Roselyne, vous en faites trop !
Justice au singulier - philippe.bilger, 17/01/2013
Pour le Centre d'études de la vie politique française (Cevipof), "les valeurs de droite dans un contexte de gauche" sont à la hausse. Notamment pour le rétablissement de la peine de mort et le repli sur la famille, qui, lui, est plébiscité (Le Figaro).
Rien d'étonnant si on veut bien considérer que toute tendance politique devient le contre-pouvoir de celle qui a le pouvoir. Naturellement le socialisme gouvernemental, aussi composite et édulcoré qu'il puisse apparaître à beaucoup, a fait surgir des exigences contraires aux siennes. Demain, si la droite l'emporte, la société se retrempera à des sources de gauche.
Cette constatation qui n'est pas d'une originalité bouleversante m'a fait songer à Roselyne Bachelot dont on parle encore plus depuis qu'elle a quitté le gouvernement (Le Parisien).
Je le dis tout net, je ne biaise pas et j'assume le fait odieux de porter atteinte à une femme qui est quasiment devenue, pour les médias, une héroïne nationale. Je m'apprête à faire le gros dos et l'esprit résistant mais je n'ai aucun scrupule à souligner que Roselyne Bachelot m'agace pour des motifs pas si faciles à démêler dès lors que je prétends rester délicat.
Elle était cette ministre de droite que la gauche adorait parce qu'elle n'avait profondément qu'une ambition : être aimée, courtisée par le camp d'en face. Son souci était moins de complaire par ses pensées et son action à l'électorat obtus qui ne portait pas la modernité en bandoulière qu'à cette frange chic et médiatique qui la louait sans cesse d'être une autre : elle au moins n'était pas une femme de droite classique, traditionnelle !
Avec quelle volupté elle se piquait de dissidence en enfourchant tous les sujets de société et en choisissant de quitter les chemins conservateurs pour se faire remarquer ! En effet, je ne suis pas sûr que derrière ces transgressions qui la posaient quasiment comme une pétroleuse, il y ait eu beaucoup de conviction mais plutôt une infinie prétention : la vanité qui peut saisir quand on se sent infiniment plus riche et complexe que le commun des hommes et des femmes politiques. On est moins attiré alors par la vérité que par la singularité à tout prix.
Cette femme est, pourtant, ce même ministre qui par ailleurs a toléré sans broncher une République imparfaite et les pires errements de son président sans jamais manifester la moindre opposition. Elle n'a pas été, durant ce quinquennat, une Chantal Jouanno, même pas une NKM plus feutrée. On ne l'a pas entendue, lors de la campagne de 2012, s'étonner, protester, dénoncer. Elle a été parfaitement classique, ordinaire dans son adhésion, sa soumission, banale dans son inconditionnalité.
Mais, tour de force, sans tarder, grâce à un livre elle a accablé subtilement le vaincu, jouant sur un double registre. Ministre, elle admettait s'être rendue compte de tout mais n'avoir jamais eu le courage de ruer dans les brancards ou de partir. Libérée de sa charge à cause du suffrage universel, elle dressait un réquisitoire pas inexact mais venant juste à point pour lui attirer - mais si peu !- les défaveurs opportunes de la droite et donc la sympathie agissante de la gauche.
Lionel Jospin, par exemple, s'est fait une joie de lui permettre de se révéler sous un aspect rafraîchi dans une commission où, paraît-il, il la félicitait chaque jour pour ses robes et son apparence : c'est elle qui a vendu la mèche.
Nul doute qu'elle bénéficiera encore d'autres postes, d'autres marques de confiance. La gauche a compris qu'avec elle, elle disposait d'une arme redoutable : une personnalité débridée, transfuge sans le dire, prête à participer à tous les combats qui lui donneraient encore l'impression de faire de la politique alors qu'elle jouit de ce statut si rare : être celle qui semble avoir abandonné la politique pour la vie médiatique.
Les médias n'en reviennent pas: cette femme a quitté le pouvoir ou ses annexes pour eux. Ils s'en sentent ragaillardis, honorés. Elle est des leurs et depuis qu'elle les a rejoints, ils lui font une haie, je ne sais de quoi.
Tout cela est trop. Surabondant, excessif. Trop de sourires, trop de cordialité, trop de fraternité. Trop de désir de plaire, trop d'acharnement pour être aimée, trop de démagogie, trop d'incandescence fabriquée, trop de volonté pour s'afficher différente, bonne copine, si proche, si sympa, effervescente mais usante. A force, cette joie de vivre, de parler, de se montrer, de se multiplier fait peur. Difficile d'exprimer devant une femme s'acharnant à se composer un personnage ce qu'on ressent véritablement. De quelles blessures revient-elle ?
Parfois je me prends à songer qu'en dépit de cette affirmation présomptueuse : "Ce n'est quand même pas d'être sur un plateau de télé après ce que j'ai vécu qui va m'impressionner", si je la renvoie à sa condition de ministre hier car qu'a-t-elle vécu sinon une déplorable obéissance ?, elle éprouve peut-être la nostalgie de ce qu'elle aurait voulu être : une vraie ministre respectée, pas moquée pour son look et son désir d'originalité tellement pathétique qu'il en devenait à la fois exaspérant et émouvant.
Si Bachelot, "animal médiatique" (Le Parisien), n'était que le succédané de la Bachelot, pas animal politique du tout ?
Roselyne, vous en faites trop. Méfiez-vous, à la longue vous n'étonnerez plus, vous n'amuserez plus. Vous reviendrez vers la politique.
Bonne fête !