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Une présidence de rupture normale

Justice au singulier - philippe.bilger, 15/07/2012

Si je suis naïf, tant pis. Tout ce que j'exige, c'est que cette présidence de rupture normale dure comme cela au moins jusqu'en 2017 !

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Il paraît qu'on n'aurait pas le droit d'opposer un quinquennat à l'autre et qu'il conviendrait, par une sorte de décence sinon démocratique du moins humaine, de n'approuver l'action et le style de François Hollande qu'en concédant quelque mérite à la politique de son prédécesseur.
Soit. Je l'admets et je concède. Et je suis quitte.
Nous étions beaucoup à attendre cette première fête nationale du président Hollande parce qu'avec les nombreuses séquences publiques qu'elle comporte et la constante représentation officielle qu'elle impose, elle est forcément très révélatrice du caractère, du maintien et de la vision du chef de l'Etat.
Nous n'en étions pas au point, au bout de seulement deux mois, de craindre une présidence silencieuse, effacée à la place de l'hyperprésidence d'hier (Le Monde, sous la signature de Françoise Fressoz). Nous étions simplement curieux de vérifier si la normalité recherchée, clairement traduite depuis le 15 mai trouverait à s'exprimer le 14 juillet, et comment.
Usant de cet adverbe "simplement", il me semble que j'ai mis en évidence une atmosphère générale de simplicité qui m'est apparue comme la marque fondamentale de ces heures républicaines jusqu'à la fin de l'entretien avec Laurent Delahousse et Claire Chazal. Si on veut bien concevoir que la simplicité n'est pas exclusive de la gravité, du sérieux, de la gentillesse, de l'explication et de l'intelligence.
Il est inutile d'insister sur l'inévitable tenue protocolaire suscitée par l'événement mais dans l'attitude du président de la République j'ai continué d'apprécier ce qui fait la force de sa personnalité dans toutes les circonstances où il est amené à intervenir es-qualités : d'être à la fois armée et désarmée. Armée pour l'important, l'épreuve, la cérémonie mais désarmée pour l'échange, l'attention, le salut, le dialogue. Le président se tient mais l'être sait se relâcher.
Il n'est pas une minute où cette conciliation entre allure et familiarité n'ait pas été perceptible. Surtout dans cet interminable bain de foule auquel il a pris tant de plaisir parce que, loin de répondre à un exercice obligé, il correspondait à ce que sa nature a de profondément convivial de l'avis de tous ceux qui l'ont fréquenté et le côtoient, amis ou adversaires. Il y a des rapports avec le peuple qui sentent le fabriqué, le contraint et d'autres qui permettent de respirer et d'être spontanément, agréablement soi.
Je ne prétends pas éluder ce qu'il y a d'évidemment subjectif dans mon appréciation ni occulter la réalité d'un regard, d'un mouvement du corps, du coeur et de l'esprit qui peut immédiatement, instinctivement vous éloigner de quelqu'un et vous rapprocher d'un autre. Pour être franc, même dans les nombreux moments où Nicolas Sarkozy s'efforçait d'être à la hauteur, sur tous les plans, de sa fonction, quelque chose demeurait en moi qui butait sur mon inaptitude à le considérer de manière bienveillante. Dans ce qu'il était et qu'il montrait, en deçà de sa posture officielle qu'il cherchait à rendre, au fil de son quinquennat, la plus crédible possible, je découvrais toujours un trait, un détail ou une anomalie qui me perturbaient. Je ne parvenais jamais à être en paix devant ce président à la fois trop présent et si atypique. Cette fatalité qui ne m'était pas propre m'a probablement détourné d'un partage plus équitable des ombres et des lumières.
Avec François Hollande, de ma peau jusqu'à ma tête, je suis au contraire désencombré de ce souci d'avoir à gérer mon antipathie et ma gêne personnelles et donc disponible pour ce qui relève de l'appréhension exclusive de la charge et du discours présidentiels.
Observant le président en train de serrer les mains, d'embrasser des petits enfants et de se faire prendre en photo, je n'étais pas assez aveuglé pour ne pas me souvenir que Nicolas Sarkozy s'était, il est vrai avec tout un autre appareil empesé et corsetant, également livré à ces rencontres rapides entre les citoyens et lui.
Pourtant, à tort ou à raison, je remarquais une différence capitale entre hier et aujourd'hui. Quand l'un avait du mal à trouver le ton juste, à donner l'illusion qu'il était juste, l'autre était dans ce registre familier et urbain comme un poisson dans l'eau. Parce que notre jugement se fondait sur le fait que pour le premier il s'agissait d'une parenthèse artificielle, d'une entente de circonstance sans véritable empathie alors que le second raffolait de ce compagnonnage fugace. Parce que l'ensemble de sa personnalité, ailleurs, n'y était pas étranger. Pour François Hollande, le bain de foule était à proprement parler naturel quand pour Nicolas Sarkozy, il était à tous points de vue extra-ordinaire.
Je ne méconnais pas les limites de cette approche psychologique mais je n'ai pas à m'en m'excuser, d'abord parce que j'ai la faiblesse de l'estimer plausible et que, surtout, il n'est personne qui, sans se l'avouer ni l'admettre, échappe, derrière l'apparente discussion des idées, au poids des élans instinctifs et donc irréversibles. Le tempérament est capital aussi bien chez l'élu que chez l'électeur, chez le président que chez le citoyen qui l'a désiré ou récusé. On adore se pousser du col mais qu'on examine bien ce qui gouverne nos adhésions ou nos rejets : on baissera d'un ton.
L'entretien entre le président de la République et les deux journalistes, dans un autre lieu que l'Elysée - ce n'est pas neutre - n'a fait que confirmer mon intuition de la matinée (France 2).
On aurait pu s'amuser de constater que Laurent Delahousse comme Claire Chazal (dont je continue à penser que gravure people, elle ne devrait pas être choisie pour des débats sérieux) étaient, par contagion, atteints par le caractère non autoritaire, presque décontracté des échanges. Il leur arrivait de parler en même temps et à l'évidence profitaient au maximum d'un climat médiatique nouveau : rien d'époustouflant tout de même !
Je saisis ce qu'un adversaire pourrait, sur le fond, trouver à redire à l'écoute de certaines réponses du président.
Même si celui-ci, conscient du danger intellectuel, a souligné que sa volonté d'action, sa capacité de s'affronter aux crises étaient fondamentales et d'ailleurs effectives, reste qu'on a le droit de s'interroger sur la possible rançon d'une extrême et vive intelligence chez François Hollande, comme l'abus des discours pour Obama au début de son mandat : une passion de la concertation qui malgré l'urgence deviendrait une fin au lieu de se réduire à un moyen.
Le président, refusant d'inscrire la règle d'or budgétaire dans la Constitution, est-il cohérent quand il fait savoir que l'obligation du dialogue social pourrait en revanche se graver dans cet airain ? L'une me semble aussi inappropriée que l'autre pour cet honneur.
François Hollande n'a-t-il pas tendance à sous-estimer, parce que la rationalité lui est chère, et la sérénité, et le refus du mélodrame quand les drames sont là, l'utilité d'un certain lyrisme, l'incantation volontariste qui ne servent qu'à donner l'impression que l'inquiétude commune, les angoisses collectives sont partagées ? On sait qu'elles le sont : il convient de nous le faire entendre.
Mais quel gouffre entre la fausse gentillesse d'hier, l'envie sans cesse réfrénée de "castagne" et d'agressivité, la susceptibilité à vif et l'élégance, la patience d'aujourd'hui ! Nous n'étions plus en guerre médiatique, avec une obséquiosité pourtant trop souvent garantie, mais en explication et en compréhension. Même en contradiction (Marianne 2).
Avec quelle netteté délicieusement roide il a transmis le message que la normalité devrait s'appliquer dorénavant aussi bien à sa compagne qu'à ses enfants !
Simplicité : je maintiens que la personne de François Hollande lui importe moins que l'honneur de la charge suprême. Orgueilleux pour la France, pas pour lui. J'ai envie d'ajouter le respect qui n'est pas nécessaire seulement quand on porte le maillot de l'équipe de France de football.
Respect, en effet, de ce dont l'élection l'a investi. Respect des institutions. Respect du Premier ministre et des ministres. Respect des médias. Respect des citoyens. Respect de soi pour être respecté par tous.
Si je suis naïf, tant pis. Tout ce que j'exige, c'est que cette présidence de rupture normale dure comme cela au moins jusqu'en 2017!


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