Notre colère vaut la leur !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 11/03/2015
Quand le Premier ministre n'est-il pas indigné et en colère ?
Depuis quelques semaines, il semonce le Font national sans aucun effet positif et, avec le président de la République, s'en prend à ceux qui, bien au-delà du FN et de l'UMP, sont désespérés par une politique pénale inspirée par une garde des Sceaux médiocre.
Manuel Valls mêle la rhétorique de l'antifascisme (Figaro Vox) au souci de la solidarité gouvernementale poussée jusqu'à des limites absurdes. A force de venir au secours de sa ministre de la Justice, il en oublie sa non assistance à la France en danger (Le Figaro.fr).
Au moment où j'ai écrit "garde des Sceaux médiocre", j'ai éprouvé un frisson d'inquiétude. Suis-je resté judiciairement correct ? Ai-je proféré les mots auxquels j'ai droit ? Ai-je bien su faire le départ entre la responsable de la Place Vendôme et la femme native de Cayenne et qui ne cesse de nous le rappeler ? N'ai-je pas débordé de la ministre, n'ai-je pas trop élargi l'espace de la femme ? N'ai-je pas, sans le vouloir, laissé se glisser dans mon écrit l'intolérable évidence qu'elle était de Cayenne, noire et, il y a longtemps, sympathisante du courant indépendantiste ? Suis-je bien resté dans mon pré carré qui autorise, mais à peine, la dénonciation politique et judiciaire avec une interdiction absolue de mettre en cause tout ce qui n'est pas strictement relié à l'activité ministérielle de Christiane Taubira?
Elle a le droit de parler de tout, mais pas nous. François Hollande et Manuel Valls ont le droit de parler de tout sauf du seul point qui nous intéresse : Christiane Taubira est-elle, oui ou non, un bon ministre ou seulement " un marqueur de gauche " pour la galerie socialiste ?
Le pouvoir a le droit de faire en permanence la morale, que ce soit au FN qui n'est "ni la République ni la France" et que la réalité scandaleusement irrigue, à l'UMP qui a "brisé les digues" et aux Français qui, obtus, ne comprennent pas leur bonheur d'avoir une garde des Sceaux atypique, plus préoccupée de sa propre considération que des attentes populaires !
Parce qu'il va être de plus en plus difficile d'évoquer Christiane Taubira et de critiquer la ministre !
Déjà il y a comme une réprobation "républicaine" de principe à n'être pas touché par la grâce et à demeurer insensible à son aura ! Mais pour le langage, que de pièges et de chausse-trapes si, démocrates, on prétend encore avoir un peu la liberté de penser et d'exprimer librement sur la sécurité, la justice et la garde des Sceaux!
Elle n'est pas "une guenon" et il était vraiment indigne de l'insulter de la sorte.
Il était honteux, pour elle comme pour toute autre de couleur, de tomber dans l'ignominie de "la banane".
Mais "tract ambulant pour le FN, mis en avant par François Hollande" serait odieux ? Parce qu'ambulant, associé à tract, ferait référence à noire et qu'il aurait fallu plutôt l'assimiler à un bulletin de vote ! De surcroît, oser associer le FN à François Hollande est évidemment à déconseiller puisque ce serait en totale bonne foi que celui-ci s'obstine à résister à la majorité des citoyens et des professionnels du monde judiciaire en maintenant à son poste cette ministre !
Tout cela relève de l'inepte et du terrifiant rétrécissement de la parole démocratique.
Une 1ère adjointe UMP de la mairie de Juvisy-sur-Orge s'est laissée aller à déclarer que "c'est pitoyable d'avoir une telle ministre...". Je suis d'accord avec elle.
"Elle vient de Cayenne où il y avait un bagne. Qu'elle reparte là-bas, vu qu'elle a toujours détesté la France".
Il est exact que Christiane Taubira "vient" de Cayenne, on le sait et elle ne nous l'a jamais laissé ignorer. Il est exact qu'il y a eu "un bagne" à Cayenne. Il est exact que si elle n'a pas "toujours" détesté la France, elle a eu pour le moins, à une certaine période de sa vie, une relation distanciée et critique avec celle-ci.
Il est clair qu'elle continue à avoir une tendance au communautarisme judiciaire quand, pour justifier que le Parquet soit au même niveau que la défense dans une juridiction en Martinique, elle invoque "une tradition locale" qui devrait peser plus que l'homogénéité et l'unité nationales sur ce plan qui relève de la structuration permanente des rapports entre siège, parquet et défense (Boulevard Voltaire).
Je n'aurais pas usé des mêmes termes que cette première adjointe qui fait de la politique comme les socialistes en font, mais à rebours.
Le Premier ministre se permet de dénier, devant la représentation nationale, que le FN soit "la République et la France" - ses électeurs nombreux apprécieront - mais soutenir que Christiane Taubira revienne à Cayenne, qui est en France, pays qu'elle aurait "toujours détesté", serait ignoble ?
Ce n'est pas fréquent chez moi mais force est de reconnaitre que le Premier Secrétaire du PS est pour une fois cohérent dans cette affaire. Si j'ai bien saisi, il enjoint à l'UMP de sanctionner cette 1ère adjointe qui a dit que Christiane Taubira était "noire".
Si je le crédite en effet de cohérence en l'espèce, c'est qu'il tranche avec l'attitude généralement adoptée par le pouvoir. Ce dernier déverse ses sermons, ses remontrances, ses leçons de pureté républicaine mais se garde bien - ou alors trop peu - de faire engager des poursuites pour des propos ou des comportements qu'il affirme racistes. Sur la seule foi de sa bonne conscience partisane.
De la sorte il occupe abusivement le terrain, prétendument par éthique, et se campe entre la liberté totale et le processus judiciaire. Dorénavant il conviendrait de se moquer de ses crises de colère et d'indignation tant qu'elles n'iront pas au bout. Ou la justice sera saisie pour un vrai débat au regard de la multitude des griefs et des accusations à l'encontre de la ministre Taubira et de leurs éventuels excès ou il faudra cesser ces procès verbeux qui jouent avec des condamnations pénales virtuelles et qui émanent d'une gauche d'autant plus accrochée à l'oriflamme - est-ce permis ? - de Christiane Taubira qu'il est tombé pratiquement en lambeaux.
Je le répète, il faut être impitoyable avec les dérives et les transgressions véritables qui dont aisément détectables : ce sont celles qui, gauche et droite confondues, sont rejetées et dont la judiciarisation est inévitable.
Mais qu'on n'oublie pas non plus qu'à force de rejet, d'indifférence et de mépris, des citoyens élus ou non peuvent malheureusement s'abandonner, au-delà de la révolte politique, à des malfaisances humaines. Ils sont coupables mais on ne peut pas, par provocation, maintenir un ministre qui perd sans, à la longue, exacerber un climat que par ailleurs on persévère à chauffer à blanc (est-ce toléré ?).
En conclusion - cela ne s'est pas produit depuis très longtemps et je suppute que cette bienveillance ne se renouvellera pas de sitôt -, j'approuve absolument Nicolas Sarkozy qui, lors de la commission exécutive de l'UMP le 4 mars, a soutenu Gérald Darmanin et invité les cadres à s'inspirer de lui (Le Canard enchaîné).
Il est navrant que le président de la République se défausse avec désinvolture de son implacable responsabilité :"Que la droite continue à faire ce qu'elle fait avec Taubira et ça va servir le Front national".
Ceux qui ne veulent plus de cette ministre ne sont pas moins honorables que le dernier carré qui feint d'en raffoler.
La colère du président de la République et du Premier ministre a toutes les apparences pour elle mais notre colère vaut bien la leur.