Procès Xynthia: juger ou compatir?
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 18/09/2014
Le président Pascal Almy a ouaté sa voix. "Vous arrivez à verbaliser ce que vous ressentez, Madame?" Face à lui, la dame étouffe un petit "oui" dans le micro et reprend son récit de la nuit du 27 au 28 février 2010, où l'océan a envahi sa maison. L'eau monte, l'eau n'en finit pas de monter, l'eau est montée, il fait froid, il fait mouillé. On est dans le pavillon avec elle en robe de chambre, à l'étage sur le lit conjugal, les mots coulent, les sanglots roulent. "Prenez votre temps", dit le président.
Son mari lui succède à la barre. L'eau monte à nouveau dans le pavillon, il est en sabots, - "je me trimbale toujours en sabots, moi j'ai pas de savates" - il prend le chien, protège sa femme et grimpe sur son bateau, ils font "des pompes contre l'hypothermie". Le président, de la même voix ouatée: "ce qui ressort de votre déposition, Monsieur, c'est que vous avez fait preuve d'un sang-froid admirable".
Un solide marin fait maintenant face au tribunal. Un autre pavillon, l'eau monte encore - "j'ai soulevé d'un coup le lave-linge avec du linge mouillé dedans, on venait de l'acheter, je voulais le sauver, bon, on l'a pas sauvé" - il raconte le silence et la peur dans la nuit. Quand il termine son récit, le président lui dit: "Vous avez eu beaucoup de courage, Monsieur".
Une femme, un quatrième pavillon: "J'ai eu deux fléaux dans ma vie, une enfance maltraitée et Xynthia". Le président: "Avez-vous été prise en charge par une cellule psychologique ? " Elle répond que non. "Il serait très utile que vous alliez consulter quelqu'un. Je vous le dis de façon très solennelle, Madame, faites-le".
Il faut, dit-on, "libérer la parole" des victimes et chacun s'y emploie. C'est à elles que les médias ont consacré leurs "avant-sujets" comme on dit dans le jargon. Le procès n'était pas encore ouvert que l'on était déjà saturé de "la douleur des victimes".
La justice a pris la suite. Dans le calendrier du procès Xynthia, une semaine a été réservée aux dépositions des parties civiles. Quelle que soit l'ampleur du drame qu'elles ont vécu dans la nuit du samedi 27 au dimanche 28 février - familles endeuillées ou pertes matérielles - chacune d'entre elles a droit à son temps de parole et a été encouragée à en user. Mais à trop vouloir libérer, on prend le risque de tout mélanger, l'essentiel et l'accessoire, la perte d'un proche et les déboires électro-ménagers, et de transformer le tribunal en annexe d'une émission de confidences télévisées.
Le malaise serait moins grand si l'on n'avait assisté, les jours précédents, à des interrogatoires-réquisitoire du principal prévenu, René Marratier, par le président du tribunal. Ton cassant, interruptions brutales, commentaires parfois désobligeants accompagnent les réponses maladroites de l'ancien maire. "Je ne comprends pas vos certitudes". "Le problème, c'est que vous assénez les choses d'une manière péremptoire", "Comment avez-vous pu faire preuve d'un autisme aussi absolu? "
Ce ne sont pour l'heure que quelques fâcheuses impressions au quatrième jour d'une audience prévue pour durer cinq semaines. De ce procès, on attend qu'il explique comment et pourquoi un tel drame a pu se produire. Qu'il examine et établisse les responsabilités de chacun. Juger n'est pas seulement compatir.