Actions sur le document

Valls hésitation ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/06/2012

Peut-être Manuel Valls réussira-t-il là où tous, de tous bords, ont échoué : incarner un humanisme qui ait du corps et de la force. Et de la tenue.

Lire l'article...

Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, espéré par beaucoup à ce poste, offre aux citoyens cette certitude d'une passion et d'une compétence mêlées.
Qu'importe qu'on le qualifie de "socialiste de droite" (L'Express) - à bien y réfléchir, le plus beau des compliments - ou qu'on s'interroge sur ce qu'il va faire comme si nous étions dans le flou à ce sujet (Libération). Manuel Valls, depuis qu'il a été nommé, met en application ce que ses propos, ses écrits, les échanges qu'avec d'autres, j'ai pu avoir avec lui n'ont pas cessé de vouloir transmettre : une conception républicaine de l'autorité,la double exigence d'une démocratie en sécurité et d'une sécurité compatible avec la démocratie.
Ce qui immédiatement surprend par rapport à ce qui précédait tient au retour en force des associations et des syndicats policiers dans le débat public, face aux pistes de réflexion ou plus opératoires ouvertes par le ministre. Cela fait du bien de constater cette effervescence qui apparemment sait se garder de toute idéologie pour privilégier une approche professionnelle et technique. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les policiers parvenaient à se faire entendre en s'imposant mais la concertation n'était pas la méthode privilégiée. Il est clair qu'en revenant sur cette mauvaise pratique, la mise en oeuvre des changements consensuels sera plus efficace. Pour les corps dont l'aptitude au mouvement n'est pas la qualité fondamentale, il convient qu'ils jugent nécessaires les réformes inévitables parce qu'ils les auront validées.
Devant les commissaires, mettant en garde contre les contrôles abusifs et le tutoiement, il n'a fait certes que répéter ce sur quoi la hiérarchie policière est vigilante mais cette réitération est loin d'être superfétatoire parce que les comportements qu'elle vise se produisent trop souvent au quotidien pour ne pas être ciblés sans relâche. Surtout, il est permis de supposer que dans cette nouvelle conjoncture politique et avec une perception différente des missions et de l'action de la police, du type de relation qu'elle doit entretenir avec les citoyens, les recommandations déontologiques rappelées par le ministre seront diffusées plus largement et respectées avec plus de rigueur. Le climat républicain dépend évidemment du comportement policier mais celui-ci ne peut qu'être influencé favorablement par l'instauration d'une tonalité générale plus démocratique.
Le ministre de l'Intérieur a raison, et le Premier ministre a tort en demeurant sur cette ligne, de ne plus évoquer la remise d'un récépissé par le policier au citoyen contrôlé. Cette mesure serait techniquement et psychologiquement inappropriée. Elle conduirait le fonctionnaire intervenant à justifier ostensiblement son activité, alors qu'elle est légitime, et autoriserait la personne une fois contrôlée et bénéficiaire d'un récépissé à échapper à d'autres sollicitations qui pourraient précisément être nécessaires. Que la police doive rendre des comptes à la société qu'elle est censée protéger, soit, mais que cela n'aille jusqu'à placer la première sous le joug d'une civique et subtile humiliation.
En revanche, réhabiliter le matricule constituerait une bienfaisante initiative qui, grâce à l'identification qu'elle permettrait, limiterait l'abus possible du policier et représenterait une avancée pour le quidam en face de lui. Tout ce qui sera de nature à "personnaliser" le lien de contrôle et de vérification entre le citoyen et "sa" police devrait recueillir l'assentiment.
Manuel Valls a perçu d'emblée l'une des difficultés les plus lourdes pour l'exercice du métier policier: les rapports de celui-ci avec la magistrature, les modalités judiciaires. Il a décidé de créer un certain nombre de commissions police-justice qui auront, si leur fonctionnement donne satisfaction, un effet décisif sur la restauration d'une loyauté et d'une confiance entre ces deux professions au service de la démocratie. Non, la magistrature n'a pas l'esprit propre et la police les mains sales. Non, l'attitude de condescendance, voire de mépris de certains magistrats à l'encontre de la police n'est pas normale. Aux qualités qu'on exige d'un policier, connaîtrait-on beaucoup de magistrats dignes de l'être ? On a le droit de poser cette question qui n'est pas choquante. Les commissions se pencheront utilement sur ces éléments et tenteront de trouver une solution au fait que des enquêtes de police parfois remarquablement conduites sont littéralement sabotées par une intervention judiciaire à la fois suspicieuse et médiocre, pour ne pas mentionner relaxes et acquittements suscitant une totale stupéfaction chez ceux ayant diligenté la procédure. Une incompréhension règne entre ces deux logiques, ces deux modes d'action sur le réel, ces deux regards. Rien ne serait pire que de l'accepter sans la combattre avec énergie.
Le ministre de l'Intérieur a également recensé des zones prioritaires qui imposeront un afflux de moyens et une reconquête de l'Etat de droit.
Si on cherche à synthétiser l'action de Manuel Valls qui n'en est qu'à ses débuts, je la sens inspirée partout par le souci de concilier fermeté et générosité aussi bien pour les naturalisations et les sans-papiers (Le Monde) que pour les contrôles d'identité, par la volonté de favoriser une police de proximité qui serve à quelque chose mais qui soit aussi et surtout une police d'urbanité.
Vaste chantier, énorme entreprise, mais le ministre qui a beaucoup réfléchi - avec son laboratoire/cité d'Evry - est prêt, j'en suis persuadé, à relever tous les défis. Ceux d'une République à protéger, ceux d'une République à respecter. Alors, tout sauf Valls hésitation.
Peut-être réussira-t-il là où tous, de tous bords, ont échoué : incarner un humanisme qui ait du corps et de la force. Et de la tenue.



Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...