Abaisser la majorité pénale ? (463)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 7/04/2012
Question majeure dirait-on dans le débat sur la sécurité.
Répondre oui revient à nier qu'il y ait une majorité pénale. Dans ce cas pourquoi devrait-il y avoir une majorité civile et une majorité politique ?les devoirs sont normalement à la hauteur des droits. C'est bien parce que je suis jugé capable de faire que je dois rendre des comptes à la société et réparer les dommages que je cause ! N'est-il pas ? M. et Mme Toutlemonde sont-ils prêts à accepter que leur rejeton puisse quitter la maison à 15 ans et demi parce qu’il en a marre de ses parents, puisse travailler et louer un appartement, puisse suivre un gourou homme ou femme qui lui a tapé dans l’œil, tout simplement puisse voter. On peut douter qu’il existe en France une majorité pour aller dans ce sens.
En vérité la question est au sens scientifique du terme aberrante. Si pour Tintin l’enfance s’écoule de 7 à 77 ans, pour notre droit elle va, depuis 1974 date à laquelle Valery Giscard d’Estaing est intervenu, de la naissance à 18 ans. Imagine-t-on qu’un enfant de 3 ans ait à rendre des comptes pour tapage nocturne quand il refuse de dormir, que le jeune de 9 ans en interrogation sur la sexualité doive être poursuivi pour touche-pipi ou que l’adolescent qui commet des vols pour affirmer sa personnalité soit jugé tel Mesrine ? Non. Donc il doit bien y avoir un seuil sous lequel l’enfant est totalement tenu pour irresponsable pénalement. Soit il ne peut pas être tenu pour coupable, soit au minimum il ne peut pas se voir infligé de peines !
Dans notre droit on estime qu’avant 7-8 ans un enfant n’a pas le discernement qui lui permet de distinguer le bien et le mal. Il n’y a pas de seuil légal préfixe, donc le juge peut abaisser ou élever le curseur selon les cas auquel il est confronté. Certains actuellement en situation de responsabilité - M. Fillon, premier ministre notamment -, dans la foulée du rapport Varinard, voudrait fixer ce seuil à 13 ans. Les moins de 13 ans qui commettraient des faits délictueux ou criminels relèveraient d’une instance municipale. Je laisse méditer sur l’idée d’un maire shérif et juge qui par ailleurs ferait la loi à travers ses arrêtés. On revient à 1788 sinon on va vers une justice à l’américaine !
Si l’on approfondit un peu, il est évident aux gens sensés qu’un jeune personne de 16 ans n’a pas la maturité d’une personne de 25 ou 30 ans pour rester dans des chiffres raisonnables. D’ailleurs la pratique démontre que c’est bien parcequ’il leur manque une case que certains jeunes ont des passages à l’acte auxquels les adultes se refuseraient si jamais ils y avaient songé. Comme celui de partir sur un vol avec une arme à feu ou de pratiquer tel acte violence »fou » comme de brûler la jambe d’un vieillard avec un fer à repasser ! (Histoire vraie et jugée).
Il est faux de dire que les jeunes d’aujourd’hui sont plus matures que les jeunes d’hier ! Des gamins de 16 ou 17 ans ont été des résistants aux nazis ; des jeunes d’aujourd’hui du même âge peuvent avoir plus de maturité que d’autres mais généralement ont les mêmes failles que les jeunes d’hier même si grâce aux hormones ils ont gagné quelques centimètres ou quelques kilos.
Bref, il faut savoir ce qu’on veut : il y a le temps et le monde de l’enfance et ceux des adultes. De par le monde, à quelques exceptions près, une présomption légale a été posée qui fixe ce seuil à 18 ans. Mais notre droit est subtile et réaliste : le tribunal correctionnel ou la cour d’assises peuvent tenir compte du fait qu’un adulte ait un comportement infantile comme on peut prendre en considération qu’un enfant non seulement se comporte mais ait déjà la psyché d’un adulte.
Depuis 2012 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy les gouvernants ont tenté de revenir sur la majorité pénale à 18 ans instituée en 1906. Ils se sont cassés les dents sur deux considérations juridiques et politiques majeures.
1° la Convention internationale sur les droits de l’enfant signé et ratifié parla France, introduite dans notre droit interne avec valeur supra constitutionnelle (art 55 de la Constitution) en 1990, pose pour principe que l’enfance vaut pour toute la période avant 18 ans. La France a fait sienne cette règle. Imagine-t-on la patrie auto-proclamée des droits de l’homme toujours prête à donner des leçons aux autres revenir sur ses engagements dans un domaine aussi sensible. Impossible techniquement et politiquement.
2° le Conseil constitutionnel, composé de furieux gauchistes, a élevé en2002 la loi de 1906 aux rangs de principes fondamentaux de la justice pénale des mineurs! Depuis plus que jamais il est proche de l’actuelle majorité politique qui l’a nommé ; il est donc difficile d’imaginer qu’il change d’avis sur ce point qui, pour autant a payé son écot.
Face à ce double obstacle juridique et politique nos gouvernants ont adopté une stratégie très payante : ils ont maintenu le statut des 16-18 ans au sein de l’enfance mais l’ont vidé grandement de son contenu. La façade demeure, mais l’arrière a été évidé avec la caution du Conseil constitutionnel
1° l’application du dispositif des peines-plancher aux mineurs récidivistes comme aux majeurs
2° le retrait de l’excuse atténuante de minorité aux 16-18 ans a été facilité : il fallait jusqu’ici que le juge relève que le jeune était plus mûr que son âge, aujourd’hui ce sont les faits commis qui justifient le retrait de cette excuse, voire la loi retire l’excuse automatiquement aux jeunes en double récidive quitte au tribunal à la rétablir s’il l’ose. Concrètement cela signifie que désormais très facilement un jeune peut encourir la même peine qu’un majeur pour des faits commis analogues quand jusqu’ici il encourrait une peine de moitié moindre.
3° la création du tribunal correctionnel par la loi du 10 août 2011 nous a rajeuni d’un siècle depuis le 1er janvier 1912 : trois juges pour connaître des 16-18 ans récidivistes dont un seul spécialisé. Dans une loi introduisant les jurés citoyens pour les adultes ont supprime les assesseurs citoyens repérés pour les compétences sur l’enfance pour les plus jeunes ! Bonjour la cohérence ! Le but n’est pas caché : avec deux juges ignorants des questions de la jeunesse on espère des sanctions plus sévères comme celles prononcés pour les adultes.
On le voit la question de l’abaissement de la majorité pénale traduit une ignorance du cadre juridique et politique de la justice des enfants ; elle manifeste une méconnaissance des dispositions récemment votées qui ont fortement avancé le processus de démolition de la justice pénale des enfants.
Notre société en sera-t-elle mieux protégée ? On peut en douter pour deux raisons majeures
1° en ne s’attachant pas aux causes par un travail éducatif on extirpera plus difficilement des jeunes des conditions de vie qui sont les leurs et on ne s’attachera pas à leurs problèmes personnels généralement très lourds. La peur du gendarme est ici inopérante.
2° on ne s’attache toujours pas à la prévention de la primodélinquance qui est la base du sujet.
Bref on se donne bonne conscience en s’agitant sur les plus jeunes !!!
Deux chiffres pour faire réfléchir ceux qui sur ce sujet sont de bonne foi
1° dans 85% des cas un jeune délinquant suivi par un juge et d es éducateurs n’est plus inscrit dans la délinquance à ses 18 ans (rapport du sénateur UMP Lecerf, août 2011). Le même M. Lecerf affirme à juste titre que seuls 5% des jeunes posent problème. Faut-il tout casser pour 5% ?
2° toutes proportions gardées la délinquance des mineurs baisse par rapport à celle des adultes (même rapport Lecerf) et ce depuis 2000 (et non 2002 comme certains l’affirment). Elle correspond à 17% du tout : à quand un programme pour lutter contre la délinquance des adultes qui représente 83% des faits délictueux relevés ?