Et si le dysfonctionnement était le pouvoir lui-même ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 19/03/2019
Personne n'est remis de l'ignoble journée qu'a été le samedi 16 mars.
Le président de la République, ayant précipité son retour d'un lieu où il n'aurait jamais dû être - maladresse fondamentale - a voulu "des mesures fortes pour que cela n'advienne plus".
Le Premier ministre en a annoncé quelques-unes. Sont-elles "fortes" ? (Le Figaro)
La principale est le limogeage du préfet de police de Paris Michel Delpuech déjà remplacé par Didier Lallement. Apparemment aussi de son directeur de cabinet. Le premier aurait donné des instructions "inappropriées" au sujet de l'usage des LBD. Cela sent le prétexte à plein nez et relève trop d'une tradition française d'évitement pour constituer le choc espéré.
Ce préfet remplacé ne serait-il pas aussi une nouvelle victime de l'affaire Benalla ?
Osons le dire. On n'a jamais connu un gouvernement moins réactif, un pouvoir plus long à la détente. Et si Macron "hausse le ton", il a mis le temps ! (Le Parisien)
Quand au lendemain de la sauvagerie et de la casse on énonce le plus sérieusement du monde qu'il y a eu des "dysfonctionnements", on n'en est pas surpris et la banalité incontestable de ce constat occulte un élément capital : et si le dysfonctionnement n'avait pas été le pouvoir lui-même ?
Qu'on en juge.
Le 1er mai 2018, dans les marges du défilé syndical, des blacks blocs en liberté et en saccage, masqués et échappant à toute interpellation. Déjà la dénonciation d'une incurie grave dans le maintien de l'ordre républicain.
Puis à partir de la mi-novembre, dix-huit samedis dont la plupart ont été catastrophiques à Paris comme à Toulouse et à Bordeaux. Pour ne pas évoquer Bourges où la manifestation a dégénéré.
A chaque fois des Gilets jaunes, déclarant ou non les rassemblements, ont été soit impuissants face à des débordements et à des violences soit directement impliqués dans leur commission avec le harcèlement constant et usant des forces de l'ordre.
A chaque fois il était patent qu'aucun de ces samedis ne se déroulait sur un mode tranquille et pacifique et que peu ou prou il se dégradait inéluctablement pour tomber dans le paroxysme honteux et odieux du 16 mars avec des Gilets jaunes mettant la main à la pâte avec des casseurs venus de l'étranger et n'ayant pas fait mystère de leur arrivée. Des Gilets jaunes aussi se glorifiant d'avoir volé et pillé et, comble de l'indécence pour d'autres, applaudissant et filmant les casseurs en pleine action destructrice et incendiaire.
Pour l'ensemble de cette frénésie renouvelée avec une régularité à laquelle le pouvoir semblait s'être habitué sans tenter même de la briser, un milliard d'euros, toutes malfaisances comprises, de préjudices commerciaux (Sud Radio).
Une loi anticasseurs à la promulgation retardée par la saisine faussement habile - mais vraiment dommageable - du Conseil constitutionnel par le président de la République.
Comment, alors, le gouvernement ne s'est-il pas senti ridicule en feignant de découvrir avec une indignation stupéfiée ce qui crève les yeux depuis quatre mois et déshonore notre démocratie ?
Comment l'idée d'instaurer un état d'urgence a-t-elle pu ne pas germer dans sa tête ?
Face à cette insupportable dérive et à une passivité qui malheureusement n'était pas délibérée - imputer au pouvoir d'avoir été complice des casseurs est non seulement offensant mais tristement faux : dépassé par les désordres, il n'a même pas pris le parti de les administrer ! Il a été longtemps seulement dépassé, faisant le gros dos en espérant une accalmie, une embellie qui ne sont pas à l'ordre du jour.
Qui, au regard d'une impuissance si durable, n'aurait pas considéré que le préfet de police était certes l'un des artisans de la faillite mais que son principal responsable était le pouvoir lui-même et que le dysfonctionnement tenait à son inlassable cécité et mollesse ?
Je n'évoque même pas les suites du grand débat national où certes les échéances sont respectées - avec les conclusions annoncées pour la mi-avril - mais il me semble qu'on a aujourd'hui le droit de s'interroger à cause de l'atmosphère publique et civique délétère : ne faudrait-il pas sur ce plan également accélérer le processus ?
Je sais bien que l'Elysée a organisé dans la soirée du 18 mars un raout réunissant une soixantaine d'intellectuels pour qu'ils dissertent, durant huit heures, avec le président sur une réalité qu'on ne subit que trop et continuent à favoriser les commentaires et les explications d'un pouvoir acharné à se détourner des actions dures, difficiles et courageuses que l'état du pays imposerait. Bizarrement , sorti par la porte du Hollande adapté semble rentrer par la fenêtre !
Sans faire de mauvais esprit, le dysfonctionnement dénoncé le 18 mars par le Premier ministre aurait dû conduire le pouvoir à s'auto-accuser. "Recadré par le président, Castaner n'a plus droit à l'erreur". Certes mais le président s'est-il "recadré" lui-même ? Ils n'ont pas poussé le masochisme jusque-là !
Dommage. Ç'aurait été de la lucidité et de l'honnêteté.