Michel Sardou réactionnaire ? Et alors !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 4/09/2019
On trouve toujours plus conservateur ou plus réactionnaire que soi, plus progressiste ou révolutionnaire que soi.
Michel Sardou me l'a démontré récemment si j'avais eu la prétention grotesque de me mesurer à lui sur le plan de la réaction.
Dans l'émission d'Augustin Trapenard sur France Inter il a déclaré qu'il "haïssait ce siècle et cette époque" en critiquant avec talent et vulgarité tout ce que la modernité et l'actualité charrient : les Gilets jaunes et les Gilets de toutes les couleurs, les débats politiques, les interventions répétées du président de la République, The Voice et les télé-crochets, les réseaux sociaux, la multiplication des interdictions, bref à peu près tout.
Il a eu une forme de courage parce que notre époque n'aime pas qu'on ne l'aime pas comme l'a rappelé Elisabeth Lévy le 3 septembre dans sa chronique sur Sud Radio et il est très malséant de cracher sur l'éclat et les lumières même délétères de notre monde.
Je ne suis pas persuadé que sur le plan de la forme Michel Sardou ait ajouté quoi que ce soit à la portée de ses détestations en abusant des "merde" et des "j'en ai plein le c*l".
Le sort médiatique considérable qu'on a réservé à cette charge d'un chanteur infiniment populaire reconverti depuis quelques années en comédien de théâtre, alors qu'il n'a jamais eu la parole tiède et retenue, que ce soit comme artiste ou comme citoyen, démontre à quel point notre climat est conformiste et peu habitué à des opinions extrêmes et brutalement, sincèrement exprimées.
A bien y réfléchir, les indignations de Michel Sardou, pour être globales, ne sont pas d'une telle originalité qu'elles justifient à elles seules de créer cet émoi. Seulement elles émanent d'une personnalité connue et en général discrète et cela suffit pour qu'on constitue une sorte de râlerie sur tout quasiment en modèle de pensée et de vie !
Michel Sardou est un réactionnaire d'humeur et d'instinct, un protestataire excédé par une surabondance d'informations, d'échanges, de discussions et de modernité qui l'accable. Une sorte d'Alceste qui vient cependant régulièrement sur les planches pour jouer des textes parfois brillants comme ceux de Sacha Guitry - par exemple "N'écoutez pas, Mesdames" !
Mais un Alceste choyé, courtisé à proportion de ses intermittences médiatiques.
Je le rejoins profondément non pas dans sa haine globale de l'actuel mais dans ce que sa démarche a de libre et de spontané. C'est peut-être cela être réactionnaire : ne pas idolâtrer forcément le présent et n'attendre pas obligatoirement du fil du temps des merveilles ! Il y a des passés inoubliables, des présents dispensables et des futurs à craindre !
Que Michel Sardou soit réactionnaire est une évidence et cette éruption fait du bien dans la mesure où elle fait plus que troubler une bienséance homogène où tous les poncifs nécessaires sont proférés. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Catherine Deneuve qui se permet tout, et même d'avoir le plus souvent raison, l'a soutenu dans son pessimisme foncier. Le milieu artistique et culturel offre un verbe à côté duquel le politiquement correct est d'une audace folle !
Il me semble que, pour être un réactionnaire respecté, il convient tout de même d'éviter trois écueils dont, pour ma part, je suis très conscient.
Avec l'âge, ce qui s'appelle, sur le plan politique et intellectuel, réaction peut devenir de plus en plus, et presque inéluctablement, aigreur, ressentiment, solitude amère et mépris confortable. Ce n'est jamais l'âge ni la vieillesse qui sont des naufrages mais ce que parfois on les laisse faire de vous.
Il faut aussi prendre garde que la pensée, le réflexe réactionnaire, si on les laisse advenir sans mesure, peuvent apparaître pour des postures de privilégiés, telle une condescendance de ceux qui jugent, méprisent de haut à l'égard de la multitude qui est contrainte de pactiser tant bien que mal avec la quotidienneté. Les mains pleines, il est évidemment facile d'avoir l'esprit féroce.
Enfin le risque principal est de tourner en rond, à force, dans ses mêmes obsessions, de radoter ses désillusions et de répéter sa haine. On n'invente plus rien, on se contente de s'écouter et de se persuader que détester est le signe le plus éclatant de sa qualité.
Si on prend ces précautions, on pourra en effet se dire : Michel Sardou réactionnaire ? Et alors !