« L’instant » Kerviel
Chroniques judiciaires - prdchroniques, 21/06/2012
Ce jeudi 21 juin, on attendait Daniel Bouton et la tribune de presse s'était à nouveau étoffée pour l'occasion. La venue, à la barre des témoins, de l'ancien patron de la Société générale contraint à la démission après l'affaire Kerviel, avait été l'événement du procès de première instance.
Le souvenir vif que l'on a gardé de sa déposition avait amoindri la curiosité et lui-même ne ressentait sans doute pas la même émotion, ni la même tension intérieure à faire revivre une seconde fois ces heures de janvier 2008 où son monde s'est effondré. De son témoignage, on n'a retenu que quelques phrases et d'abord celle-ci: "En tant que président, je suis responsable de tout [ce qui est arrivé]".
Daniel Bouton a balayé du revers de la main l'hypothèse d'un "complot" ourdi par la banque, tel que le laisse entendre la défense de Jérôme Kerviel, selon laquelle les 4,9 milliards de pertes auraient été un "dégazage" de subprimes.
"Quand j'ai entendu que l'on évoquait ici la théorie du complot, les bras m'en sont tombés. Le seul comploteur possible, c'était moi!", a-t-il lancé, avant de rappeler son credo: "Le métier de la banque, depuis 500 ans, est fondé sur la confiance. Crédit, cela signifie confiance. Il n'y a pas pire que de réaliser que celle-ci a été trahie. Quand il y a du faux, du mensonge, rien ne protège".
A la stratégie de défense de Jérôme Kerviel affirmant que toute la hiérarchie de la banque "savait", Daniel Bouton ne voit, dit-il, qu'une explication: "Je crois qu'il ne peut pas s'avouer à lui-même qu'il a fait tout cela pour obtenir des milliers d'euros de bonus supplémentaires".
En réponse à une interpellation de Me David Koubbi qui lui rappelait qu'il avait qualifié son ancien trader de "terroriste", l'ancien PDG de la Société générale a déclaré: "Je regrette l'utilisation de ce mot. Il traduisait ce que je ressentais à l'époque face à l'attaque dont la banque était victime. Mais je rappelle que 50 milliards de positions à risque, c'était létal."
La soirée était déjà bien avancée lorsque la présidente de la cour, Mireille Fillipini a demandé à Jérôme Kerviel s'il avait quelque chose à déclarer avant la clôture des débats. Etait-ce en réaction aux mots durs de Daniel Bouton, le traitant "d'épouvantable dissimulateur" ou à ceux, simples et chaleureux que venait de prononcer Jean-Raymond Lemaire, le chef d'entreprise qui l'a accueilli quelques mois dans sa société après l'affaire? Toujours est-il que, pour la première fois, Jérôme Kerviel a donné l'impression de se lâcher un peu.
"Lorsque le président du tribunal, il y a deux ans, m'a posé cette question: “mais qui êtes-vous, Jérôme Kerviel?”, je n'ai pas répondu parce que je n'avais pas compris. Je sais que cette absence de réponse m'a été défavorable. J'ai été éduqué dans une famille qui a des valeurs, ma mère tenait un salon de coiffure, on m'a inculqué la valeur du travail, pas celle de l'argent. Alors, dire que ma motivation, c'était le bonus, je le prends comme une insulte.
A la Société générale, je suis entré dans un milieu où l'on m'a inoculé des nouveaux codes. J'ai certainement évolué, changé, dans ce milieu. A force de travail, on m'a proposé le trading. Je ne cherchais pas cela. Je n'avais pas de revanche à prendre sur ceux qui ont fait de meilleures écoles que moi. Je suis très fier de l'école que j'ai faite. La banque, c'était ma passion. Mon objectif, c'était de ramener le maximum d'argent pour la banque. Certainement qu'à un moment, j'ai été déconnecté de la réalité. Mais je n'ai pas inventé le système frauduleux, je n'ai fait que mettre en pratique ce qui était admis. J'ai commis des erreurs, mais ce système, c'était celui de la banque".
Plaidoiries des parties civiles lundi 25 et mardi 26 et réquisitoire mercredi 27 juin.