Affiliation des travailleurs détachés et présomption de validité des certificats A1 : la fin (toute provisoire !) du feuilleton
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch, Gratiane Kressmann, 2/01/2018
La saga de la force contraignante ou non des certificats A1 (ex E101) devant le juge national a connu tout récemment un nouvel épisode attendu et prévisible en droit interne. La Cour de cassation vient en effet de décider, par un arrêt du 22 décembre dernier, que ces certificats liaient les autorités et les juridictions de l’Etat d’accueil quand bien même ces dernières auraient constaté que les conditions dans lesquelles les travailleurs concernés exercent leur activité ne commandent manifestement pas l’application du régime de sécurité sociale de l’Etat sur le territoire duquel est établi l’employeur.
1.
Les faits à l’origine de ce feuilleton judiciaire étaient en synthèse les suivants : un litige opposait une société allemande aux autorités de sécurité sociale françaises au sujet d’un redressement fondé sur l’application de la loi française relative à la sécurité sociale du fait du non-paiement par cette société des cotisations au régime français de sécurité sociale pour des travailleurs salariés travaillant à bord de bateaux de croisière sur des fleuves français.
Les autorités françaises estimaient que les salariés concernés, ayant été affectés pendant toute la durée de leur contrat sur des bateaux navigants exclusivement en France, étaient soumis au régime de sécurité sociale français en vertu de l’article 13 §2 a) du règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 énonçant la règle générale selon laquelle « le travailleur occupé sur le territoire d'un État membre est soumis à la législation de cet État, même s'il réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre ».
Pour sa part, la société qui détenait une succursale sur le territoire de la Confédération helvétique, Etat assimilé à un Etat membre de l’Union européenne pour l’application du règlement précité, revendiquait l’application du droit de la sécurité sociale suisse aux salariés concernés en s’appuyant sur des certificats A1 (ex E101) attestant leur affiliation au régime de sécurité sociale suisse.
Les autorités françaises estimaient que les salariés concernés, ayant été affectés pendant toute la durée de leur contrat sur des bateaux navigants exclusivement en France, étaient soumis au régime de sécurité sociale français en vertu de l’article 13 §2 a) du règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 énonçant la règle générale selon laquelle « le travailleur occupé sur le territoire d'un État membre est soumis à la législation de cet État, même s'il réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre ».
Pour sa part, la société qui détenait une succursale sur le territoire de la Confédération helvétique, Etat assimilé à un Etat membre de l’Union européenne pour l’application du règlement précité, revendiquait l’application du droit de la sécurité sociale suisse aux salariés concernés en s’appuyant sur des certificats A1 (ex E101) attestant leur affiliation au régime de sécurité sociale suisse.
2.
Par un arrêt du 12 septembre 2013 , la Cour d’appel de Colmar, tout en prenant soin de souligner « qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute la validité des certificats E 101 qui sont produits aux débats », avait décidé que l’employeur ne pouvait bénéficier du régime dérogatoire prévu en matière de transports internationaux de personnes « dès lors que les personnels en cause n’ont été en définitive employés que pour des croisières en France ».
3.
La Cour de cassation, relevant qu’il ressortait des constatations opérées par les juges du fond que les conditions de l’activité des salariés en question n’entraient manifestement pas dans le champ d’application matériel de l’article 14 du règlement n° 1408/71, a posé à la CJUE, dans un arrêt du 6 novembre 2015 précédemment commenté, la question de savoir si, dans de telles circonstances, l’administration compétente ou la juridiction de l’Etat membre d’accueil pouvait porter une appréciation, et le cas échéant remettre en cause à titre exceptionnel, la validité d’un certificat A1 délivré par l’administration compétente d’un autre Etat membre.
4.
La CJUE n’a pas dérogé à sa jurisprudence (notamment : arrêt FTS du 10 février 2000, C-202/97 ; arrêt Banks du 30 mars 2000, C-178/97 et arrêt Herbosch Kiere du 26 janvier 2006, C-2/05) et a répondu clairement par la négative dans un arrêt du 27 avril 2017 (cf. notre chronique du 2 mai 2017).
5.
L’Assemblé plénière, saisie du pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar, a fait application dans toute sa rigueur de cette jurisprudence désormais intégrée au droit de l’Union comme le souligne le Procureur général dans son Avis.
Par un arrêt du 22 décembre 2017, elle a en effet tiré toutes les conséquences de l’arrêt précité de la CJUE en décidant, en substance, que le certificat A1 lie tant les institutions de sécurité sociale de l’Etat membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet Etat membre.
Il en est ainsi alors même que ces juridictions auraient constaté que les conditions dans lesquelles les travailleurs concernés exercent leur activité ne sont, de toute évidence, pas celles qui commandent l’application du régime de sécurité sociale de l’Etat membre où est établie l’entreprise qui l’emploie.
La solution inverse porterait atteinte au principe de l’affiliation des travailleurs salariés à un seul régime de sécurité sociale ainsi qu’à la prévisibilité du régime applicable.
L’Assemblée plénière souligne par ailleurs, faisant sien l’arrêt de la CJUE, que les institutions nationales sont tenues de suivre la procédure en vigueur pour résoudre les différends qui portent sur la validité ou l’exactitude d’un certificat A1 et :
* Qu’à ce titre, le règlement 1408/71 prévoit une procédure pour obtenir le retrait ou l’annulation de ce certificat de l’institution émettrice : le principe de coopération loyale impose à l’institution compétente de l’Etat membre d’accueil d’engager une procédure de dialogue avec l’institution émettrice du certificat.
* Qu’en cas d’échec, la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants peut être saisie.
* Qu’enfin, l’Etat membre d’accueil peut, en dernier recours, engager une procédure en manquement contre l’Etat membre émetteur.
Par un arrêt du 22 décembre 2017, elle a en effet tiré toutes les conséquences de l’arrêt précité de la CJUE en décidant, en substance, que le certificat A1 lie tant les institutions de sécurité sociale de l’Etat membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet Etat membre.
Il en est ainsi alors même que ces juridictions auraient constaté que les conditions dans lesquelles les travailleurs concernés exercent leur activité ne sont, de toute évidence, pas celles qui commandent l’application du régime de sécurité sociale de l’Etat membre où est établie l’entreprise qui l’emploie.
La solution inverse porterait atteinte au principe de l’affiliation des travailleurs salariés à un seul régime de sécurité sociale ainsi qu’à la prévisibilité du régime applicable.
L’Assemblée plénière souligne par ailleurs, faisant sien l’arrêt de la CJUE, que les institutions nationales sont tenues de suivre la procédure en vigueur pour résoudre les différends qui portent sur la validité ou l’exactitude d’un certificat A1 et :
* Qu’à ce titre, le règlement 1408/71 prévoit une procédure pour obtenir le retrait ou l’annulation de ce certificat de l’institution émettrice : le principe de coopération loyale impose à l’institution compétente de l’Etat membre d’accueil d’engager une procédure de dialogue avec l’institution émettrice du certificat.
* Qu’en cas d’échec, la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants peut être saisie.
* Qu’enfin, l’Etat membre d’accueil peut, en dernier recours, engager une procédure en manquement contre l’Etat membre émetteur.
6.
Le débat est-il pour autant définitivement clos ? Certainement pas, notamment sur le terrain de la fraude à la loi et de l’abus de droit.
Les Urssaf d’Alsace avaient en effet soutenu, dans le cadre d’observations complémentaires, que l’arrêt de la CJUE du 27 avril 2017 n’imposait nullement la censure de l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 12 septembre 2013. Elles faisaient en particulier valoir que la portée de l’arrêt en question était réduite aux hypothèses de recours erroné au détachement mais ne visait nullement les hypothèses de fraude ou d’abus de droit. Or, selon elles, il pouvait s’inférer des faits de l’espèce que la fraude était avérée.
En conséquence, toujours selon les Urssaf, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation pouvait parfaitement, sans contredire la jurisprudence de la CJUE, écarter les certificats A1 sur le fondement notamment des arrêts Paletta de la CJCE des 3 juin 1992 et 2 mai 1996 relatifs à l’abus de droit en matière de sécurité sociale.
Cette question n’a toutefois pas été abordée par l’Assemblée plénière puisque la fraude n’était pas dans le débat devant les juridictions du fond. Dans son rapport complémentaire, le Rapporteur avait néanmoins pris soin de souligner que la CJUE était en ce moment même saisie d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation belge portant sur le droit pour le juge de l’Etat d’accueil d’écarter ou d’annuler un certificat A1 si celui-ci a été obtenu de manière frauduleuse.
Et surtout que l’avocat général près la CJUE avait conclu à la capacité d’une juridiction d’un Etat membre d’accueil de laisser inappliqué un certificat A1 délivré par un Etat membre lorsqu’il est constaté par cette juridiction que ledit certificat a été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse.
L’arrêt est donc particulièrement attendu. Restera ensuite, s’il va dans le sens des conclusions de l’Avocat Général, à caractériser la fraude ou l’abus de droit, ce qui augure de nouveaux et beaux débats !
Les Urssaf d’Alsace avaient en effet soutenu, dans le cadre d’observations complémentaires, que l’arrêt de la CJUE du 27 avril 2017 n’imposait nullement la censure de l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 12 septembre 2013. Elles faisaient en particulier valoir que la portée de l’arrêt en question était réduite aux hypothèses de recours erroné au détachement mais ne visait nullement les hypothèses de fraude ou d’abus de droit. Or, selon elles, il pouvait s’inférer des faits de l’espèce que la fraude était avérée.
En conséquence, toujours selon les Urssaf, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation pouvait parfaitement, sans contredire la jurisprudence de la CJUE, écarter les certificats A1 sur le fondement notamment des arrêts Paletta de la CJCE des 3 juin 1992 et 2 mai 1996 relatifs à l’abus de droit en matière de sécurité sociale.
Cette question n’a toutefois pas été abordée par l’Assemblée plénière puisque la fraude n’était pas dans le débat devant les juridictions du fond. Dans son rapport complémentaire, le Rapporteur avait néanmoins pris soin de souligner que la CJUE était en ce moment même saisie d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation belge portant sur le droit pour le juge de l’Etat d’accueil d’écarter ou d’annuler un certificat A1 si celui-ci a été obtenu de manière frauduleuse.
Et surtout que l’avocat général près la CJUE avait conclu à la capacité d’une juridiction d’un Etat membre d’accueil de laisser inappliqué un certificat A1 délivré par un Etat membre lorsqu’il est constaté par cette juridiction que ledit certificat a été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse.
L’arrêt est donc particulièrement attendu. Restera ensuite, s’il va dans le sens des conclusions de l’Avocat Général, à caractériser la fraude ou l’abus de droit, ce qui augure de nouveaux et beaux débats !