La France, c'est nous ou nous tous ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 14/05/2017
Julien Dray aurait proposé, si François Hollande s'était représenté, ce slogan : La France, c'est nous (Le Figaro).
Notre dorénavant ex-président de la République l'aurait accepté à coup sûr.
Parce qu'il était tellement révélateur d'une unanimité apparente mais d'une véritable ambiguïté et qu'il ressemblait au fond tellement à sa personnalité.
La France, c'est nous, aurait pu si facilement se lire, s'interpréter comme "la France, c'est nous seulement", nous les socialistes, les gens de gauche, les humanistes, les progressistes, les belles âmes par définition.
Pas les opposants au mariage pour tous. Pas l'ennuyeuse règle contre l'exception magnifiée. Pas les huit millions de citoyens ayant voté pour le Front national au premier tour de l'élection présidentielle. Pas les victimes des crimes et délits ordinaires. Pas les sinistrés d'un Etat trop faible. Pas tous ceux que la haine et le désespoir avaient gangrenés et qui, tombant dans le racisme, l'antisémitisme, la violence, faisaient toujours partie de la communauté nationale. Pas les Français qui se déshonoraient en évoquant leur identité et craignaient de tout perdre à cause des immigrés. Pas les naïfs qui aimaient trop la France pour supporter qu'on ne retienne que les pages sombres de son Histoire et qu'elle se repente sans cesse. Pas ces réactionnaires hors d'âge aspirant à voir restaurées des vertus aussi discutables que l'autorité, la fermeté, la rigueur, la cohérence, l'allure, la sincérité et la dignité.
La France, c'est nous. Nous seuls. Nous qui pensons bien. La vraie France. Et c'est sur ce slogan que nous aurions dû offrir une seconde chance à François Hollande puisqu'il avait radicalement gâché la première ?
Rien qu'à cause de cette promesse dévoyée, de ce rassemblement manqué, on n'a pas le droit de soutenir que la France va mieux qu'en 2012, comme François Hollande l'a encore déclaré rue de Solférino !
Non, la France, c'est nous tous. Ce n'est pas la même chose, l'affirmation, au contraire, d'une universalité démocratique qui n'est pas si évidente que cela puisque malgré les engagements initiaux trop souvent de pure forme, les présidents de la République se sont vite ingéniés à les trahir.
La France tout entière, sans discriminer les bons et les mauvais. Les gens qui pensent comme nous ou contre nous. Les trop présents et les oubliés. L'éclat et l'obscurité. Les profondeurs et la surface.
Dans cette remarquable passation de pouvoir - la deuxième fois qu'Emmanuel Macron, devenu officiellement notre président, accomplit un sans-faute après celui de sa victoire du 7 mai -, j'ai particulièrement apprécié son intervention de treize minutes - tolérante à l'égard de tous ses prédécesseurs - au cours de laquelle il a évoqué la France de "nous tous" et sa volonté de n'oublier personne au cours de son mandat. Chez les anciens présidents, ce qui pouvait apparaître pour un voeu pieux s'imprègne, avec lui, d'une résonance authentique parce que son être est depuis toujours accordé à cette empathie non sélective.
Et que son désir de dépasser la droite et la gauche orthodoxes est un gage de la "révolution" qu'il annonce et de la plénitude à laquelle il aspire.
La politique n'est pas que de la politique. Cette obsession d'une présidence pour tous ne s'attache pas qu'aux séquences publiques, officielles, de l'administration du pouvoir et des démarches qu'elle impose.
Qui a observé Emmanuel Macron depuis le 7 mai, et encore davantage le 14 mai, ne peut pas nourrir le moindre doute sur son aptitude à concilier simplicité, gravité et majesté. Jupiter dans une quotidienneté tranquille, respectueuse et acharnée au travail, au service du pays. Rien qui inquiète. Le symbolisme est sauvegardé et on ne s'abandonnera pas à une originalité déstabilisante. Emmanuel Macron, aussi intelligent que lui, ne sera pas Giscard d'Estaing déformant par snobisme le rituel.
Je ne voudrais pas qu'en revanche l'appétence très nette du couple Macron pour l'univers artistico-mondain - non pas que celui-ci soit par nature indécent - prenne trop de place par rapport au commun des Français et détruise subtilement ce que son indiscutable humanité et proximité, pour lui comme pour son épouse, va apporter de très positif et bienvenu sur le registre républicain. Faute de quoi, un ressentiment pourrait naître. On accepte de ne pas en être si la considération est donnée à tous. Le populisme est parfois la conséquence de ce sentiment d'exclusion.
J'ai été comblé par ses débuts. Restent cinq années pour ne pas nous décevoir.
Comme le lui a murmuré François Hollande : bon courage !