Copyright Madness du 25 au 31 août : Mauvaise semaine pour le domaine public
:: S.I.Lex :: - calimaq, 2/09/2012
Cette semaine encore, Calimaq m’a prêté les clés du Copyright Madness. Accrochez-vous, la semaine a été rude.
Thomas Fourmeux
Domaine public, mon amour :
Il serait peut-être bon d’expliquer à Youtube ce qu’est le domaine public. En effet, la plateforme de vidéos a retiré une chanson appartenant au domaine public. La victime de ce Copyright Madness a osé poster une vidéo, réalisée par ses petits soins, d’une chanson datant de 144 ans. L’auteur est mort il y a plus de 70 ans. La chanson est donc bel et bien dans le domaine public.
Toutefois, des ayants droits ont réclamé à Youtube de retirer la chanson prétextant qu’elle appartenait à des majors. L’internaute étant dans les sentiers de la légalité, pourquoi Youtube a-t-il retiré cette vidéo ? C’est probablement parce que notre chanteur a monétisé sa vidéo. Les ayants droit n’ont pas du tolérer l’idée que quelqu’un puisse gagner de l’argent grâce à cette chanson. Cependant, il faudrait leur rappeler que quiconque est libre de commercialiser une œuvre du domaine public !
Malheureusement, c’est une anecdote qu’on risque de voir se multiplier de plus en plus.
En effet, Google a récemment annoncé qu’il allait rétrograder les sites faisant l’objet de plainte de la part des ayants droit. Mais le problème repose sur la façon dont la procédure se déroule. C’est un algorithme très puissant qui est chargé de repérer le contenu illicite. Evidemment cela pose quelques problèmes. La technologie employée par Google ne fait pas la différence entre ce qui est sous droit et ce qui est libre de droit. A cet épisode fâcheux, il faut ajouter les attaques régulières contre le domaine public. Les ayants droit tentent régulièrement de prolonger la durée des droits afin de se constituer des rentes quasi éternelles. (Ici et là)
Le domaine public est bien commun, défendons le !
Le procès qui valait un milliard !
Vous l’aurez peut-être remarqué mais depuis quelques années, on ne parle qu’en milliards. Les Etats ont contracté des dettes de plusieurs milliards. Les capitalisations boursières des entreprises du Nasdaq ou du CAC40 s’élèvent à plusieurs centaines de milliards. Les entreprises s’achètent au minimum un milliard de dollars. Eh bien aujourd’hui, même les procès se soldent par des amendes qui atteignent le milliard.
En effet, on a appris l’issue du procès qui opposait les deux fabricants Apple et Samsung. Les deux s’accusent mutuellement de violation de brevet. Le verdict est tombé : Samsung est condamné à verser un milliard de dollars à la marque à la pomme. A charge de revanche.
Mise à part le caractère infantile de cette affaire (« non c’est pas moi, c’est toi »), il est intéressant de voir la place centrale qu’occupe le brevet dans les stratégies commerciales des entreprises et dans la constitution de leurs profits. Des sociétés proches de la banqueroute tentent même de sauver les meubles en vendant leurs brevets.
Désormais, la commercialisation de nouveaux produits (smartphones, tablettes, ordinateurs…) est nécessairement assortie d’accessoires et… de procès. Cependant, il est assez remarquable de voir comment la copie a représenté une source d’innovation pour la firme de Cupertino. L’imitation de ses produits a contraint Apple à innover. La copie constitue véritablement un facteur d’émulation.
« I have a dream »
Une incroyable découverte a été faite récemment. Un enregistrement sonore inédit de Martin Luther King a été retrouvé. Mais puisque nous sommes dans la chronique du Copyright Madness, vous imaginez que cela cache quelque chose. Vous avez raison.
La bande sonore devrait faire l’objet d’une transaction commerciale. Un certain Keya Morgan, spécialiste en artefacts, souhaite vendre la bobine à un musée. Après tout, M.L King est mort en 1968 et la personne qui l’a interviewé est encore en vivante. Par conséquent, l’enregistrement n’est pas libre de droit. Pourquoi se priver d’une petite plus-value ?
En y regardant de plus près, M.L.King fait l’objet de dérives assez incroyables. En effet, vous ne pouvez pas réciter trop de phrases du célèbre discours I have a dream.
Ce discours a été prononcé en public dans un contexte qui a marqué l’histoire politique et sociale des Etats-Unis. Bien que les discours publics puissent s’apparenter à une exception au droit d’auteur, celui de M.L.King n’appartient pas au domaine public. Le discours ayant été diffusé à la TV par CBS, et M.L.King ayant revendiqué son droit en tant qu’auteur, il est donc soumis au droit d’auteur. De ce fait, les héritiers peuvent réclamer une redevance pour la diffusion et la reproduction sonore ou vidéo du discours.
Rendez-vous donc en 2038 dans le domaine public !
La restauration, c’est un métier :
Vous avez peut-être entendu parler de l’Ecce Homo (ici ou là). Mais si, vous savez cette toile peinte par Elias Garcia Martinez au tournant du XIXème et du XXème siècle. Brièvement, il s’agit d’une œuvre du domaine public qui a été restaurée récemment par Cecilia Giménez, une femme aux compétences de restauration douteuses. On vous laisse juger du résultat :
Cet épisode a d’ailleurs donné lieu à un certain nombre de détournements et une page Pinterest a même été créée. Mais ce qui est intéressant dans cette histoire, et c’est ce que pointe le blog PI scope, c’est de savoir si cette restauration porte atteinte au droit d’auteur. Cette affaire constitue un bon cas d’école en matière de propriété intellectuelle. En effet, même si l’œuvre relève désormais du domaine public, elle ne peut s’affranchir du droit moral qui est inaliénable, imprescriptible et perpétuel. Par conséquent, il faut veiller à respecter l’intégrité de l’œuvre. Or, la restauration de notre artiste porte un sacré coup à l’intégrité de l’œuvre. Cela dit ce n’est pas l’auteur, mort depuis 1934, qui s’en plaindra… En partant du principe qu’il y a une distinction entre le support (régi par le droit des biens) et la perception d’une œuvre (régie par le droit d’auteur), Cecilia n’a porté que partiellement atteinte à l’intégrité de l’œuvre. En effet, elle n’a « finalement appliqué qu’une couche de peinture sur une autre. Elle n’a pas porté atteinte à l’œuvre mais à son support matériel ».
Le PI scope va même plus loin en s’interrogeant sur la paternité de la nouvelle œuvre renommée Ecce Mono (Voici le singe). Cecilia Giménez a d’une certaine façon créé une nouvelle œuvre. Dès lors, est-il encore juste d’attribuer cette toile à Elias Garcia Martinez ?
Enfin, la question qui est maintenant sur toutes les lèvres, l’œuvre pourra-t-elle être restaurée ?
Et maintenant, à vous de tester vos talents en restauration d’œuvres d’art !
Le Parrain…mount Pictures :
On poursuit avec un Copyright Madness pour cinéphile (mais aussi bibliophile). Il s’agit d’un conflit entre les héritiers de Mario Puzo, auteur de la série The Godfather, et le studio Paramount Pictures.
La Paramount a acquis les droits du roman Le Parrain en 1969 et s’oppose à la publication d’un nouvel opus de la série qui porterait atteinte à la trilogie. L’entreprise estime avoir une obligation de protéger ses « copyright et les intérêts de [sa] marque ». Autrement dit, ils veulent se protéger… des ayants droit, c’est-à-dire de la famille Puzo. Un procès entre les deux parties a démarré en 2008. Elles étaient ensuite parvenues à un accord à l’amiable l’année suivante. Mais l’affaire s’est envenimée en ce début d’année 2012, les ayants droit exigent 10 millions de dollars et souhaitent mettre un terme au contrat qui les lie à la Paramount.
Dans le Milieu, cela se serait réglé plus rapidement…
”I’m gonna make an offer He can’t refuse”…
Big Brother :
Un pas vient d’être franchi par Apple et Microsoft. La firme de Cupertino vient d’obtenir un brevet déposé en 2008 rendant possible la désactivation à distance de certaines fonctionnalités des téléphones. Comme le rappelle Numerama, Microsoft avait déjà obtenu un brevet du même type en 2008. Curieusement personne ne crie à la violation de brevet.
Autrement dit, les autorités publiques (ou peut-être même des entreprises privées) pourront délibérément nous empêcher d’utiliser nos appareils. Cela constitue un danger pour les libertés individuelles et la copie privée. Imaginez-vous dans un musée, vous souhaitez photographier un tableau avec votre propre appareil ou encore vous faire une Copy Party en bibliothèque ! Eh bien si les brevets d’Apple et de Microsoft sont effectifs, vous risqueriez de voir votre téléphone hors d’état de fonctionner. Pourtant, Code de la Propriété Intellectuelle (CPI, art. L122-5.).
Mais cette affaire aux allures de science-fiction peut représenter également un danger pour les libertés politiques collectives. Cela ne serait pas la première fois que les technologies font l’objet d’une censure . Mais le danger vient du fait que la frontière entre l’Etat et des entreprises privées est ténue. Les pouvoirs régaliens risquent de glisser peu à peu dans les mains d’acteurs privés. Cela a un arrière goût de cyberpunk.
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