Actions sur le document

Rixe mortelle sur l’A13, des visages, des figures

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 9/04/2013

Les débats n'avaient pas encore commencé mais la salle disait déjà beaucoup de choses, lundi 8 avril, au premier jour du procès de la rixe mortelle sur l'autoroute A13. En haut, sur la tribune, neuf hommes et femmes composent la … Continuer la lecture

Lire l'article...

Les débats n'avaient pas encore commencé mais la salle disait déjà beaucoup de choses, lundi 8 avril, au premier jour du procès de la rixe mortelle sur l'autoroute A13. En haut, sur la tribune, neuf hommes et femmes composent la cour d'assises des Yvelines. Tous blancs. Les jurés citoyens tirés au sort ont l'allure sage des passants que l'on croise dehors, dans les rues de Versailles. Au banc des parties civiles a pris place une famille nombreuse : l'épouse et veuve, la mère – la tête couverte d'un hidjab – le père, les frères et les cousins de la victime, Mohamed Laidouni. En face d'eux, dans le box, huit jeunes hommes gardent la tête baissée. Tous sont français, sept d'entre eux sont originaires d'Afrique subsaharienne, les parents du huitième viennent du Maghreb.

Pour l'heure, ils ne sont encore qu'un groupe indistinct, lié par un crime d'une absolue violence : le massacre d'un homme qu'ils ne connaissaient pas, en quelques secondes – quarante exactement selon la bande vidéo – sur une aire d'autoroute, à coups de pied dans la tête.

C'était le 27 juin 2010, vers une heure du matin. La famille Laidouni rentrait d'une fête de famille à bord de trois voitures. Celle de Mohamed roule en tête quand elle est heurtée sans gravité par un autre véhicule, une Renault Clio, conduite par une jeune femme accompagnée de deux amis. Toutes les voitures s'arrêtent un peu plus loin sur une aire. La discussion est d'abord calme, un frère Laidouni propose un constat amiable, qui est refusé. Le ton monte, les insultes fusent, la police est alertée par la famille Laidouni. "Vous voulez faire les Français, vous êtes morts", lance l'un des passagers de la Clio, qui appelle ses amis de la cité voisine des Mureaux.

Quelques minutes plus tard, deux voitures s'approchent, une bande d'hommes en descend, Mohamed Laidouni est propulsé à terre, roué de coups de pied par la bande qui prend aussitôt la fuite. Quand les policiers et les pompiers arrivent à leur tour, la victime gît inconsciente dans son sang, il est trop tard pour la sauver.

Lundi 8 et mardi 9 avril, les accusés répondent péniblement à l'interrogatoire de personnalité, mené par le président Pierre Pélissier. Tous, à l'exception des deux accusés qui comparaissent libres, habitaient dans la même rue, allée Georges-Bizet, aux Mureaux. Leurs vies se ressemblent. Un père d'origine mauritanienne ou sénégalaise qui est ou a été cariste, ouvrier à la chaîne chez Renault Flins, éboueur, plongeur dans un restaurant. Une mère au foyer, sauf une qui est femme de ménage. Un toit familial sous lequel vivent les deux épouses du père et les quinze à vingt enfants issus des deux unions. Une scolarité "normale" à l'école primaire, qui dérape au collège. Absentéisme, violences, exclusions, et premières rencontres avec un juge des enfants et un tribunal pour mineurs, quelques mois de détention parfois. Des CAP de mécanique ou de plomberie entamés mais rarement menés à terme, des petits boulots, chauffeur de bus, agent de sécurité ou ouvrier intérimaire à la chaîne comme leur père. Et tout autour, la cité et ses liens indissociables.

Les huit hommes dans le box sont renvoyés pour le meurtre de Mohamed Laidouni. Un autre pour complicité et la seule jeune femme de la bande est poursuivie pour violences volontaires.

A chacun d'entre eux, l'avocate générale ou l'avocat des parties civiles, Me Francis Szpiner, pose la même question :
– Avez-vous des amis ?
– Oui.
– Qui sont-ils ?
– Ceux qui sont là, à côté de moi.
– Ils le sont toujours ?

Les réponses varient. Le plus souvent, un "oui" franc et sans la moindre hésitation. Parfois, un visage qui se durcit soudain et ces mots lâchés ou murmurés : "Avant oui. Aujourd'hui, pas tous."

C'est dans cette nuance-là que, pendant deux semaines de débats, va se jouer le procès. Dans la confrontation de la solidarité et des lois de la cité avec l'examen de la responsabilité individuelle et des très lourdes peines qui vont en découler.

Mercredi 10 avril, les neuf juges, la famille de la victime et les dix accusés regarderont ensemble les images de la bande vidéo enregistrée entre 0 h 48 et 0 h 54 sur l'aire de l'autoroute A13.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...