DSK n'a pas tout perdu...
Justice au singulier - philippe.bilger, 28/06/2014
On ne devrait pas s'étonner qu'une part fondamentale de la personnalité de DSK soit demeurée à l'abri des tempêtes de sa vie personnelle et des tentations auxquelles il n'avait pas à résister puisqu'apparemment il se considérait comme invité permanent au festival du désir et du sexe.
Des propos et des jugements de DSK, tenus auprès de ses collaborateurs, ont été recueillis (JDD) et ils font apparaître que sa machine intellectuelle continue à tourner à plein régime.
On s'en était déjà aperçu lors de l'émission sur l'euro (France 2) où de manière limpide, même pour le profane, il avait su exposer les erreurs commises lors de la gestion de la crise grecque. Il s'agissait là d'un domaine technique qui n'avait pas de secret pour lui.
Ce qui nous est révélé aujourd'hui se rapporte davantage à l'appréhension de problèmes politiques et à la perception des compétences ministérielles. C'est anecdotique mais éclairant.
Il raconte par exemple la différence radicale d'attitude entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy quand, patron du FMI, il était reçu par l'une ou l'autre.
Avec la première, l'entretien durait deux heures et tout était décortiqué de manière approfondie : le sujet était traité à fond et on ne parlait pas d'autre chose. Une rigueur et un sérieux tenant à la fois au style allemand et au tempérament de cette femme dominant l'Europe avec une feinte retenue.
Avec notre ancien président, sans que la désinvolture soit forcément française, les échanges professionnels et financiers ne prenaient pas plus d'un quart d'heure puis Nicolas Sarkozy ne cessait pas de parler d'autre chose et sans doute - je l'ajoute - de lui-même, ce qui confirme l'impression de beaucoup de visiteurs invités pour un dialogue et condamnés au monologue du chef de l'Etat.
Sur Manuel Valls également, DSK vise juste puisqu'il souligne, ce qui va de soi, que son gouvernement n'est pas le sien mais celui de François Hollande, qu'il n'a pas d'espace, que le président et lui sont "dans la même cuisine gouvernementale" et que le premier s'implique trop (Le Parisien).
DSK va plus loin dans le sarcasme en qualifiant la moitié des ministres de "brêles".
Pour sa propre défense, il ne nie pas sa responsabilité pour les 35 heures mais n'imaginait pas que cette réduction du temps de travail qui a désorganisé beaucoup de secteurs d'activité serait appliquée de manière aussi bureaucratique.
Pour en revenir à la composition du gouvernement, sans être sûr de penser forcément aux mêmes que lui, je partage son constat et éprouve en effet l'impression qu'il y a trop d'amateurs pour trop peu de professionnels.
Cette tendance a été amorcée sous Nicolas Sarkozy et il me semble qu'il existe là une étrange et paradoxale continuité entre la droite et la gauche.Sans se pousser du col, il n'était pas outrecuidant de s'estimer hier aussi capable que certains ministres et de se sentir aujourd'hui aussi fiable et compétent qu'une partie du gouvernement.
C'est d'ailleurs l'un des problèmes récents de notre démocratie. Qu'il y ait rien moins qu'un gouffre entre tel ou tel citoyen et plusieurs serviteurs de l'Etat peut apparaître comme l'expression d'une heureuse égalité républicaine mais l'amateurisme au pouvoir de nombre de ceux-ci renforce la dérision, voire le mépris dont la société accable souvent injustement la classe politique.
La quadrature du cercle : les ministres doivent être comme nous et à la fois mieux que nous. On en est de plus en plus loin.
On ne se débarrassera pas aisément de DSK parce qu'il n'a pas tout perdu. Il a conservé l'essentiel.
Sa lucidité.