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La passion des génies, génie de la passion ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 8/08/2020

Ce que nous avions ainsi en partage, comme magnifiquement ils nous faisaient la grâce de le dire à notre place, pour ce qui brûlait ou faisait mal, pour ce qui s'était perdu dans le temps ou avait duré sans faiblir, pour les lumières puis les ombres ! Il faut les remercier.

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La série sur "les couples mythiques de la littérature" est formidable (Le Figaro).

Je m'interroge sur ma propre dilection pour ces histoires de coeur et de corps, multiples, incandescentes, surprenantes, douloureuses, mélancoliques, la plupart du temps tristement finissantes, plus rarement revivifiées, comme pour le couple de Louise de Vilmorin et d'André Malraux.

Le fait qu'il s'agit souvent, sans abus de langage, de personnalités géniales, par exemple Paul Valéry, n'est pas pour rien dans mon enthousiasme de lecteur qui sait qu'il va pouvoir apprendre de la confrontation entre la passion de la littérature, la littérature de la passion - songeons aux éblouissantes correspondances que cette dernière a fait surgir - et les mille aléas d'une existence soumise, pour le meilleur ou le pire, à des sensibilités d'exception, à des élans amplifiés de savoir s'exprimer.

L'allégresse comme la souffrance ne sont jamais neutres : un André Malraux, une Louise de Vilmorin ou un Paul Valéry, pour paraître subir, endurer et s'émouvoir comme nous, nous font découvrir des territoires étranges révélant qu'il y a la passion amoureuse et singulière des génies, suscitant la passion de tous ceux que ces destins exceptionnels fascinent et exaltent.

J-ai-vu-Louise-de-Vilmorin-devenir-Marilyn-Malraux-.-Par-Jean-Chalon

Nous sommes comme devant un spectacle qui ne nous rend pas jaloux. Le génie de la littérature manifeste ensuite l'absolue différence entre eux et nous. Ils relèvent de la même famille humaine que nous - et nous transportent par les mots dans un univers de fierté par substitution.

Mais cette passion des génies les fait-elle échapper, comme par miracle, à tout ce que la passion peut charrier d'attentes insupportables, d'espérances déçues, d'éloignements subis, d'angoisses de finitude ou sur la fragilité du bonheur ? Leur donne-t-elle, magiquement, le génie de la passion, l'art de maîtriser le libre, l'irrésistible, l'instinctif et le spontané, le don de constituer le répétitif et l'habituel comme un inconnu de chaque jour, le mode d'emploi somptueux et délicieux du corps follement aimé ?

Bien sûr que non.

Il suffit pour s'en convaincre de prendre de plein fouet ce déchirement de Paul Valéry: "Tu sais bien que tu étais entre la mort et moi. Mais hélas il paraît que j'étais entre la vie et toi..." ou cette finesse de Louise de Vilmorin: "Il est vrai que mon Malraux est une merveille et que je l'adore ; mais je crains mon bonheur et plus je suis heureuse, plus je tremble".

Leur génie de la littérature nous rendait étrangers à leur monde et on aurait pu songer que leur talent les aurait dispensés des heurs et malheurs ordinaires.
Mais, faute d'avoir, comme une science infuse, le génie de la passion mais aussi ballotés et maladroits que nous, sur ce plan ils n'ont pas de leçons à nous donner.

Ils sont comme nous, dans le royaume des coeurs et et des corps, dans l'humaine condition. Cette familiarité est sans doute le principal ressort qui nous incite à nous pencher sur "ces couples mythiques", avec admiration et à la fois avec fraternité. L'art les met à part puis nous les retrouvons dans la vie.

Ce que nous avions ainsi en partage, comme magnifiquement ils nous faisaient la grâce de le dire à notre place, pour ce qui brûlait ou faisait mal, pour ce qui s'était perdu dans le temps ou avait duré sans faiblir, pour les lumières puis les ombres !

Il faut les remercier.


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