Centres éducatifs fermés : double ou quitte ? (545)
Planète Juridique - admin, 20/11/2013
Le dernier rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté lance une nouvelle fois l’alerte sur les centres éducatifs fermés (CEF), fleuron de la politique mise en place en 2002 par Chirac II qui entendait montrer à l’opinion publique combien il prenait désormais en compte la délinquance juvénile. Pour le Contrôleur ces structures portent atteinte aux droits fondamentaux des enfants, elles peuvent être porteuses de graves atteintes aux droits des enfants (Le Monde du 14 novembre 2013).
On doit d’autant plus s’inquiéter que le candidat Français Hollande avait fait du doublement des Centres éducatifs fermés son engagement fort et surtout unique sur la justice des mineurs. Certes un discours prononcé à Paris avait bien tenté d’élargir la problématique, mais l’engagement est bien là : on doublerera en 5 ans les CEF ! Soit à échéance 2017 88 structures pouvant accueillir de 10 à 12 jeunes.
On a déjà eu l’occasion de dire que tout cela était bien court pour incarner le changement quand depuis 10 ans la justice des enfants a été singulièrement dégradée avec un régime législatif de plus en plus calé sur les majeurs et une suspicion permanente jetée sur les magistrats, mais en vérité surtout sur les travailleurs sociaux.
Presqu‘un an et demi près sa prise de fonction on attend toujours les réformes emblématiques et de fond qui s’imposaient. Le tribunal correctionnel pour mineurs est toujours en place quand on sait qu’il est non seulement chronophage et inefficace, mais qu’il symbolise l’effacement du droit pénal des mineurs. Ne parlons pas des peines plancher et autres dispositifs contestables et tout aussi inefficaces comme le retrait automatique dans certains cas de l'excuse attenuante de minorité. Pire : le gouvernement est dénoncé publiquement et politiquement par ses opposants alors que jusqu’ici il n’a fait qu’énoncer son intention de faire ! Le TCM n' pas été abrogé.
La question des centres éducatifs fermes est intéressante à analyser de plusieurs points de vue
D’abord, elle illustre trop bien l’hypocrisie à la française.
Tous autant que nous sommes répugnons à mettre des enfants -les personnes de moins de 18 ans sont des enfants - en prison. Alors si possible on les mettra dans ces lieux clos … qui ne seront pas des prisons ! Un centre éducatif fermé est censé ne pas être fermé matériellement : s’il l’était il serait un lieu de détention illégal au regard des modalités de privations de liberté. Ainsi les règles relatives au mandat de dépôt et à l’écrou pour l'incarcération sont très strictes et n’ont rien à voir avec l’ordonnance de placement en CEF liée à un contrôle judiciaire prise par un juge des enfants, un juge d’instruction ou un JLD.
L’aspect fermé est symbolique - et le raisonnement n’a pas été facile à intégrer, y compris par M. Perben le garde des sceaux qui a porté initialement le projet- : le jeune est contraint de rejoindre et de demeurer dans un lieu qu’on qualifie de fermé, mais qui ne l’est pas véritablement ou pas totalement. La contrainte réside en vérité dans l’obligation posée par le juge à travers notamment sa décision d’affectation : si le jeune ne respecte pas cette obligation il pourra être placé … en prison.
On prendra des mesures – hauts murs, serrures, caméras, vigiles, etc.- pour rendre difficile le départ non autorisé d’un jeune hébergé en CEF et le dissuader de passer à l'acte. On parle d’ailleurs de fugue et non d’évasion. En théorie donc on doit pouvoir quitter un CEF quitte à en assumer les conséquences : les foudres judiciaires si celles-ci veulent bien se déclencher. Pas facile à théoriser !
Au passage on a dénaturé plus que jamais l’idée de l’accueil en institution éducative qui se voulait initialement une mesure de protection, y compris du jeune contre lui-même ; il devient une punition : « Tu acceptes le placement ou tu vas en prison ! »
Relever cette donnée ne veut pas dire condamner par principe les centres éducatifs fermés tels qu’ils sont. Il était besoin dans les années 80 et encore aujourd’hui pour certains jeunes de lieux qui ne soient pas carcéraux, mais à forte connotation éducative dans lesquels des jeunes pourraient enfin se poser quand ils roulent à 150 à l’heure avec un moteur de deux chevaux au risque, pour eux et pour les victimes de leur comportement, d’exploser. L’approche éducative appuyée sur la conviction des années 68 apparaissait dépassée pour trop de ces enfants. Je fais partie de ceux qui appelaient à restaurer une « contrainte » éducative à l'égard de jeunes qui en manquent cruellement depuis des années et s’identifient d’abord à leurs pairs de la rue et à la pseudo-liberté que cette rue offre. Mais pas par des murs, mais par des hommes et des femmes qui fassent sens par leur présence, leur charisme, leur projet et ce qu’ils apportent aux jeunes accueillis.
Reste qu’il faut aussi oser la prison et ne pas trembler si elle s’impose. Quand un adolescent passe à l’acte au point de nécessiter, au regard de l’ordre public, d'être mis à l’écart et/ou puni, il ne faut pas hésiter à user de la prison même si celle-ci est criminogène. Quitte à améliorer les centres de détention pour mineurs. Et déjà de séparer les mineurs des plus de 18 ans.
Mais il ne faut pas mélanger éducatif et répressif. Sinon, les jeunes ne s’y retrouvent plus. Or, les centres éducatifs fermés qui ne sont pas fermés ont contribué à semer la confusion. Dans le même temps, les nouveaux Etablissements pénitentiaires pour mineurs qui se veulent des prisons-écoles ont accentué l’imbroglio au risque de semer la confusion dans tous les esprits, y compris des professionnels, mais encore plus des jeunes.
On se doit ici d'être clair : la prison ne peut pas aller loin dans son projet d’éducation ; l’éducation ne peut pas se contenter de la contrainte comme projet. L’éducatif suppose une prise de risque, y compris le refus de l’intéressé, quand la prison est une vraie contrainte dont on ne peut pas se soustraire.
Les CEF et autres EPM paient aujourd’hui ambiguïté. Assumons la répression, mais donnons nous les moyens de l’éducatif et acceptons qu’il soit consubstantiel avec une prise de risques. Un jeune doit pouvoir fuguer d'un centre éducatif ; on ira le rechercher, une fois, deux fois, dix fois s'il le faut et il finira par accepter cette prise en charge car on lui marque de l'intérêt. S'il mérite d'être puni, usons de la prison ou des alternatives à la prison.
Deuxième difficulté : un peu comme pour la prison, on a fait de l’accueil dans ces centres éducatifs fermés une fin en soi alors qu’il ne peut s’agit en tout état de cause que d’une étape dans une prise en charge éducative.
Comment imaginer qu’en 6 mois ou un an , un jeune qui depuis des années est laissé à lui-même va avoir retrouvé le goût à l’existence – la plupart des jeunes délinquants sont dans l’autodestruction avec une très mauvais image d’eux – avec un projet de vie qui dépasse la seule référence à l‘argent ? Comment imaginer qu’un jeune précipité en quelques heures dans un univers souvent de violence comme l’est un centre éducatif fermé va s’y tenir sous la seule menace de l’incarcération s’il désobéit et respecter un cadre et les adultes qui le servent quand jusqu’ici il n’a vu que des adultes transparents.
L’orientation v
ers un centre éducatif fermé, comme l’incarcération, doit être pour la justice une étape dans une intervention qui s’inscrira logiquement dans la durée. Encore faut-il qu’il y ait une cohérence. Or de plus en plus il n’y a pas de pilote dans l’avion judiciaire. C’est le grand coup de canif porté depuis 2002 à la justice pénale des enfants que d’avoir délégitimé le juge des enfants et de n’avoir mis aucun pilote dans l’avion pour le remplacer. Plus grave on a commis une erreur fondamentale d’analyse : la stratégie de cette justice ne consiste pas à s’attaquer à des faits de délinquance même s’ils servent de prétexte à intervention, sachant qu’il faut aussi veiller aux victimes, mais de s’attacher à transformer le jeune délinquant en une personne qui ne le sera plus ! Or désormais on juge désormais à l’acte plus qu’on tient compte de la personnalité du jeune.
En vérité on utilise les centres éducatifs fermés pour se débarrasser un certain temps d’un enfant et passer au dossier suivant.
Faut-il ajouter que ces structures ont un coût de revient par jour et par mineur très élevé : un peu plus de 600 euros, ce qui multiplié par 180 sinon par 365 jour constitue un budget faramineux par tête de pipe. Paradoxalement le Contrôleur des lieux privatifs de loi liberté continue d’y relever des personnels certes dévoués, mais peu qualifiés. Le projet éducatif est souvent léger et pour cause : que faire avec une dizaine de jeunes qui constituent un boisseau de puces sinon éviter que la cocotte-minute n’explose
Plus que jamais ce qui est choquant dans ce que nous vivons c‘est que les murs – en l’espèce des murs requalifiés d’éducatifs – l’ont emporté sur les hommes : que vit-on avec ces jeunes ? que partage-t-on avec eux ?
Ici encore les USA pourraient peut-être nous éclairer pour les choix à venir et peut être éviter de multiplier ce type des structures aux résultats plus qu’incertains.
Comme le relève Dominique Youf dans un article à paraître prochainement sur acv.hypotheses.org l’expérience américaine démontre que pour les jeunes, y compris les plus durs, la détention peut être remplacée utilement – utilement pour la société au sens où la récidive est moindre – par un suivi éducatif en milieu ouvert très intense associant différentes disciplines neuropsychologiques et éducatives.
Dison le tout net : François Hollande n’aura pas les moyens de tenir son objectif de doubler les centres éducatifs fermés d’ici 2017. Il en a péniblement ouvert 4 depuis son arrivée. Dans l’esprit qui domine la réforme portée par Christine Taubira pour les adultes il faut mettre le paquet sur le milieu ouvert pour les plus jeunes, mais sur un milieu ouvert singulièrement renforcé totalement différent de ce qui se pratique aujourd'hui en France. Ce dont ont besoin ces jeunes c’est bien d’adultes qui entreprennent un bout de route avec eux, leur redonnent de l’espoir et valorisent leur compétences.
PS Je présente mes excuses à ceux qui ont été déroutés par la "disparition" de ce blog. Moi même je l'ai été. Il a été rétabli. Je l'en réjouis. Merci à ceux qui ont manifesté directement ou non leur intérêt pour ce lieu de réflexion que nous offre Le Monde.fr. Je vérifierai demain si des articles récents manquent à l'appel.