Procès de Camaret : la longue confession d’Isabelle Demongeot
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 16/11/2012
Elle est entrée dans le prétoire, a agrippé la barre et, pendant quelques secondes, a gardé la tête baissée. L'ancienne joueuse de tennis Isabelle Demongeot était, vendredi 16 novembre, la première personne à être entendue comme témoin au procès de son ex-entraîneur, Régis de Camaret, poursuivi pour viols et tentatives de viols sur deux de ses élèves dans les années 1990 devant la cour d'assises du Rhône à Lyon.
La voix lente d'Isabelle Demongeot s'élève dans la salle d'audience. Dans le box, à deux pas d'elle, un vieux monsieur aux cheveux et à la moustache blanche ne la quitte pas des yeux.
- Je voudrais... Je voudrais d'abord vous parler de mon enfance. J'étais une petite fille pleine de vie, une boute-en-train, je dévalais les pentes de ski et les rues de Saint-Tropez en skateboard. J'ai découvert le tennis en 1977, et ce fut une véritable passion. J'ai passé un été à taper des balles contre un mur et, à la rentrée, j'ai demandé à mes parents de m'inscrire à l'école de tennis de Saint-Tropez. J'avais un rêve : jouer à Roland-Garros.
La première année, je jouais une heure par semaine. Régis de Camaret a vu en moi des qualités et il a souhaité me donner un peu plus d'entraînement. De là, une relation de confiance s'est installée entre lui, mes parents et moi. Il gérait mon emploi du temps, il m'a demandé d'arrêter le ski, de ne plus sortir avec mes copains et mes copines, un début d'emprise s'est installé.
Trois années passent, Isabelle Demongeot obtient de bons résultats dans les tournois et se prépare pour le championnat de France à Roland-Garros en août 1980. Elle a tout juste 14 ans.
- Il fallait faire des économies. Mes parents disaient que Régis de Camaret faisait des efforts en nous accordant des heures pour nous entraîner. Alors, il n'y avait qu'une seule chambre d'hôtel louée pour lui, une autre joueuse et moi. Mais la mère de l'autre fille a décidé de venir la voir jouer et, du coup, elle l'a emmenée dormir ailleurs. Et je me suis retrouvée toute seule dans la chambre avec lui. C'est là que ça a commencé. Je dors profondément et je suis réveillée par une main qui se glisse dans ma culotte. Il descend ma culotte, ses doigts me caressent, il me tire au bout du lit, met sa tête entre mes jambes et m'embrasse. Il me dit qu'il ne faut pas que j'ai peur, qu'il est là pour me donner du plaisir et qu'il ne faut pas que je parle. Je suis incapable de réagir, je ne comprends pas ce qu'il se passe. Un corps d'enfant face à un corps d'adulte. Il a 38 ou 40 ans.
Je ne dors pas beaucoup et le lendemain, je gagne. Je termine le tournoi en étant championne de France troisième série.
Quelques semaines plus tard, en septembre 1980, on part sur un tournoi avec Régis de Camaret et plusieurs autres joueuses. Je gagne. Il réussit à faire en sorte que les autres filles quittent le lieu, je reste seule avec lui et à la veille de la demi-finale, pour la première fois, il me viole. Une main, une tête, une langue, une moustache, c'est répugnant, mais je me tais. Je gagnais tellement ! Je me disais que sans lui, je ne serais rien. Il s'était rendu indispensable à ma vie. Il contrôlait mes entraînements, il m'a enfermée dans un système.
Cet "enfermement" va durer pendant neuf ans. Isabelle Demongeot livre à la barre un récit quasi clinique des viols subis dans le cagibi à balles situé à côté du vestiaire du club de tennis. "Un endroit sordide, poussiéreux, avec une vieille lumière tamisée. Sur une aire d'autoroute, toujours la même, au-dessus de Saint-Maximin, lorsqu'elle rentre seule dans la voiture avec lui et qu'il la raccompagne ensuite chez ses parents "sans dire un mot, en faisant comme si rien ne s'était passé".
- A chaque entraînement, j'avais l'angoisse et je me disais : et si c'était ce soir ? Il faisait en sorte que les autres joueuses puissent partir avant et là, je savais que ça allait recommencer. Mais le lendemain, je revenais m'entraîner. Il me disait que, de toutes façons, si je partais, je ne ferais plus rien.
Un jour, alors qu'il est venu une fois de plus dans sa chambre après un match, elle le repousse tellement fortement qu'elle lui casse une côte.
- Mais je reste tout de même sous son emprise. Je me dis que si je le quitte, mon tennis ne marchera plus. Plusieurs fois, il m'a fait du chantage, en me menaçant d'arrêter de m'entraîner, de me guider. Il entraînait ostensiblement les autres filles et ne m'adressait pas la parole pendant plusieurs jours sur les cours.
En 1989, Isabelle Demongeot a 23 ans. "Pour la première fois, un soir, je refuse de lui ouvrir la porte de ma chambre d'hôtel. On est à la veille du deuxième tour de Roland-Garros. Il me dit qu'il vient faire le bilan du match, je lui parle à travers la porte, je lui dis que c'est terminé, que ne lui ouvrirai plus."
Elle décide de cesser de s'entraîner avec lui, mais renonce à porter plainte. "J'avais une carrière en jeu, je n'avais pas la force de me retrouver toute seule dans un combat judiciaire. Il était encore sur le circuit, il accompagnait d'autres joueuses. Il regardait ce que je faisais, j'avais parfois l'impression qu'il m'épiait, je le sentais toujours derrière moi, mes nouveaux entraîneurs ne comprenaient pas ce qui se passait et pourquoi je n'arrivais pas à jouer.
La suite des confidences qu'elle livre à la cour est encore plus intime. Isabelle Demongeot confie n'avoir jamais pu avoir de relations intimes satisfaisantes avec un homme. "Il me semblait toujours sentir le corps de l'autre. Alors, je suis allée vers les femmes, parce que j'avais besoin de douceur."
Elle enchaîne les thérapies, mais ne parvient pas à se débarrasser de ses fantômes. Lorsqu'elle se décide, en 2005, à consulter un avocat, il lui annonce que c'est trop tard, que les faits qu'elle est susceptible de reprocher à Régis de Camaret sont prescrits.
- Et là, alors que ne vais pas bien, je retrouve dans un tournoi une fille qui jouait à l'époque au club de Saint-Tropez. C'est la première fois qu'on se reparle. Je lui raconte tout. Et elle m'annonce que, trois ans plus tôt, sa sœur Marion, qui avait elle aussi été entraînée par Régis de Camaret, a porté plainte contre lui pour viols auprès du parquet de Draguignan, mais que l'affaire a été classée sans suite à cause de la prescription. J'ai aussitôt appelé Marion. On découvre mutuellement qu'on n'est pas seules. Et on se dit que si il y en a eu une, puis deux, il y en a peut-être eu d'autres. Et qu'il faut les retrouver et surtout l'empêcher de continuer."
L'affaire Régis de Camaret était née. Deux filles qui confient à Isabelle Demongeot avoir elles aussi été agressées par l'entraîneur décident de porter plainte et sont jugées recevables car, entre temps, la loi a allongé à vingt ans le délai de prescription dans les poursuites pour viols. Le juge d'instruction et les gendarmes de Draguignan prennent très au sérieux le dossier, retrouvent la trace des adolescentes de l'époque devenues des femmes d'âge mûr. Souvent, elles s'effondrent en évoquant le souvenir de leur ancien entraîneur. Leurs récits sont accablants, qui décrivent tous le même processus de domination sans violence et, en face, leur honte et leur silence d'adolescentes face à un homme d'une cinquantaine d'années qui avait la confiance de leurs parents.
Lorsqu'après près de trois heures, Isabelle Demongeot achève sa déposition à la barre, le président se tourne vers l'accusé.
- Comment réagissez-vous à cette déposition ?
- Comment je quoi ?
- Comment réagissez-vous à ce qui vient d'être dit ?, répète le président.
- J'ai vécu autre chose. Nous avons eu une relation consentante. Je ne lui ai jamais imposé quoi que ce soit.
- Donc, tout cela, c'est un tissu de mensonges ?
- Euh, oui.