Du sans-faute "Balkany" au pathétique "Fillon"...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 4/03/2020
On est tellement habitué à critiquer la Justice qu'on ne remarque même plus quand elle a été la hauteur de sa mission. On continue imperturbablement à la dénoncer pour ne pas se trouver dans l'inconfort d'avoir à la féliciter.
Pourtant elle a commis un sans-faute dans le traitement des dossiers du couple Balkany aussi bien en première instance qu'en appel. Le processus judiciaire n'est pas encore totalement terminé mais il est largement engagé et autorise une appréciation lucide sur lui.
Les jugements ont été fondés et pertinents, les sanctions justifiées et l'arrestation à l'audience de Patrick Balkany compréhensible.
Celui-ci a été à plusieurs reprises maintenu en détention malgré ses demandes de mise en liberté et ces refus ont été argumentés et précis jusqu'au moment où son état de santé a été tel que, sauf à vouloir le constituer comme un martyr, il convenait de faire droit à sa dernière requête à la tonalité plus humanitaire que juridique.
Ce n'était pas oublier le matamore qu'il avait été lors des débats correctionnels sur la fraude fiscale massive qu'il avait perpétrée avec son épouse ni les interventions constantes et inopportunes de celle-ci cherchant à apitoyer sur lui plus qu'à convaincre de leur intégrité.
En appel, l'arrêt rendu sur cette même affaire fiscale a été sévère mais équilibré, n'ajoutant pas une surenchère de répression mais veillant à une balance entre ce qui est dû à la société au regard de la gravité de l'infraction et aux appelants avec leur situation particulière.
L'inéligibilité du couple, avec exécution provisoire, sans que le pourvoi en cassation éventuel puisse donc la battre en brèche, était la mesure qui s'imposait sur le plan politique. S'il y avait encore des habitants de Levallois sous le charme du maire et de son épouse, il convenait de soustraire leur immoralité de cette cité et de la laisser être dirigée par d'autres.
C'est clairement donc un sans-faute "Balkany" qui non seulement montre que la Justice n'est pas maladroite pour statuer sur des dossiers sensibles et anciens mais qu'elle est capable d'en tirer le meilleur pour la démocratie sans oublier la force de la loi ni le particulier des êtres.
Je relie les époux Balkany aux époux Fillon même si les espèces n'ont rien à voir les unes avec les autres. Mais il s'agit de procès politiques au sens large.
Celui de François Fillon et de son épouse est tombé, après une médiatisation initiale intense, dans une quotidienneté où l'intérêt est moins soutenu. Il donne également une image honorable de la Justice. Si je m'en rapporte à ce qui est dit de la présidente du tribunal correctionnel, elle échappe à l'ironie, à la dérision et à toutes ces facilités que certains magistrats s'octroient pour se donner un rôle qu'ils croient beau et qui est au fond vulgaire (Le Figaro).
Si je n'ai pas envie de poursuivre ce thème, ce n'est pas que je doute du sans-faute à venir mais parce que mes préoccupations, voire ma tristesse, s'attachent surtout au pathétique "Fillon". On me pardonnera, je l'espère, mais je ne peux m'empêcher d'être ému, humainement et judiciairement, par cette défense absurde dont on se demande si elle n'est pas seulement inspirée par un "Tout est perdu, fors l'honneur"! Mais l'honneur lui-même est une denrée périssable quand l'allure dont il se revêt est trop éloignée de la réalité des agissements ou des abstentions.
Comment ne pas souffrir, même sur les seuls comptes rendus, face à la précision des interrogations et au vague des réponses, au harcèlement des questions et au flou des répliques, sans compter les incertitudes et approximations ? Ce malaise s'accentue devant la personnalité en retrait de Penelope Fillon, ostensiblement effacée et dépendante, peu convaincante dans le rôle qu'elle se prête du bout des lèvres quand son époux, pour la secourir, la suppléer, la sortir d'affaire, intervient pour mettre de la consistance dans le vide ou pour affirmer qu'il y a des domaines qui ne relevaient que de sa totale liberté de politique et de parlementaire.
Soit elle a travaillé (mais sans preuves) soit cela ne concerne pas les juges. C'est un peu court et dangereux.
Le pathétique "Fillon", c'est d'abord à mon sens cette inaptitude à changer de registre et donc de s'en tenir à une défense classique, traditionnelle, qui présente ce double handicap : faire se caricaturer François Fillon et se fragiliser encore davantage Penelope Fillon.
Mais chacun fait comme il veut, comme il peut, face à ce qui lui est reproché.
Je ne suis tout de même pas peu fier, comme ancien magistrat, du sans-faute de la Justice. Rendons-lui au moins cette justice !