Le FN battu mais à quel prix !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 14/12/2015
Voltaire, paraît-il, dans un propos souvent cité par les défenseurs de la liberté, soulignait qu'en désaccord avec son adversaire, il se battrait pourtant pour qu'il puisse s'exprimer autant que lui.
Il n'aurait pas aimé la campagne des élections régionales entre les deux tours.
Le Front national a été battu nettement dans les régions où on lui prêtait des chances après le premier tour et le plus symptomatique est la défaite éclatante de Marine Le Pen et plus serrée de Marion Maréchal-Le Pen avec les victoires respectives de Xavier Bertrand et de Christian Estrosi fortement aidés par le retrait de la gauche (LCI).
Malgré le maintien de Jean-Pierre Masseret, Florian Philippot a été défait par Philippe Richert de LR. Une partie de la gauche a déserté le premier pour se reporter sur le dernier qui a eu sa revanche après un premier tour très décevant.
Avec une mobilisation des électeurs accrue au second tour - 4 millions de votants en plus -, on constate que le FN est resté sensiblement au même niveau qu'après le premier tour, sauf pour Marion-Maréchal Le Pen qui a sensiblement augmenté son score.
Le premier tour a permis aux citoyens de choisir, le deuxième a servi à exclure. Le plafond de verre demeure et même dans une configuration tripartite de notre vie publique, le FN est bloqué au moment même où il attend, au contraire, qu'on lui cède enfin le passage.
Si les résultats du second tour satisfont la multitude, dont je suis, qui désirait sa déconfiture politique, je continue à penser que le FN, dans l'espace républicain, a été maltraité et que notre République n'a pas été loin d'offrir une aussi piètre image du débat qu'en 2002.
A-t-on le droit d'affirmer une hostilité civique à l'encontre du FN et de se scandaliser du fait qu'il n'a pas été formellement appréhendé, médiatiquement et culturellement, comme l'équité l'aurait exigé ? L'esprit partisan doit-il gangrener tout ce qu'il touche ou bien pourra-t-on un jour espérer de la dignité et de la mesure plus que de l'invective ou de l'outrage ?
Le 13 novembre, Daech, le terrorisme islamiste ont massacré à Paris. Cette haine en vrai a été dévastatrice et elle a suscité enfin des réactions à sa mesure. La gauche aurait-elle appris, contre la mansuétude pénale ministérielle, la rigueur et le devoir pour une démocratie de s'armer contre tout ce qui la menace au quotidien et dans les crises de l'horreur ?
La campagne des élections régionales m'a fait songer à de la haine en blanc. Pas de quoi être fier pour notre pays !
Le Premier ministre, à l'égard du parti en tête au premier tour, évoque honteusement un risque de guerre civile pour le combattre et ose soutenir l'attaque ignominieuse de Claude Bartolone mais, hypocrite, après avoir chauffé à blanc, Manuel Valls joue au calme et au rassembleur. Trop tard.
Quant à Bartolone, il a maintenu une diatribe indécente qui avait indigné au-delà même de la droite et révélé le triste visage de la gauche prétendument morale. Il y a tout de même une authentique morale qui conclut cette frénésie : Claude Bartolone a été battu et Valérie Pécresse est élue. La "serre-tête" a gagné et une minorité d'électeurs du FN a préféré voter "utile", en sa faveur, plutôt que gaspiller ses voix avec Wallerand de Saint-Just.
Le retrait de la gauche au second tour dans deux régions phare, contre la clarté et les évidences politiques, a créé une situation de confusion et d'équivoque. Pour nuire à un FN décrété non républicain, on a mis à mal la République : étrange manière de redonner du crédit à la politique et redonner confiance aux citoyens !
Après ce second tour et l'hystérie qui a présidé à la campagne, les interventions et les discours des responsables n'ont pas été à la hauteur sauf de la part de Xavier Bertrand qui a tout compris, qui a respecté les électeurs de tous bords et proposé surtout la nécessaire métamorphose de la politique, du rapport du pouvoir avec les citoyens et de la prise en compte enfin des désespoirs, des misères et des attentes populaires.
Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, le pragmatisme revanchard de l'un et la posture présidentielle de l'autre : on aura cette opposition en 2016. Et on n'oubliera pas Xavier Bertrand qu'on rêvait dans une ambulance et qui a gagné son pari en ne s'attachant qu'à sa région.
La défaite du FN est la conséquence à la fois de la perception de ce que ses projets économiques et sociaux ont d'aberrant, d'une semaine d'excitation qui a fait douter de notre santé républicaine et de la mobilisation contre-nature d'une gauche qui a préféré se suicider qu'exister jusqu'au courage de ses convictions.
Ouf, pensent beaucoup.
En 2017, si Marine Le Pen est au second tour, on recommencera comme en 2002 ?
Les socialistes appelleront à voter pour le candidat LR ou le gagnant de la primaire LR viendra au secours de l'adversaire socialiste ?
On trouvera un moyen pour faire barrage à toute force ou bien on acceptera de tirer les leçons de la démocratie et de ce qu'elle impose ? On criera au fascisme ou on incarnera concrètement la République ? On interdira sans interdire ?
Ce n'est pas parce que le FN n'est pas entré dans la pièce qu'il ne pourra jamais en pousser la porte ! La gauche et la droite, à force de faire bloc contre le FN, ne savent plus qui elles sont : elles en ont oublié de convaincre le peuple.
Le mépris, dans tous les cas, devra être remplacé par de la courtoisie républicaine dans la forme et de la vigueur et de l'honnêteté sur le fond.
Sinon, les victoires du 13 décembre feront le lit demain d'inévitables défaites.