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Isabelle Huppert : autopsie d'une déception

Justice au Singulier - philippe.bilger, 26/06/2015

Et qu'il faut se garder, parfois, de rencontrer les étoiles. Mais que ne pas les rencontrer, quelquefois, peut être pire.

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Il paraît qu'il ne faudrait jamais rencontrer les êtres qu'on admire.

Apparemment, ne pas ne pas les rencontrer non plus, si j'en juge par mon expérience à la fois dérisoire mais signifiante avec Isabelle Huppert.

Formidable actrice, depuis son rôle de jeune fille murée dans "La Dentellière" jusqu'à ses prestations éblouissantes et complexes, notamment sous l'égide de Michael Haneke.

Extraordinaire comédienne dont récemment j'ai pu apprécier le talent, la finesse, la légèreté et l'infinie palette de son jeu dans une belle pièce de Marivaux.

Personnalité réfléchie, intelligente et au langage maîtrisé, dont j'ai lu la plupart des interviews et qui à mon sens n'a jamais proféré une bêtise sur quelque plan que ce soit, ce qui est rare dans le milieu artistique.

Inutile de me traiter avec condescendance : j'ai des enthousiasmes, de la naïveté, des illusions. Tant pis ou tant mieux. En tout cas, ils me tiennent à l'esprit et au coeur, résistent aux morosités crépusculaires.

C'est tout naturellement, donc, que j'ai songé à Isabelle Huppert pour mes entretiens vidéo qui ont commencé au mois de novembre 2013.

J'ai pris la peine de lui adresser un courrier à une adresse qu'on m'avait communiquée. Je lui exposais les modalités et la singularité de ce que je lui proposais et, évidemment, l'honneur qu'elle me ferait en acceptant.

Aucune réponse durant plus d'un mois, de sorte que je me suis inquiété sur la validité de l'adresse. J'ai su, sans doute possible, qu'il s'agissait de la bonne et, comme il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, téméraire je lui ai fait parvenir une seconde lettre à la substance similaire avec seulement une allusion au fait que le soir même j'irais la voir au théâtre de l'Odéon.

Je n'ai pas eu davantage de succès.

Peu de temps après, elle a participé à la passionnante émission du dimanche soir sur Europe 1, animée par Patrick Roger et Sonia Mabrouk. Cela m'a rassuré car Isabelle Huppert, en dehors des représentations et de ses films, n'était donc pas une ermite et ne dédaignait pas la promotion.

Quelques jours après, j'ai reçu un mail passe-partout, peu adapté à ma demande et qui classiquement évoquait un un emploi du temps surchargé rendant impossible cet entretien qui ne lui aurait pris qu'une heure. Il émanait d'une société de production et à l'évidence usait d'une manière désinvolte pour se débarrasser d'un pensum.

Pourquoi ce comportement, de la part d'Isabelle Huppert, a-t-il engendré chez moi une déception aussi vive, sans commune mesure avec celles banales que la multitude des indélicatesses sociales et éducatives engendre au quotidien ?

Il ne s'agissait en aucun cas de lui reprocher une réponse négative qu'elle aurait pu justifier sans que j'en sois offensé.

Naïvement -on ne se refait pas -, j'imaginais qu'une grande artiste était nécessairement imprégnée d'un grand savoir-vivre et d'une attention à autrui, quel qu'il soit, dès lors que des exemples me démontraient qu'elle n'était pas étrangère, ici ou là, à une forme de convivialité.

Pour atteindre les objectifs que je me suis fixé et satisfaire des désirs honorables, légitimes, je n'ai jamais lésiné et, sans surestimer mon statut, je ne me suis jamais abstenu de solliciter, de relancer au prétexte que cela me plaçait dans une situation de dépendance, presque d'humiliation. Il est triste de devoir rappeler aux privilégiés de la vie qu'on répond !

L'obligation d'avoir dû me battre pour obtenir, dans sa banalité et, en l'occurrence, dans sa superficialité, une réaction m'a cependant profondément déplu.

Pour ces entretiens, j'ai été confronté à des lenteurs, à des hésitations mais je me rappelle avec bonheur qu'avec un Fabrice Luchini, qui n'a pas précisément une existence oisive, je suis arrivé au bout et qu'avec le brillant Julien Clerc, j'ai relevé en amont la qualité de son urbanité et de sa rectitude.

J'attends depuis quelques mois la disponibilité de Michel Bouquet mais dans des conditions qui ne me font pas douter de l'admiration éperdue que j'éprouve pour lui.

Pour ne pas faire allusion au président Altrad qui avec tenue et régularité me permet d'entrevoir avec lui qui est pourtant surchargé un entretien au mois de septembre.

Qu'on dise non ou oui, on respecte. C'est l'essentiel.

Ce n'est pas rien d'être contraint d'autopsier une déception au détriment d'une adhésion forte, jusque-là, à la personnalité qui vous l'inspire.

Au fond, ce qui me navre, est maintenant la certitude qu'Isabelle Huppert n'est pas "une star" pour tous mais pour quelques-uns.

Et qu'il faut se garder, parfois, de rencontrer les étoiles.

Mais que ne pas les rencontrer, quelquefois, peut être pire.


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