobéit au juge et aux éducateurs en continuant dans la délinquance et déjà en refusant les mesures éducatives. On en était donc venu à vouloir introduire la responsabilité pénale du fait d’autrui [7] sans réaliser l’incongruité du projet au regard des grands principes de notre pays, mais avec la ferme conviction – quelle erreur d’analyse ! – d’être efficients.
Il ne s’agit pas de nier que tout délinquant, même très jeune, a une part personnelle dans son attitude. Les enfants savent vite quel est le permis et l’interdit, ils ont très tôt - autour de 7-8 ans- le discernement, c'est-à-dire le sens du bien du mal, du permis et de l’interdit. On ne peut donc pas les exonérer de toute responsabilité sur leurs actes. Tout au plus peut-on parler de responsabilité atténuée d’où d’ailleurs découlera une échelle de réponses judicaires graduée. Ce serait même de mauvaise stratégie que nier la responsabilité personnelle des enfants sur leurs actes. Reste qu’ils sont aussi pris dans un maelstrom familial, social, amical avec solidarité et loyauté sans parler des processus d’intégration au sein des pairs du quartier ou de la tour, etc. qui explique, sinon justifie, leur comportement. Par exemple, les agressions sur le chemin de l’école, moins pour le bénéfice matériel espéré que pour montrer aux « potes » qu’on est comme les autres.
Il faut donc prendre en compte l’environnement du jeune. Il faut fondamentalement s’inscrire dans sa ligne de vie dans une séquence délictueuse. Quand il commet un délit visible il en commet bien d‘autres que nous ne voyons pas. C’est à sa personne qu’il faut s’attacher. Telle est l‘essence de la démarche commandée par la loi depuis 1912, mais surtout depuis 1945. Il faut certes lui rappeler les interdits, y compris par-delà un discours moralisant, par la répression – tout en regrettant qu’il faille rappeler la loi au moment de punir -, mais il faut surtout changer le cours de ses conditions de vie, d’où un éloignement, une rupture parfois avec son milieu de vie actuel.
De même l’influence parentale est-elle majeure dans la structuration d’une personnalité et dans sa socialisation. Mais c’est une erreur de ne voir qu’à travers elle. Mieux, il faut avoir la modestie d’admettre que les juges ou les éducateurs ne font que croiser la vie d’un jeune qu’ils suivent.
Son univers est d’abord familial et amical. Il va y revenir même si un temps de rupture plus ou moins long lui est imposé. Il faut donc le préparer à s’y replonger en ayant la capacité de savoir désormais résister à certaines tentations. Il aura muri. On oublie aussi que souvent les parents – de quels parents parle-t-on dans un contexte familial souvent déconstruit ? – sont hors d’état de faire valoir leur autorité » car déjà incapables de gérer leur propre vie.
Ces rappels essentiels effectués, on voit bien les limites, mais aussi l’intérêt d’une démarche de contrainte éducative référée à ces nouvelles structures que sont donc les 100 CER et autres 51 CEF ou les 6 EPM.
En vérité il n’y a pas nécessairement contradiction entre contrainte et éducation. Ce débat n’est pas d’aujourd’hui – on parlait avant de sanction et de d’éducation - que d’opposer l’un et autre quand les deux vont de pair. Il n’y pas de punition qui, sauf perversion ou souci d’exorcisme, ne se veuille pédagogique ; pas plus qu’il n’y a pas de pédagogie qui n’emporte une contrainte, ne fut-ce que celle de respecter les règles de la démarche pédagogique. Dit simplement c’est une fausse opposition que pédagogie et contrainte.
Ce point étant acquis ces nouvelles démarches éducatives sont montées en puissance pour deux raisons.
La première tient à la gravité objective que prend la délinquance juvénile. Ce n’est pas tant son augmentation qui doit inquiéter : elle a somme toute - rapport du sénateur UMP Lecerf de mars 2011 – moins cru que celle des adultes. Elle est même en diminution relative depuis 2000 : 17% du total pour 20,5 en 1999. En revanche on doit se préoccuper qu’elle soit que de plus en plus souvent associée à la violence, physique, verbale ou sexuelle. C’est cette violence qui est insupportable. Dans certains quartiers la délinquance de rue est à 50 % voire à 75 % le fait de moins de 18 ans qui n’hésitent pas à agresser généralement pour s’approprier un bien. On ne se contente pas de voler le sac à main ; on casse la vitre de la voiture stationnée au feu rouge dans laquelle se trouve la conductrice ! On ne se contente pas de voler un scooter ; on l’arrache quand son conducteur le conduit.
Et puis, il y a aussi la distanciation de ces jeunes auteurs par rapport à la loi. Ils se forgent leur loi, celle de la rue et ne craignent pas celle de la République. On dit qu’ils convaincus de l’impunité. Certainement pour certains. Ils sont surtout convaincus et en cela ils sont des « enfants », dangereux tout en étant des enfants, qu’ils sont les meilleurs et qu’on ne les prendra pas. Et qu’en tous cas on n’osera pas à les punir. Comme souvent à la maison l’autorité parentale patine sur eux. D’où l’irréalisme du rapport Varinard qui fondait toute sa stratégie sur la peur des jeunes d’une sanction.
Que faire face à ces jeunes de longue date dans la toute puissance dans la rue comme à la maison ? Certainement pas démissionner, mais dans le même temps savoir faire preuve d’intelligence, s’inscrire dans la durée, s’attaquer aux vrais problèmes et leur donner des perspectives positives quand plus souvent ils ne croient plus en rien, et déjà pas en eux-mêmes. Ils ont même nihilistes ; ils se suicident en marchant. Il suffit pour s’en convaincre de regarder dans quel état est leur enveloppe physique lorsqu’on les a sous la main. Ils ont des dentitions dégradées, des ulcères à l’estomac, des problèmes psychologiques sinon psychiatriques. Ils consomment pour masquer le tout. En fait ils sont dans une grande solitude, renvoyés à gérer les grands interrogations de la vie : qui suis-je ? ou vais-je? ou erre-je ? Le lot des jeunes de leur âge – de moins en moins certes - est rassuré par l’environnement parental et par le cadrage de la filière scolaire. Pas eux. « Tous pourris ! » est leur seul arguent.
L’enjeu premier les concernant est de nouer une relation qu’ils refusent priori et déjà de les avoir sous la main pour créer les conditions de ce dialogue. Force est de constater que, dans tous les sens du terme, ils courent plus vite que la moyenne des éducateurs.
Ajoutons qu’ils sont souvent à la recherche d’un père qui à leur yeux, simplistes, incarne la référence, sinon l’autorité. Fréquemment l’institution va leur offrir une nouvelle fois des références féminines. Du médecin accoucheur en passant par les policiers et les magistrats, des enseignants aux éducateurs, c‘est d‘abord un univers féminin parallèle à celui qu’ils trouvent chez eux qui est proposé à ces jeunes fréquemment sans père. Il ne s’agit pas dans ce propos de condamner la féminisation des professions sociales, richesse évidente en soi, que de s’interroger sur les attentes et les représentations du « client ». Ajoutons dans certains milieux l’image et la représentation des femmes auquel le male ne veut pas obéir.
Dans ce contexte où des jeunes, pour reprendre une image que j’ai souvent utilisée, roulent à 150 à l’heure avec un moteur de 2 cv au risque de péter une durite, il faut déjà, dans tous les sens du terme, les arrêter ou au moins les faire ralentir pour se donner une chance de nouer cette relation. L’incarcération ou la prise en charge par un centre éducatif dont il est difficile de partir peut répondre à cette mission si on sait l’utiliser ont intelligemment.
Ce serait irresponsable de les laisser poursuivre leur équipée sans intervenir et sans se donner les moyens de les freiner.
Osons-le dire : l’incarcération peut s’imposer et doit être utilisée sans faillir : elle a pour objectif d’éviter la réitération dans une affaire encore plus grave avec l’irréparable à la clé. Il serait trop facile de dire ensuite : « C’est sa faute » si comme adultes nous n’avions pas pris nos responsabilités. La détention n’est pas une fin en soi, mais un moyen temporaire au service d’une prise en charge sur la durée. Comme il peut être besoin, pour tout un chacun, de temps en temps d’aller l’hôpital et de passer en salle d’opération. Bien sur elle est risquée. La prison demeure l’école du crime. Au moins elle a le mérite d’envoyer un message clair à l‘intéressé : il est des limites qu’on ne saurait franchir sans susciter des réactions.
Si la mise à l’écart derrière quatre murs pour des raisons d’ordre public ne s’impose pas et si le retour au domicile apparait préoccupant se pose alors la question de l’orientation vers un dispositif éducatif avec les avantages et aussi les inconvénients d’une telle prise en charge : la fugue. Une idée est ici centrale : le foyer, y compris le CEF, n’est pas une alternative à la prison mais au retour à la maison. On l’oublie trop souvent en parlant de placement alternatif à l’incarcération. Et on présente ainsi l’accueil en foyer comme une sanction ! Quelle erreur psychologique !
Le contrôle judiciaire peut jouer le rôle de murs contenants. Il n’est pas sûr qu’il soit causant, visible, évocateur aux yeux du jeune qui se convaincra que les adultes n’oseront pas passer à l’acte en le révoquant. S’il y a violation des obligations il faudra tenir les engagements pris au risque de n’être plus crédible. Et dans le même temps ne pas s’enfermer dans un systématisme. Bref, être un adulte et expliquer la décision prise quelle qu’elle soit en l’inscrivant dans des perspectives.
En tout état de cause ces jeunes ont besoin d’être ramenés au monde réel, à se confronter, au bon sens, du terme aux autres et à eux-mêmes quand jusqu’alors ils étaient dans la dérive et dans un monde artificiel. Cette mutation n’est pas facile. Elle prend du temps. Elle implique un investissement et des efforts. Elle suscitera une rébellion, des crises, des explosions. Elle doit être accompagnée par des adultes. Il faut bien évidemment ouvrir de l’espoir, la difficulté tenant à ce que ces jeunes ne connaissent rien oui pas grand-chose de la vie, n’aspirent à rien sinon à des biens matériel. D’où la difficulté même pour eux d’imaginer un autre univers.
Le temps d’un séjour en centre éducatif fermé peut être utile à cet effet. Cette démarche est tout, sauf du dressage.
Et, tout simplement, ce temps de contrainte à travers la prison ou un centre éducatif doit avoir une fin. Il faut d’ores et déjà prévoir les étapes suivantes.
Murs contenants ou pas, la difficulté de l’exercice reste la même : nouer une relation avec ces jeunes en rébellion contre tout et ne croyant en rien, même pas en eux. Il faut qu’ils trouvent en face d’eux des personnes équilibrées, droites dans leurs bottes qui leur servent de point de repère, mais aussi prêtes à partager du temps et de la vie avec eux, quasiment en symbiose, ne laissant pas d’espace pour la peur de la solitude.
La contrainte ne peut être qu’une technique pour nouer cette relation comme un temps on estimait que la liberté jouait ce rôle quand on travaillait dans un club ou une équipe de prévention.
On en revient alors à l’équation de base. Trouverons-nous à travers notre système de recrutement et de formation des hommes et des femmes capables d’aller vers ces jeunes en souffrance ? Il ne s’agit pas de nier les compétences des professionnels dont nous disposons, mais d’affirmer qu’elles ne suffisent pas si par ailleurs manque le surplus d’humanité que ces jeunes recherchent sans le savoir.
Il faut être présent là où ils souffrent. En prison si cela est nécessaire et ici on condamnera plus que jamais le refus de certains travailleurs sociaux de se rendre en prison ; dans la rue ou dans les caves si besoin est, des jours et à des heures qui ne sont pas systématiquement celle des travailleurs classiques, et pourquoi pas dans les lieux qu’investissent les jeunes, par exemple, l’école, l’hôpital ou le commissariat. [8]
Aujourd’hui les murs rassurent les professionnels. Un temps décrié au profit du milieu ouvert le cadre institutionnel a le vent en poupe car, par ses exigences, il a l’art de contenir tout le monde, les jeunes certes mais aussi les professionnels qui voient ce qu’ils doivent faire. Mais si des murs étaient capables à eux seuls de prendre en charge des personnes en souffrance cela se saurait de plus longtemps.
Les politiques y voient la panacée. Il suffit d’entendre les propos de Rachida Dati parlant des CEF et d’observer que la seule mesure concernant la justice des mineurs inscrite dans le programme du candidat Hollande était le doublement des CEF ! Vision simpliste s’il en était de tous bords.
D’une manière générale, on estime que le travail éducatif ne peut plus se faire dans la contrainte. Dans un passé encore récent la mesure -phare de l’intervention judiciaire était la liberté surveillée prononcée lors de la mise en examen avant le jugement ; elle permettait au final de moduler la peine encourue. Clairement, un jeune était alors jugé sur trois choses : 1) sur ce qu’il avait fait ou pas, 2) sur ce qu’il était à l’époque et 3° sur ce qu’il était devenu depuis. Il avait intérêt à évoluer positivement car c’était bien sur ce seul plan qu’il avait encore prise. L’idéal était d’en arriver à juger un jeune qui un délinquant ne l’était le jour du jugement plus grâce au travail développé depuis. L’enjeu était moins de punir que de protéger efficacement la société.
Aujourd’hui, la mesure-type est le sursis avec mise à l’épreuve prononcé lors du jugement à une peine de prison. Elle offre la possibilité de tirer sur le compte-prison que représente cette condamnation. Le jeune sait quelle est sa peine ; à lui de ne pas l’exécuter en prison, mais en liberté. On est déjà sous la contrainte éducative. S’il le faut en pré-sentenciel on imposera une prise en charge éducative dans le cadre d’un contrôle judiciaire, là encore avec le risque d’être incarcéré si l’on ne suit pas les préconisations éducatives avancées.
On en oublierait que pour l’immensité des jeunes suivis ces difficultés ne vont pas jusque-là. Seuls un dixième ou un vingtième des jeunes d’un cabinet sont dans l’opposition frontale nécessitant de mesures coercitives. Pour la grande majorité un suivi éducatif avec un soutien apporté aux parents pour restaurer leur autorité et une réassurance du jeune dans ses compétences peut suffire.
Reste à se poser la question de savoir pourquoi le travail social et les adultes sont si peu crédibles aux yeux des jeunes qu’il faille fonctionner à la menace et seulement à la menace.
On ne dispose pas aujourd’hui du recul nécessaire pour évaluer l’impact des prises en charges à travers les EPM (150 personnes pour 60 jeunes) ou les CEF (27 personnels pour une dizaine de jeunes). On peut penser qu’au regard des moyens humains et financiers engagés que plus de jeunes que par le passé y trouveront leur compte. Reste qu’on doit aussi s’inquiéter de voir regroupés au même endroit tant de jeunes, voire très jeunes en souffrance qui ont besoin d’une prise en charge individualisée.
En vérité, aujourd’hui comme hier, il faut considérer la structure d’accueil comme un simple instrument technique, bien évidemment, pas indifférent, au service d’une stratégie sur le long terme. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre ces institutions, mais de veiller à ce qu’elles soient claires dans leurs missions, spécialement dans leur démarche éducative. La prison n’est pas un lieu éducatif et réciproquement. En tout cas ne peut pas atteindre le même niveau éducatif. D’où la nécessité d’identifier des objectifs pour l’institution et pour chaque jeune pris en charge.
Le séjour en CEF ou EPM – et tous les détenus ne vont pas en EPM - n’est pas une fin en soi. Saura-t-on créer avec tel jeune la relation humaine qui s’impose ? Saura-t-on se doter des moyens de l’accompagner sur son parcours sachant qu’il ne placera pas sa confiance dans beaucoup d’adultes ?
[1] Alain Peyrefitte, ex ministre de la justice, en 1977, dans son célèbre Rapport sur la violence reprenant une idée développée par les professionnels et le secteur associatif.
[2] On en prévoyait 8. On en a créé finalement 6 depuis 2006 qui chacun accueille 60 jeunes, soit un total de 360 places pour 800 jeunes incarcérés en un instant T. Et le programme prévoit d’en rester là. On dispose aujourd’hui de 44 CEF avec le projet d’en avoir une centaine en 2017 ce qui avait été initialement prévu par M. Perben en 2002.
[3] A Porcheville, (Yvelines) sur 150 personnels, 30 sont issus de la PJJ et 12 de l’Education nationale dont un chef d’établissement
[4] En 2003, le commissaire européen aux Droits de l’homme, espagnol, mais francophone, avocat de formation, revenant de visiter un CEF dit à un ami juge des enfants : « Elles sont belles vos nouvelles prisons pour enfants ! » et le Collègue de lui répondre : « Monsieur , Il ne s’agit pas d’une prison mais d’un centre éducatif ! » Fermez le ban.
[5] On sait que la loi veut que pour les courtes peines - moins de 2 ans d’emprisonnement- ferme si l’exécution provisoire n’est pas ordonnée à l’audience tout soit fait pour mettre en place une alternative à l’incarcération à l’initiative du parquet, mais si celui-ci ordonne l’écrou, l’ordre d’incarcération immédfiate est donné
[6] De 600 à presque 800 euros jour/mineur, soit environ 12 000 euros pour 6 mois
[7] Proposition Ciotti relayant le président Sarkozy. Dans cet esprit on aurait déjà pu envisager de punir le juge et les éducateurs incapables de se faire respecter, le procureur sans autorité, le directeur de la PJJ incapable de dégager les moyens et le ministre responsable de son administration !
[8] Nous commençons à implanter des travailleurs sociaux dans les commissariats.