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François Hollande va prendre l'air

Justice au singulier - philippe.bilger, 4/03/2013

Alors, le président va prendre l'air. Il sait que ces parenthèses ne feront du bien qu'à lui.

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Confronté à sa chute dans les sondages, le président de la République a décidé de prendre l'air.

La majorité de la France semblant le quitter, il aspire à la retrouver grâce à des visites sur le terrain, avec un rythme nouveau et un nouveau style. Il demeurera plus longtemps sur place pour expliquer et commenter sa politique - c'est son exercice préféré - et prendre le pouls des Français (nouvelobs.com, lepoint.fr).

Au lieu d'attendre la mi-mai pour sa prochaine conférence de presse, il la programmera pour la fin du mois de mars, persuadé que son talent pour ce type d'intervention raffermira la foi des partisans et fera cesser l'hémorragie des insatisfaits.

Je crains que notre président se leurre sur sa propre capacité à rameuter les troupes. Il se dissimule, à mon sens, la vérité quand il s'obstine à nommer cohérence non pas ses louvoiements mais son adaptation forcée à une série de contraintes qui pesaient sur lui et sur son avenir dès son élection.

La principale tient au fait - on ne le répétera jamais assez - qu'avec lui, ce n'est pas le socialisme qui a gagné mais l'antisarkozysme. Je ne m'en plains pas puisque j'ai participé modestement à la déconfiture de son adversaire.

Mais il n'empêche que d'emblée lui faisait défaut une légitimité fondamentale pour mettre en oeuvre un bouleversement économique et social qui aurait plu à ceux qui rêvaient de voir en lui un Guevara pour démocratie apaisée alors que sa première conférence de presse a montré avec quel soulagement il s'est glissé dans les habits d'un social-démocrate à la française, modéré au fond mais concédant toujours un peu à la symbolique de rupture dans la forme. L'ennemie n'était plus globalement "la finance", ce qui au demeurant était une absurdité, mais les pratiques scandaleuses qui pouvaient être les siennes. Le bon sens moral et empirique se substituait à l'incantation de campagne.

Je n'ai cessé de percevoir, chez François Hollande, une sorte de soulagement et de volupté mal dissimulée devant les multiples obstacles que le réel dressait entre une conception batailleuse et clivante de la gauche et son éventuelle incarnation. En permanence, il me semblait l'entendre murmurer : "Levez-vous, orages désirés !", pour qu'il ne soit condamné à rien d'irréversible ni de transgressif.

Evidemment, quel bonheur pour lui !, on dispose du sociétal pour donner le change. Le mariage pour tous sera une révolution, mais pas celle qu'attendaient les "durs" et les exaltés d'une idéologie qui ne se sentirait pas exister si elle ne faisait pas vraiment peur au moins à une moitié de la France. Il a pu compter sur le talent de Christiane Taubira mais cette dernière, n'en déplaise à ses inconditionnels qui s'intéressent aussi peu au département de la justice qu'elle-même, a oublié d'être un véritable garde des Sceaux. Elle brode mais n'agit pas.

Ecartelé entre ces 60% qui l'ont porté au pouvoir et qui osent réclamer leur dû et sa volonté apparente de tenir des promesses impossibles - toutes démenties par l'infernale pression de la réalité : sur la croissance, le déficit, les impôts et le chômage -, soucieux d'apaiser un pays et de lui éviter d'inutiles exacerbations mais conduit à le diviser contre lui-même pour sauver son image progressiste, véritablement et sereinement social-démocrate mais titillé sur son flanc nostalgique de la campagne par une gauche extrême - avec le tribun Mélenchon et la talentueuse Clémentine Autain -, François Hollande est soumis à une croisée des chemins qui lui impose d'arbitrer, alors qu'il déteste ce diktat, non pas seulement entre des décisions mais entre des sens. Chaque minute le sollicite pour le questionner sur la voie qu'il désire emprunter. Sa cohérence, si elle existe puisque le Pouvoir nous l'affirme, ressemble fort, sans prétendre offenser les quelques ministres compétents qui s'échinent à la tâche, à l'organisation désespérée et faussement maîtrisée d'événements, d'accidents et de contrariétés qui le, les dépassent.

Que reste-t-il alors ?

La personnalité de François Hollande. On aboutit à ce paradoxe que celle détestable de Nicolas Sarkozy l'a fait perdre mais que François Hollande, grâce à la sienne, sera peut-être sauvé. Même si tout cela relève d'une vision trop individuelle de la politique, d'une personnalisation immature, je constate que l'homme survit même quand les idées et la pratique déçoivent, se délitent au fil des jours ou s'égarent. Cette importance de l'être présidentiel m'a rendu d'autant plus attentif à un certain discrédit intime qui pouvait être porté sur lui alors que l'essentiel, de plus en plus, va consister à alourdir un plateau de la balance avec un François Hollande indemne, pour compenser l'autre accablé sous le poids des infinies contradictions révélées et impossibles à résoudre par l'action.

Alors, le président va prendre l'air. Il sait que ces parenthèses ne feront du bien qu'à lui.


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