Le sens des conclusions du rapporteur public devant les juridictions administratives
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, 4/02/2014
Le rapporteur public (le ci-devant « commissaire du gouvernement ») est le membre de la formation d’instruction de la juridiction administrative qui est chargé de présenter oralement, pendant la séance publique, son opinion indépendante, impartiale et en conscience sur les questions que présente à juger le recours et sur la solution qu’il invite la formation de jugement à retenir au regard des faits en cause et des règles de droit applicables. Son exposé invite le juge à statuer dans un sens précis : il prend, dès lors, le nom de « conclusions », bien que le rapporteur public ne soit pas partie à l’instance, par homonymie avec les conclusions par lesquelles chaque partie doit énoncer avec précision ce qu’elle demande.
L’observation enseigne que, dans la quasi-totalité des cas, les conclusions du rapporteur public sont suivies, au point qu’elles préfigurent assez bien ce que sera la décision à intervenir. Restent les situations exceptionnelles où elles ne sont pas suivies. C’est leur probabilité, même infinitésimale, qui anime la partie confrontée à des conclusions contraires lorsqu’elle tente, en lançant ses dernières forces de conviction, de conduire l’opinion de la juridiction dans le sens inverse de ce que lui indique son rapporteur public. Cette partie aura pu entendre le raisonnement suivi par le rapporteur public et elle pourra s’y opposer immédiatement par des observations orales, puis par une note écrite soumise en délibéré. Il lui faut réagir rapidement car, au moment de la séance publique, l’acte de juger n’est pas loin de son acmé et, si la décision n’existe pas encore formellement, sa projection intellectuelle est assez largement accomplie.
Mieux dit, « les conclusions du rapporteur public permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu’en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration tout en disposant de l’opportunité d’y réagir avant que la juridiction ait statué » (CE, section, 21 juin 2013, communauté d’agglomération du pays de Martigues, n° 352427, conclusions Xavier de Lesquen, AJDA 2013-1301, RFDA 2013-805 et chronique Xavier Domino et Aurélie Bretonneau, AJDA 2013-1276).
Pour cette partie, le futur proche négatif dont les contours sont déjà bien dessinés par le rapporteur public, reste pourtant encore en pointillé, en théorie au moins. C’est dans cet interstice d’espoir théorique que s’inscrira sa note en délibéré, même si elle anticipe déjà assez bien l’effet de cellule de dégrisement que produira la décision une fois rendue.
Pour pouvoir se mobiliser efficacement pour tenter d’infléchir le cours de la chronique d’une décision de rejet, d’annulation ou de condamnation, encore faut-il la connaître un peu à l’avance.
Pour cette raison, notamment, les dispositions de l’article R. 711-3 du code de justice administrative, instrument au service de l’égalité des armes et du principe d’impartialité, donnent aux parties la possibilité d’avoir connaissance, avant l’audience, du sens des conclusions du rapporteur public.
Le mode opératoire en a été fixé par l’arrêt de section de 2013 mentionné plus haut, qui organise deux modes de communication : l’un, restreint et obligatoire ; l’autre, élargi et facultatif à la discrétion du rapporteur public. Dans tous les cas, si ce qui a été annoncé doit être modifié, le rapporteur public a l’obligation d’informer les parties du glissement de son opinion.
Par la communication restreinte et obligatoire, les parties doivent pouvoir connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, i[« l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions [des parties] qui revêtent un caractère accessoire ». ]i Elles doivent savoir si le panneau indicateur du rapporteur public pointe vers le rejet des conclusions de la requête, vers l’annulation de l’acte attaqué ou vers la condamnation indemnitaire poursuivie, sans avoir, pour autant, à être informées avant l’audience des indications portant sur la condamnation aux frais irrépétibles, par exemple. Ce noyau dur s’impose à peine d’irrégularité de la décision à intervenir. L’on sait, par exemple, que la communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public quatre heures seulement avant l’audience emporte l’annulation de l’arrêt rendu sur ces conclusions (CE, 23 octobre 2013, société Bernard Leclercq Architecture, n° 362437). . Devant le Conseil d’Etat, le défaut de réponse à la demande de communication du sens des conclusions vicie la régularité de la tenue de l’audience et justifie le recours en révision (CE, 10 juillet 2013, société Stanley International Betting Limited, RFDA 2013-805 précit.).
En plein contentieux, par exemple, le sens des conclusions communiquées devrait donner le détail précis de la condamnation (c’est le dispositif vers lequel le panneau indicateur des conclusions pointe) mais sans rien indiquer ni sur le raisonnement ni sur les moyens retenus ou écartés pour parvenir à un montant inférieur à celui qui est demandé. La cartographie fournie indique les points cardinaux mais ne montre ni les embranchements ni le parcours à une échelle intelligible.
Pour la communication élargie et facultative, « il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, et notamment d’indiquer, lorsqu’il propose le rejet de la requête, s’il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu’il conclut à l’annulation d’une décision, les moyens qu’il propose d’accueillir ». Ces dernières informations, qu’elles soient communiquées ou non (ou qu’elles soient imparfaitement communiquées), sont sans effet sur la régularité de la décision.
La marge discrétionnaire ouverte au rapporteur public est large et peut conduire à des situations différenciées en fonction du degré de précision que les diverses personnalités des rapporteurs publics retienne à l’égard des moyens invoqués par le requérant. Si la requête articule, comme fréquemment, plusieurs moyens dénonçant différentes erreurs de droit, chacun de ces moyens répondant à une logique d’intérêts propre, les parties méritent de savoir avant l’audience celui ou ceux de ces moyens qui ne sont pas retenus par le rapporteur public. Si leur information d’avant l’audience s’en tient à : annulation (erreur de droit), sous la rubrique sens des conclusions et moyens ou causes retenus, il leur faudra attendre la séance publique pour décider de soumettre ou non une note en délibéré. Tout dépend, naturellement, de ce qu’est l’instant le plus opportun pour optimiser l’utilité et l’efficacité d’une note en délibéré. Si, comme le bon sens l’indique, cet instant est d’autant plus opportun qu’il est rapproché de la fin de la séance publique, une information élargie préalable prend tout son sens.
Même si l’on comprend que la communication élargie relève simplement d’une bonne pratique et …. de la bonne volonté comme de la disponibilité matérielle du rapporteur public, il n’est pas illégitime de s’interroger sur les motifs objectifs, s’ils existent, qui pourraient ou devraient gouverner l’appréciation portée par le rapporteur public sur les caractéristiques propres de l’affaire au moment où il choisit son mode de communication vers les parties. Pour quelles raisons objectives décide-t-il de leur en dire plus que l’indication du dispositif qu’il propose (le rejet de la requête est-il proposé pour une question préalable de recevabilité ou pour un motif de fond, quels sont les moyens qui le conduisent à conclure à l’annulation, quel sort faut-il réserver aux conclusions accessoires à forte densité comme les demandes d’injonction ou de modulation dans le temps d’une annulation ?) ?
Il n’est pas interdit de penser, toujours sur le terrain des bonnes pratiques, que lorsque l’une des parties demande spécialement à recevoir une communication élargie, en prenant le soin de justifier sa position par des motifs qui ne sont pas manifestement déraisonnables ou artificiels, le rapporteur public, qui décide de ne pas y donner une suite favorable, pourrait informer la formation de jugement de cette demande et de son refus, en s’en expliquant même sommairement auprès de cette formation.
Il ne s’agit pas ici de chercher à imposer une réponse motivée du rapporteur public à une demande motivée de l’une des parties, que l’on peut trouver plus ou moins normales en fonction de la position que l’on prend par rapport à la barre. Il s’agit, seulement, de permettre à la formation de jugement de connaître les conditions de fait dans lesquelles une note en délibéré lui est soumise.
Il reste certainement une dernière étape à franchir pour que le processus juridictionnel réponde encore mieux aux aspirations des justiciables.
Mieux dit, « les conclusions du rapporteur public permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu’en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration tout en disposant de l’opportunité d’y réagir avant que la juridiction ait statué » (CE, section, 21 juin 2013, communauté d’agglomération du pays de Martigues, n° 352427, conclusions Xavier de Lesquen, AJDA 2013-1301, RFDA 2013-805 et chronique Xavier Domino et Aurélie Bretonneau, AJDA 2013-1276).
Pour cette partie, le futur proche négatif dont les contours sont déjà bien dessinés par le rapporteur public, reste pourtant encore en pointillé, en théorie au moins. C’est dans cet interstice d’espoir théorique que s’inscrira sa note en délibéré, même si elle anticipe déjà assez bien l’effet de cellule de dégrisement que produira la décision une fois rendue.
Pour pouvoir se mobiliser efficacement pour tenter d’infléchir le cours de la chronique d’une décision de rejet, d’annulation ou de condamnation, encore faut-il la connaître un peu à l’avance.
Pour cette raison, notamment, les dispositions de l’article R. 711-3 du code de justice administrative, instrument au service de l’égalité des armes et du principe d’impartialité, donnent aux parties la possibilité d’avoir connaissance, avant l’audience, du sens des conclusions du rapporteur public.
Le mode opératoire en a été fixé par l’arrêt de section de 2013 mentionné plus haut, qui organise deux modes de communication : l’un, restreint et obligatoire ; l’autre, élargi et facultatif à la discrétion du rapporteur public. Dans tous les cas, si ce qui a été annoncé doit être modifié, le rapporteur public a l’obligation d’informer les parties du glissement de son opinion.
Par la communication restreinte et obligatoire, les parties doivent pouvoir connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, i[« l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions [des parties] qui revêtent un caractère accessoire ». ]i Elles doivent savoir si le panneau indicateur du rapporteur public pointe vers le rejet des conclusions de la requête, vers l’annulation de l’acte attaqué ou vers la condamnation indemnitaire poursuivie, sans avoir, pour autant, à être informées avant l’audience des indications portant sur la condamnation aux frais irrépétibles, par exemple. Ce noyau dur s’impose à peine d’irrégularité de la décision à intervenir. L’on sait, par exemple, que la communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public quatre heures seulement avant l’audience emporte l’annulation de l’arrêt rendu sur ces conclusions (CE, 23 octobre 2013, société Bernard Leclercq Architecture, n° 362437). . Devant le Conseil d’Etat, le défaut de réponse à la demande de communication du sens des conclusions vicie la régularité de la tenue de l’audience et justifie le recours en révision (CE, 10 juillet 2013, société Stanley International Betting Limited, RFDA 2013-805 précit.).
En plein contentieux, par exemple, le sens des conclusions communiquées devrait donner le détail précis de la condamnation (c’est le dispositif vers lequel le panneau indicateur des conclusions pointe) mais sans rien indiquer ni sur le raisonnement ni sur les moyens retenus ou écartés pour parvenir à un montant inférieur à celui qui est demandé. La cartographie fournie indique les points cardinaux mais ne montre ni les embranchements ni le parcours à une échelle intelligible.
Pour la communication élargie et facultative, « il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, et notamment d’indiquer, lorsqu’il propose le rejet de la requête, s’il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu’il conclut à l’annulation d’une décision, les moyens qu’il propose d’accueillir ». Ces dernières informations, qu’elles soient communiquées ou non (ou qu’elles soient imparfaitement communiquées), sont sans effet sur la régularité de la décision.
La marge discrétionnaire ouverte au rapporteur public est large et peut conduire à des situations différenciées en fonction du degré de précision que les diverses personnalités des rapporteurs publics retienne à l’égard des moyens invoqués par le requérant. Si la requête articule, comme fréquemment, plusieurs moyens dénonçant différentes erreurs de droit, chacun de ces moyens répondant à une logique d’intérêts propre, les parties méritent de savoir avant l’audience celui ou ceux de ces moyens qui ne sont pas retenus par le rapporteur public. Si leur information d’avant l’audience s’en tient à : annulation (erreur de droit), sous la rubrique sens des conclusions et moyens ou causes retenus, il leur faudra attendre la séance publique pour décider de soumettre ou non une note en délibéré. Tout dépend, naturellement, de ce qu’est l’instant le plus opportun pour optimiser l’utilité et l’efficacité d’une note en délibéré. Si, comme le bon sens l’indique, cet instant est d’autant plus opportun qu’il est rapproché de la fin de la séance publique, une information élargie préalable prend tout son sens.
Même si l’on comprend que la communication élargie relève simplement d’une bonne pratique et …. de la bonne volonté comme de la disponibilité matérielle du rapporteur public, il n’est pas illégitime de s’interroger sur les motifs objectifs, s’ils existent, qui pourraient ou devraient gouverner l’appréciation portée par le rapporteur public sur les caractéristiques propres de l’affaire au moment où il choisit son mode de communication vers les parties. Pour quelles raisons objectives décide-t-il de leur en dire plus que l’indication du dispositif qu’il propose (le rejet de la requête est-il proposé pour une question préalable de recevabilité ou pour un motif de fond, quels sont les moyens qui le conduisent à conclure à l’annulation, quel sort faut-il réserver aux conclusions accessoires à forte densité comme les demandes d’injonction ou de modulation dans le temps d’une annulation ?) ?
Il n’est pas interdit de penser, toujours sur le terrain des bonnes pratiques, que lorsque l’une des parties demande spécialement à recevoir une communication élargie, en prenant le soin de justifier sa position par des motifs qui ne sont pas manifestement déraisonnables ou artificiels, le rapporteur public, qui décide de ne pas y donner une suite favorable, pourrait informer la formation de jugement de cette demande et de son refus, en s’en expliquant même sommairement auprès de cette formation.
Il ne s’agit pas ici de chercher à imposer une réponse motivée du rapporteur public à une demande motivée de l’une des parties, que l’on peut trouver plus ou moins normales en fonction de la position que l’on prend par rapport à la barre. Il s’agit, seulement, de permettre à la formation de jugement de connaître les conditions de fait dans lesquelles une note en délibéré lui est soumise.
Il reste certainement une dernière étape à franchir pour que le processus juridictionnel réponde encore mieux aux aspirations des justiciables.