Les nouveaux délais de consultation du CE à l'épreuve du contentieux
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch, 24/03/2014
Appelé à prononcer la suspension d’une réorganisation mise en œuvre à la suite d’un refus d’avis d’un CE et d’un CCE ayant conclu un accord sur le fondement des nouvelles dispositions de l’article L2323-3 du code du travail, le juge des référés rejette la demande en soulignant qu’il appartenait aux instances représentatives du personnel (IRP) concernées de le saisir, avant l’arrivée du délai contractuellement convenu, pour émettre un avis.
Dans une chronique parue le 10 janvier 2014 , nous avions présenté les règles de consultation des instances représentatives du personnel issues de la loi du 14 juin 2013 et du décret du 27 décembre de la même année.
• Pour mémoire, les délais dans lesquels le CE doit rendre ses avis peuvent être décidés par accord au sein de l’entreprise.
A défaut, ces délais sont fixés par un décret du 27 décembre 2013 qui prévoit, dans une situation normale, un délai d’un mois, si un expert est désigné, un délai de deux mois, et en cas d’avis requis du CHSCT, un délai de trois mois.
Ces délais doivent permettre au CE d’exercer utilement ses compétences et ne peuvent pas, en tout état de cause, être inférieurs à quinze jours (dans le cas le plus simple).
A l’expiration des délais en question, le CE est réputé avoir été régulièrement consulté et avoir rendu un avis négatif.
Si le CE est insuffisamment informé par l’employeur pour émettre un avis en connaissance de cause, il doit saisir en référé le président du Tribunal de grande instance territorialement compétent pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments faisant défaut.
Le juge doit prendre sa décision dans un délai de huit jours. Ce délai n’a, en principe, pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le CE pour rendre un avis. Toutefois, en cas de difficultés, en particulier d’accès aux informations nécessaires, le juge peut décider de la prorogation de ces délais.
• Une ordonnance du 28 février 2014 prononcée par le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Nanterre permet de confronter ces règles à la pratique judiciaire.
Les faits étaient, aux termes de la décision en question, les suivants : une société envisage de réorganiser ses activités en les scindant (il s’agit d’un laboratoire pharmaceutique qui va désormais distinguer la médecine générale de la médecine spécialisée).
Le projet en question est par conséquent soumis aux IRP, en l’occurrence un CE et un CCE, qui doivent être informées puis émettre un avis préalablement à sa mise en œuvre, à défaut de quoi l’employeur s’expose à des poursuites pour délit d’entrave.
Aux termes des premières réunions de présentation du projet, Direction et élus conviennent de conclure, conformément aux nouvelles dispositions de l’article L2323-3 du code du travail, un accord intégrant un calendrier fixant l’expiration du délai de consultation des deux instances.
Toutefois, la procédure ne se déroule pas aussi sereinement que prévu et, à la date convenue, les élus refusent de se prononcer.
La Direction considère alors, conformément à la formule classique, que « cette absence d’avis vaut avis » et met en œuvre son projet quelques jours après.
Le CE et le CCE, qui considèrent être confrontés à une entrave, votent le principe d’une action en justice et assignent, plus d’un mois après que la réorganisation ait été mise en place, la Direction afin d’obtenir la suspension de la réorganisation contestée et des dommages-intérêts pour entrave à leurs prérogatives.
Leurs arguments sont, en substance, les suivants :
* Les délais conventionnels de l’accord ne nous sont pas opposables car il s’avère que le dossier de consultation n’était pas complet au moment où l’accord a été conclu puisque la Direction l’a complété par la suite, ce qui a nécessairement pour conséquence de décaler le calendrier fixé conventionnellement.
* Les élus, lorsqu’ils se sont engagés, connaissaient imparfaitement les dispositions légales en vigueur tandis que les dispositions règlementaires n’étaient pas encore parues.
* Le CHSCT aurait dû être consulté.
Sans surprise, la direction a soutenu, en premier lieu, l’irrecevabilité la demande de suspension de la mise en œuvre du projet dès lors que la réorganisation était déjà effective.
Elle a souligné, ensuite, que l’accord obtenu dans les conditions résultant de la loi du 14 juin 2013 ne pouvait être remis en cause, que ses termes clairs et précis ne nécessitaient pas d’interprétation, que l’information avait été complète et que si le CHSCT, qui ne s’était pas manifesté, avait été finalement consulté a postériori, c’était uniquement dans un souci d’apaisement.
• Pour rejeter l’action du CE et du CCE, le juge des référés ne prend pas le raccourci de son incompétence (ou du défaut d’intérêt à agir du demandeur) au motif que la décision étant déjà mise en œuvre, il n’avait pas le pouvoir de la suspendre.
Il préfère s’atteler à une motivation plus élaborée en faisant grief au CE et au CCE ne pas avoir mis en œuvre la procédure désormais prévue lorsque des élus qui ont conclu un accord se considèrent insuffisamment informés.
En premier lieu, le juge fait litière de l’argument tiré d’une méconnaissance des textes en question. Le juge souligne en effet que la lecture des débats des deux instances met en évidence le fait que l’accord sur le calendrier est intervenu après que la Direction a répondu aux questions qui lui étaient posées de façon précise et développée et que les échanges attestent de la connaissance qu’avaient les élus des nouvelles dispositions légales.
Au-delà de ces considérations factuelles, l’argument paraissait en tout état de cause voué à l’échec car la loi n’a pas prévu de période de « rodage ». Dès que la loi s’applique, les parties sont censées en avoir appréhendé les contours, les exigences et les limites, le cas échéant avec l’aide et l’assistance de leurs conseils.
En second lieu, le juge, sans se prononcer sur les carences de la consultation alléguées par les IRP, rappelle à ces dernières que les nouvelles dispositions légales leur permettaient d’agir si elles s’estimaient insuffisamment informées en dépit de l’accord conclu (extrait de l’ordonnance):
« En outre, les critiques relatives à la communication des documents sont inopérantes dans la mesure où, conformément à l’article L2323-4, si le CCUES et le CE de Boulogne estimaient ne pas disposer des éléments suffisants pour pouvoir émettre un avis, il leur appartenait de saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu’il ordonne, dans un délai de 8 jours, la communication par l’employeur des éléments manquants, mais également de demander au juge de décider la prolongation des délais prévus par des accords au motif que les éléments communiqués par l’employeur ne leur permettaient pas d’exercer utilement leurs compétences en fonction de la nature et de l’importance des questions qui leur étaient soumises, et le cas échéant, comme l’indique désormais l’article 2323-3 du code du travail, de l’information et de la consultation du CHSCT ».
En d’autres termes, le CE et le CCE ont agi tardivement.
• Tout l’intérêt du nouveau dispositif est précisément de mettre un terme à l’incertitude qui planait auparavant sur la date à laquelle le CE avait émis un avis.
Si, comme cela est le cas en l’espèce, les parties se mettent d’accord pour que l’avis soit exprimé à telle date, un CE qui s’estime suffisamment informé, ce qui peut effectivement être le cas, doit donc impérativement agir avant la survenance du délai.
Le juge peut, dans ce contexte, ordonner la communication de documents complémentaires et proroger les délais.
Mais ce que le législateur a voulu éviter, c’est très précisément la situation de l’espèce où un mois après la mise en œuvre d’une réorganisation, le CE assigne la direction à une audience fixée près de deux mois plus tard pour obtenir la suspension d’une décision qui a déjà produit des effets, au motif d’une difficulté d’information.
C’est très logiquement, nous semble-t-il, que les demandes du CE et du CCE ont été rejetées.
• Pour mémoire, les délais dans lesquels le CE doit rendre ses avis peuvent être décidés par accord au sein de l’entreprise.
A défaut, ces délais sont fixés par un décret du 27 décembre 2013 qui prévoit, dans une situation normale, un délai d’un mois, si un expert est désigné, un délai de deux mois, et en cas d’avis requis du CHSCT, un délai de trois mois.
Ces délais doivent permettre au CE d’exercer utilement ses compétences et ne peuvent pas, en tout état de cause, être inférieurs à quinze jours (dans le cas le plus simple).
A l’expiration des délais en question, le CE est réputé avoir été régulièrement consulté et avoir rendu un avis négatif.
Si le CE est insuffisamment informé par l’employeur pour émettre un avis en connaissance de cause, il doit saisir en référé le président du Tribunal de grande instance territorialement compétent pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments faisant défaut.
Le juge doit prendre sa décision dans un délai de huit jours. Ce délai n’a, en principe, pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le CE pour rendre un avis. Toutefois, en cas de difficultés, en particulier d’accès aux informations nécessaires, le juge peut décider de la prorogation de ces délais.
• Une ordonnance du 28 février 2014 prononcée par le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Nanterre permet de confronter ces règles à la pratique judiciaire.
Les faits étaient, aux termes de la décision en question, les suivants : une société envisage de réorganiser ses activités en les scindant (il s’agit d’un laboratoire pharmaceutique qui va désormais distinguer la médecine générale de la médecine spécialisée).
Le projet en question est par conséquent soumis aux IRP, en l’occurrence un CE et un CCE, qui doivent être informées puis émettre un avis préalablement à sa mise en œuvre, à défaut de quoi l’employeur s’expose à des poursuites pour délit d’entrave.
Aux termes des premières réunions de présentation du projet, Direction et élus conviennent de conclure, conformément aux nouvelles dispositions de l’article L2323-3 du code du travail, un accord intégrant un calendrier fixant l’expiration du délai de consultation des deux instances.
Toutefois, la procédure ne se déroule pas aussi sereinement que prévu et, à la date convenue, les élus refusent de se prononcer.
La Direction considère alors, conformément à la formule classique, que « cette absence d’avis vaut avis » et met en œuvre son projet quelques jours après.
Le CE et le CCE, qui considèrent être confrontés à une entrave, votent le principe d’une action en justice et assignent, plus d’un mois après que la réorganisation ait été mise en place, la Direction afin d’obtenir la suspension de la réorganisation contestée et des dommages-intérêts pour entrave à leurs prérogatives.
Leurs arguments sont, en substance, les suivants :
* Les délais conventionnels de l’accord ne nous sont pas opposables car il s’avère que le dossier de consultation n’était pas complet au moment où l’accord a été conclu puisque la Direction l’a complété par la suite, ce qui a nécessairement pour conséquence de décaler le calendrier fixé conventionnellement.
* Les élus, lorsqu’ils se sont engagés, connaissaient imparfaitement les dispositions légales en vigueur tandis que les dispositions règlementaires n’étaient pas encore parues.
* Le CHSCT aurait dû être consulté.
Sans surprise, la direction a soutenu, en premier lieu, l’irrecevabilité la demande de suspension de la mise en œuvre du projet dès lors que la réorganisation était déjà effective.
Elle a souligné, ensuite, que l’accord obtenu dans les conditions résultant de la loi du 14 juin 2013 ne pouvait être remis en cause, que ses termes clairs et précis ne nécessitaient pas d’interprétation, que l’information avait été complète et que si le CHSCT, qui ne s’était pas manifesté, avait été finalement consulté a postériori, c’était uniquement dans un souci d’apaisement.
• Pour rejeter l’action du CE et du CCE, le juge des référés ne prend pas le raccourci de son incompétence (ou du défaut d’intérêt à agir du demandeur) au motif que la décision étant déjà mise en œuvre, il n’avait pas le pouvoir de la suspendre.
Il préfère s’atteler à une motivation plus élaborée en faisant grief au CE et au CCE ne pas avoir mis en œuvre la procédure désormais prévue lorsque des élus qui ont conclu un accord se considèrent insuffisamment informés.
En premier lieu, le juge fait litière de l’argument tiré d’une méconnaissance des textes en question. Le juge souligne en effet que la lecture des débats des deux instances met en évidence le fait que l’accord sur le calendrier est intervenu après que la Direction a répondu aux questions qui lui étaient posées de façon précise et développée et que les échanges attestent de la connaissance qu’avaient les élus des nouvelles dispositions légales.
Au-delà de ces considérations factuelles, l’argument paraissait en tout état de cause voué à l’échec car la loi n’a pas prévu de période de « rodage ». Dès que la loi s’applique, les parties sont censées en avoir appréhendé les contours, les exigences et les limites, le cas échéant avec l’aide et l’assistance de leurs conseils.
En second lieu, le juge, sans se prononcer sur les carences de la consultation alléguées par les IRP, rappelle à ces dernières que les nouvelles dispositions légales leur permettaient d’agir si elles s’estimaient insuffisamment informées en dépit de l’accord conclu (extrait de l’ordonnance):
« En outre, les critiques relatives à la communication des documents sont inopérantes dans la mesure où, conformément à l’article L2323-4, si le CCUES et le CE de Boulogne estimaient ne pas disposer des éléments suffisants pour pouvoir émettre un avis, il leur appartenait de saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu’il ordonne, dans un délai de 8 jours, la communication par l’employeur des éléments manquants, mais également de demander au juge de décider la prolongation des délais prévus par des accords au motif que les éléments communiqués par l’employeur ne leur permettaient pas d’exercer utilement leurs compétences en fonction de la nature et de l’importance des questions qui leur étaient soumises, et le cas échéant, comme l’indique désormais l’article 2323-3 du code du travail, de l’information et de la consultation du CHSCT ».
En d’autres termes, le CE et le CCE ont agi tardivement.
• Tout l’intérêt du nouveau dispositif est précisément de mettre un terme à l’incertitude qui planait auparavant sur la date à laquelle le CE avait émis un avis.
Si, comme cela est le cas en l’espèce, les parties se mettent d’accord pour que l’avis soit exprimé à telle date, un CE qui s’estime suffisamment informé, ce qui peut effectivement être le cas, doit donc impérativement agir avant la survenance du délai.
Le juge peut, dans ce contexte, ordonner la communication de documents complémentaires et proroger les délais.
Mais ce que le législateur a voulu éviter, c’est très précisément la situation de l’espèce où un mois après la mise en œuvre d’une réorganisation, le CE assigne la direction à une audience fixée près de deux mois plus tard pour obtenir la suspension d’une décision qui a déjà produit des effets, au motif d’une difficulté d’information.
C’est très logiquement, nous semble-t-il, que les demandes du CE et du CCE ont été rejetées.