Au procès de l’UIMM: « C’est vous, Monsieur, qu’on vient voir pour ‘la chose’? »
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 9/10/2013
On regarde Denis Gautier-Sauvagnac, l'ex délégué général de l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), s'appuyer délicatement sur le pupitre qui tient lieu de barre devant le tribunal, sa main droite effleurant sa main gauche, ou se tenant bien droit, mains croisées dans le dos. On l'écoute, répondant avec une infinie courtoisie aux questions de la présidente et on imagine les deux scènes qu'il vient de raconter.
Au mitan des années 90, alors qu'il vient d'être nommé délégué général, le président de la fédération patronale, Pierre Guillen, lui confie: "A propos, il y a deux, trois choses qu'il faut que je vous dise. Nous avons l'habitude d'aider ceux que j'appelle le monde social".
Quelques jours plus tard, poursuit-il, il reçoit "un habitué", qui se présente en lui disant: "Je crois que c'est vous, Monsieur, qu'on vient voir désormais pour 'la chose'?".
Denis Gautier-Sauvagnac n'aime pas "la 'chose". "Ce n'est pas agréable de distribuer comme cela des billets", dit-il. Et encore moins depuis que ''la chose" lui vaut de comparaître, aux côtés de neuf autres prévenus pour répondre d'abus de confiance et travail dissimulé.
Au coeur de ce dossier figurent les mystérieuses relations entre la puissante fédération patronale, héritière du Comité des forges, et les syndicats de salariés, qui auraient tous bénéficié de ses largesses financières pendant des années.
L'un des juges assesseurs met au supplice cet ancien haut fonctionnaire: "Vous avez été un serviteur de l'Etat, membre de l'inspection des finances, dont l'objet est le contrôle et la lutte contre la fraude, vous savez que le maniement d'espèces reste l'attribut du crime organisé...".
La voix de Denis Gautier-Sauvagnac trahit une émotion qu'il s'efforce aussitôt de dominer, comme s'il avait cédé à une insupportable faute de goût.
- Je pourrais alléger la charge qui pèse depuis six ans sur mes épaules. Si je m'en suis abstenu et si je continue à m'en abstenir, c'est pour ne pas impliquer dans cette affaire des organisations qui participent à notre vie sociale, avec le désordre qui en découlerait. Des personnes honorables seraient ainsi désignées à la vindicte publique. Donner des noms, alors que pendant quinze ans, j'ai travaillé à la paix sociale de notre pays, noué des relations de confiance avec des interlocuteurs de tous bords, ne serait conforme ni à mes traditions, ni à mes valeurs.... "
Il se redresse: "Donc, je suis un peu coincé, Madame la présidente...
Celle-ci reprend au vol une de ses phrases:
"Pourquoi dîtes-vous que les personnes bénéficiaires seraient désignées à la vindicte publique?
- Compte tenu des noms en cause, bien sûr."
"Je suis héritier d'une longue tradition de discrétion", ajoute Denis Gautier-Sauvagnac. Où l'on ne parle pas de "la chose" publiquement. Il consent juste à préciser: "Ce n'était pas des valises, c'était juste des enveloppes".