Le style à droite, la pensée à gauche ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 27/12/2013
Thomas Morales s'est interrogé il y a peu dans Causeur : "Pourquoi les écrivains de droite avaient-ils du style ?".
Au moins deux questions dans cette interrogation et avant elle : qu'est-ce qu'un écrivain de droite et les écrivains de droite ont-ils du style ?
Si j'avais à définir rapidement la littérature de droite, à supposer qu'on puisse rassembler sous ce pavillon politique des générations d'écrivains ayant affronté le tragique de l'Histoire, le sartrisme triomphant ou la modernité souvent ridicule et frivole - un premier groupe avec le génial Céline, Robert Brasillach et Drieu La Rochelle, un deuxième avec les Hussards et Michel Déon, un dernier avec Denis Tillinac et Eric Neuhoff -, il me semble qu'avec mille nuances, ces tendances sont à relever : une détestation du siècle, un refus de l'engagement et du didactisme et donc une focalisation sur l'intime et le singulier, une vision pessimiste de la nature humaine.
La droite littéraire ne s'accorde que rarement avec son temps, ne prêche pas et ne raffole pas d'autrui.
J'entends déjà les multiples et brillantes exceptions susceptibles d'être opposées à cette ligne brossée à gros traits mais je persiste cependant. On retrouve peu ou prou, au-delà des orages ou des accalmies de l'époque, ces traits, ensemble ou séparément, dans la littérature de droite.
Celle-ci a-t-elle globalement du style comme si écrire et être de droite garantissaient contre les médiocrités du langage, les phrases mal faites et l'absence de rythme ? Evidemment non. Rien de commun entre Drieu et Brasillach, Nimier et Michel Déon, Eric Neuhoff et Denis Tillinac.
On se rend compte que deux auteurs immenses, Stendhal et Céline, ont fait beaucoup de mal à leurs épigones qui, croyant les imiter, ont laborieusement rédigé des livres mettant par contraste encore davantage en exergue ce qui leur manquait. Ils copiaient les tics et les réflexes mais l'essentiel faisait défaut qui tenait à la singularité de leurs modèles.
Doit-on comprendre que pour la littérature de droite, il n'est pas de grande oeuvre sans style et que le style est roi ? En ce sens, attacher une importance décisive à la forme au point de se préoccuper de l'expression elle-même plus que de son fond caractérise en effet la droite littéraire soucieuse de style, éprise d'apparence. La façade superbe mais le reste souvent mince, mince. Une élégance destinée à tenir lieu de tout.
Parce que d'abord, le style, l'allure, l'esthétique, sans être nécessairement des valeurs réactionnaires, sont cultivés par des personnalités qui sont déjà de droite par ces appétences. Souvent, le style avant même d'embellir les livres se retrouve déjà sur et dans les êtres.
Je n'irais pas aussi péremptoirement que dans mon titre faire le partage entre la pensée qui serait à gauche et le style à droite. Cependant, j'aurais beaucoup d'exemples qui démontreraient que, si le style est capital à droite, c'est que la pensée non seulement n'y pèse pas mais qu'elle y est quasiment refusée, tant la gravité, l'esprit de sérieux, le raisonnement, l'argumentation, le fil construit, cohérent d'une histoire, sans foucades ni paradoxes, sont aux antipodes du culte de la forme, de la légèreté et de la finesse des paragraphes. La réflexion alourdirait les mots dont l'agencement doit dépendre du pur bon vouloir de l'écrivain, de sa grâce d'écriture et pas d'une accablante logique.
La littérature de droite est d'autant plus obsédée par le style que celui-ci est souvent le masque sec ou somptueux - jamais volubile - de complexités, de tréfonds et de sentiments qui demeurent dissimulés aux lecteurs. Ces derniers n'ont qu'à s'arranger avec les rapidités, les fulgurances, les ruptures et les ellipses que ces écrivains de droite jettent avec élégance et générosité.
Le style est souvent une manière de se cacher. Les écrivains de droite se dévoilent grâce à lui, sont en lui.