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Pas déjà !

Justice au singulier - philippe.bilger, 9/08/2012

Pas déjà, pas encore, plus jamais.

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On le devine tapant du pied dans ses locaux somptueux d'ancien président de la République.
Sa cure de silence n'a pas duré longtemps.
Trop vaniteux pour demeurer dans l'ombre, trop actif pour ne pas s'ennuyer dans cette réserve qui ne sied pas à son tempérament, persuadé qu'il est plus que jamais nécessaire à la France et au monde, il finit par oublier sans doute que le peuple n'a plus voulu de lui. Que sa défaite ait été moins cinglante que prévu ne change rien à l'affaire.
Il y a quelque chose de changé depuis le mois de mai dans notre démocratie. Les difficultés considérables que connaît notre pays sont incontestables et elles risquent de s'accroître si on suit les pronostics pessimistes des spécialistes éclairés. il n'empêche - et ce n'est pas rien - que l'air républicain est de meilleure qualité et que pour ma part, me regardant dans une glace chaque matin, je ne suis pas obligé de me dire catastrophé : "Mais quel président de la République ai-je contribué à élire !".
Il fallait que Nicolas Sarkozy manifestât sa présence. Entre ses vacances canadiennes, marocaines et méridionales et le silence, il lui convenait de s'immiscer et de crier haut et fort que François Hollande n'était pas à la hauteur et que lui, à sa manière, l'était. Il est comique de l'entendre implicitement railler le repos pris par son successeur quand lui-même, durant son quinquennat, ne cessait de nous asséner qu'il ne travaillait jamais plus pour la France que dans ses périodes (nombreuses) de détente. Que Nadine Morano ait éprouvé le besoin de poursuivre sur ce registre ridicule montre bien ce que vaut la polémique qui n'est pas davantage transcendée par la réaction excitée de BHL!
Pourtant, la signature et la diffusion d'un communiqué conjoint avec le président du Conseil national syrien méritent moins de dérision que de révolte. Cette démarche signifie beaucoup sur Nicolas Sarkozy et sur les fourmis qu'il a dans la tête. Au risque de porter atteinte à la stratégie française à l'égard de l'horrible et inextricable tragédie syrienne. Le communiqué est à la fois creux, cousu de fil rouge et déplacé.
A partir du moment où Nicolas Sarkozy a décidé de siéger au Conseil constitutionnel, il est assujetti à un devoir de réserve qui ne se rapporte pas qu'à la vie nationale strictement entendue.
Ce document, à l'évidence, a été concocté pour favoriser l'immodestie de l'un des corédacteurs avec le rapprochement incongru opéré "avec les grandes similitudes avec la crise libyenne" (Le Parisien, Le Monde, nouvelobs.com, Marianne 2).
Si l'intervention en Libye dans son principe était nécessaire, elle a - en dépassant les limites du mandat international assigné, notamment avec la mort honteuse de Kadhafi -, entraîné pour la Syrie le blocage russe et chinois. A quoi rime cette audace française tant vantée, qui en définitive a des conséquences infiniment préjudiciables pour tous les autres conflits ? et celui ravageant la Syrie, avec pour principal responsable le meurtrier Assad, est le plus emblématique dans l'horreur.
Comment ne pas voir aussi, dans la démarche mal avisée de Nicolas Sarkozy, la continuation d'une volonté d'effacer les traces et de supprimer les remords ? Il avait rendu dans tous les sens du terme les honneurs à Kadhafi et à Assad. Le premier a été liquidé et le second se verra d'autant plus menacé d'une intervention militaire, pour l'instant inconcevable, que Nicolas Sarkozy a beaucoup à se faire pardonner, et à se pardonner à lui-même. La comparaison avec les inévitables réceptions à l'Elysée de chefs d'Etat dont certains ne sont pas des exemples n'est pas pertinente. On ne leur fait pas un sort particulier, on ne les magnifie pas, ils sont traités comme la rançon obligatoire d'une politique internationale cohérente et efficace.
On devine N.Sarkozy ravi de s'être remis dans le jeu, au centre de la curiosité ou de l'hostilité. Il est sauvé : nous reparlons de lui.
Peu lui importe que son coup d'éclat soit profondément un fiasco. Il est revenu en grâce à son seul bénéfice. Il a bougé, il a troublé, il n'a pas été capable de tenir plus de trois mois, son allure a été brève et de circonstance en mai. "Il bout d'impatience" paraît-il, mais qu'il prenne garde : personne ne l'espère, personne ne l'attend. Je suis persuadé que son intuition politique ne lui occulte pas cette évidence et qu'il a conscience de l'extrême embarras où il se trouve.
L'effacement définitif serait intolérable pour un ego aussi dilaté, une conception de soi et de sa nécessité aussi hypertrophiée.
Le retour en politique - comme il est clairement une "bête" politique prête à tout - serait une hypothèse envisageable, précisément parce qu'il a promis de se retirer. Une nouvelle volte ne le gênerait pas. Ce qui est plus délicat pour lui est de constater qu'il est soutenu de plus en plus mécaniquement et que le seul barrage qui empêche les lucidités de s'exprimer sur son échec et sur lui-même tient à son retrait, encore aujourd'hui, de la vie publique. Qu'il reprenne pied officiellement dans celle-ci, et on verra se déchaîner tous ceux qui lâchement ne sont prêts à l'adorer que de loin. Sa mise à distance le protège. Son implication le mettrait en pièces. Peut-être est-il tenté de rester entre deux eaux, sans discrétion mais sans danger ?
Pourvu qu'il s'en tienne là ! Qu'il ne vienne pas troubler davantage notre quiétude démocratique. L'UMP et les quelques finesses et élégances dont elle nous gratifie suffisent à notre perturbation.
Pas déjà, pas encore, plus jamais.


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