L'Algérie ? Pas trop!
Justice au singulier - philippe.bilger, 9/06/2012
Il y a des livres dont il faut parler.
Parce qu'ils emplissent des vides ou s'opposent au trop-plein.
J'ai d'autant moins de scrupules à recommander Vive l'Algérie française ! de mon ami Robert Ménard et de Thierry Rolando, aux éditions Mordicus que le lecteur n'aura, au plus, que vingt minutes à consacrer à ce petit ouvrage et que surtout, médiatiquement, je fais le pari qu'on ne parlera pas de lui.
Il est évident qu'une telle provocation, si ostensiblement réactionnaire, ne trouvera grâce nulle part et qu'on préférera nous infliger ces faux dialogues de complaisance réciproque, ces échanges promotionnels qui sont devenus une manière, notamment pour les hebdomadaires, de laisser croire qu'ils ont de la substance quand ils se mettent en réalité au service de la publicité personnelle, artistique ou intellectuelle. Souvent les mêmes interlocuteurs : Amanda Sthers, Denis Podalydès, Christine Orban, et je pourrais en mentionner d'autres.
Pourtant, quel débat authentique et stimulant pourrait naître de la confrontation entre les tenants obsessionnels de la repentance et du masochisme antifrançais d'un côté et Robert Ménard de l'autre !
Non pas que tout, dans ce libelle de trente pages, soit forcément exact ou mesuré mais force est de reconnaître qu'il apporte enfin une réplique avec verve et un excès assumé au sentiment dominant qui fait de l'Algérie d'aujourd'hui une victime exclusive du colonialisme français en oubliant notamment la part positive de ce dernier, les horreurs commises par le FLN au cours de la guerre d'indépendance et le lâche et scandaleux abandon des Harkis.
L'indignation de Ménard et Rolando tient plus au fait incontestable qu'en permanence la balance est faussée, qu'on n'entend sur cette Histoire douloureuse, dramatique et équivoque que les mêmes "experts", analystes et militants, que les mêmes artistes et cinéastes, qu'une seule vision est offerte et présentée et une même contrition formulée. A-t-on jamais pu, sur un plateau de télévision traitant de l'Algérie d'hier et des Français d'Algérie chassés dans les conditions qu'on sait avec une très lourde responsabilité toute de cynisme froid de Charles de Gaulle, bénéficier d'un autre point de vue que celui de Benjamin Stora, habitué, irremplaçable pour les partisans de l'hémiplégie historique culpabilisante ?
Le pire est que les Pouvoirs, quels qu'ils soient, les instances officielles, les médias, les cercles influents prétendent même interdire aux Français d'Algérie, aux Rapatriés de rendre hommage à tout ce qui a constitué leur histoire, sang, morts, douleurs et bonheurs mêlés. On a le devoir, pour l'Algérie d'aujourd'hui, par prudence diplomatique, par lâcheté historique, d'effacer ce qui pourrait accabler l'incurie et les incompétences présentes en acceptant un procès expéditif contre le rôle de la France là-bas dans le passé. Mais on n'a pas le droit de sauver avec émotion et fidélité ce qui pourrait consoler de l'arrachement et apaiser la mémoire.
Le trop-plein, c'est cela. Trop de pensée unique, trop d'absolutisme, trop peu de nuance, trop de bonne conscience dans la désolation à sens exclusif, trop peu de courage dans l'analyse, trop de démagogie, trop peu de compassion, une Histoire absurdement tirée au cordeau comme un bloc, un humanisme unilatéral, une réalité mutilée, un Etat privilégiant l'accommodement par rapport à la vérité même si elle est subtile et contrastée, trop peu de Camus, trop de Sartre.
Pour faire lire cette dénonciation brève, pugnace et, dans le climat actuel, audacieuse, si je n'avais qu'un argument à faire valoir, qu'on s'attache à sa conclusion où est cité un texte superbe et vengeur d'Alain Finkielkraut renvoyant dans leur bêtise idéologique deux élus communistes de la ville de Paris hostiles au transfert des cendres du général Bigeard aux Invalides.
Un extrait que je privilégie : "Nous vivons en temps de paix. Et ce qui est réclamé à tous les bleu-bites que nous sommes, c'est juste un peu d'humilité devant l'histoire..."