J'aime l'absence de retouches !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 5/05/2018
Quand j'ai appris que la photographie de campagne d'Emmanuel Macron entre les deux tours de l'élection présidentielle avait été substantiellement retouchée, j'ai éprouvé une très vive déception (Morandini Blog).
Même s'il était attentif à tout, je doute qu'il ait lui-même enjoint de procéder aux retouches mais il demeure qu'elles ont été faites et qu'il ne pouvait pas ignorer qu'il n'était plus absolument, naturellement lui-même. Lorsque la communication atteint un tel degré d'absurdité au point de porter atteinte à ce qui constitue la richesse physique et humaine d'une personnalité, elle délire et nous fait tomber dans un monde de fous où le simulacre est non seulement subi mais créé. Où on désinvestit un être de ce qu'il est pour le représenter telle une image qui a aussi peu à voir avec lui qu'un tableau de grand maître même avec son imitation talentueuse.
J'ai conscience d'enfoncer des portes ouvertes avec ces banalités sur le monde de l'apparence politique mais j'avoue avoir espéré qu'Emmanuel Macron ne s'y soumettrait jamais de manière aussi ostensible et pour des détails de forme, de visage et d'habillement qui auraient dû apparaître secondaires par rapport à la qualité et à la profondeur du message.
Je regrette que ce président que j'estime et apprécie globalement ait été précédé par un candidat friand de retouches et transigeant avec son intégrité.
Je suis heureux, au contraire, de devoir admettre que François Ruffin, sur un registre général, est un homme sans retouches et qu'à cause de cette spontanéité jamais "travaillée", il peut séduire bien au-delà de son camp (L'Obs).
J'ai tweeté sur lui il y a peu de temps et j'avais écrit ceci : "François Ruffin n'en a rien à faire de gens comme moi et sans doute beaucoup de mes positions susciteraient-elles sa totale hostilité ! Il n'empêche que j'éprouve une sympathie et presque une estime pour une personnalité singulière, sincère et au service exclusif des humbles".
Immédiatement un imbécile m'a répliqué "qu'il ne voudrait pas de moi", croyant m'offenser en reprenant ce que j'avais dit moi-même.
Quand on avoue une proximité, ne laisse-t-on pas apparaître, aussi antagonistes que soient les registres, comme un soupçon de similitude ?
Je sais bien qu'il est anormal, dans notre univers, de ne pas tirer d'une opposition politique une hostilité inconditionnelle à l'égard de la personne dont l'opinion et les options sont contraires aux vôtres.
Il n'est pas non plus acceptable, dans cette société qui n'aspire qu'au simplisme et à l'hémiplégie, de juger injuste l'accusation d'être "un président des très riches" formulée à l'encontre d'Emmanuel Macron et, en même temps, de ne pas être insensible au combat mené, avec ses outrances, ses partialités et ses approximations, par un François Ruffin en faveur des exclus et des dépossédés de l'existence, des sevrés de pouvoir.
Est-il honteux, pour un réactionnaire revendiqué selon sa définition personnelle, de ressentir comme une étrange et paradoxale attirance pour cette personnalité, tellement "électron libre" qu'elle agace même les officiels insoumis tout surpris de se trouver face à un vrai ? (Le Parisien)
Je mesure la théâtralisation, la dramatisation que ce député peu enclin aux codes et aux conventions met au service de son combat collectif. Qui peut être totalement dupe de cette posture de Robin des Bois d'aujourd'hui, en définitive pas si éloignée dans le style mais aux antipodes quant au fond, de ce "romanesque" adoré des Français et dont Emmanuel Macron a affirmé être l'incarnation ?
Cet extrémisme de la générosité sociale découpant la vie entre pauvres et privilégiés semble évidemment ridicule, superficiel pour tous ceux qui prétendent que l'économie est une science, la réalité complexe, la lutte des classes désuète et la conduite des affaires une démarche de responsabilité.
J'entends bien tout cela mais en quoi devrais-je être ligoté par une détestation obligatoire qui contraindrait mes humeurs à être accordées avec mes idées ? Peut-être ai-je trop le goût du récit national, de la scène politique, la passion des personnages, une trop intense appétence pour les irréguliers ou les atypiques qui viennent bousculer et rendre visibles, accessibles, charnelles les théories?
La droite classique, probablement, manque de ces éclaireurs fantasques et imprévisibles non pas pour gouverner demain - ils seraient aux antipodes de toute domination de ce genre et inaptes à la moindre maîtrise structurée - mais pour lui montrer un chemin sur lequel la poésie fulgurante des provocations saurait coexister, par la suite, avec la prose sérieuse et inévitable des techniques et du pragmatisme.
On comprendra que, de même que je n'ai pas aimé qu'on ait apporté des retouches à l'apparence d'Emmanuel Macron, j'ai de la dilection pour François Ruffin, fier d'offrir une authenticité admirée ou critiquée. Mais telle quelle.
Sans aucune retouche.