Prévenir la récidive est nécessaire, mais insuffisant (486)
Droits des enfants - jprosen, 22/09/2012
On ne peut que saluer l’initiative de la Chancellerie de lancer une conférence de consensus » pour rechercher des pistes performantes afin de prévenir la récidive de la délinquance. On a tellement légiféré dans le passé récent, plus en réaction instinctive et politique aux évènements dramatiques qu’au regard de données scientifiques fiables, qu’on ne boudera pas cette première.
Bien évidemment il ne faut pas en attendre de miracles. L’enjeu n’est pas d’empêcher la récidive, mais de la réduire quand on observe dans la dernière période une hausse des passages à l’acte en réitération, preuve s’il en est que la réponse apportée aux actes précédents n’a pas été efficace. Sans aller jusqu’à dire que la prison est systématiquement l’école du crime dénoncée de longue date et bien avant Alain Peyrefitte, force est de constater que les sortants de prison repassent souvent à l’acte (63% ?). La prison punit le coupable ; elle est une forme d’exécutoire pour la société, spécialement pour la victime ; elle maintient un individu hors du circuit un temps plus ou moins long ; en revanche si elle se fixe un objectif d’insertion elle échoue largement, en tous cas trop fréquemment.
Ces dix dernières années les gouvernements conscients des limites du tout carcéral ont eux-mêmes fait passer de 6 mois à 2 ans le seuil de la peine qui doit obligatoirement faire l’objet d’un aménagement alternatif à l’incarcération dès lors que le mandat de dépôt n’a pas été délivré à l’audience !
En faisant simple, on peut dire qu’au mieux la répression pure et dure ne s’attaque pas aux causes liées de la délinquance d’une personne ; au pire, elle les accentue. Ce que disent les délinquants sexuels interrogés – et leur part dans la population carcérale aujourd’hui est loin d’être négligeable – illustre bien le propos : rien ou quasiment rien n’est fait pour s’attaquer aux raisons profondes des agressions commises même lorsqu’ils sont demandeurs de soins; il leur faudra attendre la sortie de prison pour qu’une psychothérapie soit engagée.
La Chancellerie n’a donc pas tort de vouloir rechercher des démarches dans et hors la prison, en marquant que le tout carcéral n’est pas la réponse. La prison – et une autre prison que celle que nous connaissons – a sa place dans la gamme des réponses, mais il faut inventer des alternatives quand ce n’est pas tout simplement se donner enfin les moyens des objectifs affichés. Je pense à la mise à l’épreuve qui devrait être plus rapidement mise en œuvre, mieux suivie, mieux étayée ce qui suppose certainement plus de moyens humains mobilisés (magistrats, travailleurs sociaux, psychiatres etc.) et sûrement une révolution intellectuelle.
Un écueil majeur doit être évité sur un sujet aussi sensible : laisser croire qu’on va découvrir LA recette. Dans son interview au Monde la ministre le dit clairement : il y aura toujours des crimes dont l’odieux prendra l’opinion publique de plein fouet. Penser éradiquer ces crimes ou laisser à croire qu’on va les empêcher à coup sûr serait non seulement une erreur mais se priver d’entrée de jeu de tout crédibilité, Et ce dans une période où les procès d’intention volent bas, où les pires mensonges sont avancés comme celui de M. Guéant, ancien ministre de l’intérieur affirmant que depuis l’élection de François Hollande la délinquance a augmenté ! Bien évidemment ces excès disqualifient leurs auteurs mais vis-à-vis de l’opinion publique il faut une approche sérieuse tant dans les objectifs que les moyens mis en œuvre.
Non seulement il n’y a pas de recette pour prévenir la récidive, mais il ne faut surtout pas laisser à penser que lutte contre elle va résoudre le problème de l’insécurité. Ce serait oublier qu’avant de réitérer les délinquants ont un premier passage à l’acte et que c’est ce premier passage à l’acte qu’il faut empêcher, pour l’auteur mais aussi pour la victime potentielle. Une fois de plus il est nécessaire d’affirmer qu’il faut mener de front les deux objectifs politiques : lutter contre la récidive et lutter contre la primo-délinquance. On parle souvent de la première pour négliger la seconde. Et quand on parle de prévention on a trop longtemps et uniquement répondu vidéosurveillance, négligeant que ce dispositif mécanique n’évite pas la délinquance ; au mieux il la déplace et permet d’interpeller les auteurs.
Il eût donc été intéressant en parallèle à l’initiative prise par Mme Taubira de provoquer une conférence de consensus sur la primo délinquance et mettre les conclusions des deux travaux en cohérence pour affirmer sur la durée une politique au service de la sécurité. Il est toujours temps.
Pour ne s’attacher qu’aux plus jeunes que les pistes pour prévenir la primo délinquance des mineurs sont bien connues depuis les Conseils de sécurité intérieure de 1998 et 1999. J’ai déjà eu l’occasion plusieurs fois de les reprendre ici, et de les approfondir. Je constate que peu a réellement été engagé.
Spécialement, il demeure urgent garantir à tout enfant la présence protectrice et structurante d’adultes légitimes juridiquement, socialement, psychologiquement et affectivement à exercer une autorité sur eux, à poser des interdits et à les faire respecter, mais aussi à montrer à ces enfants combien le respect de la loi peut être bénéfique. Etant rappelé que respecter la loi ne veut pas dire qu’elle soit dans tous les domaines gravée dans le marbre et qu’il ne soit pas utile de temps en temps de se battre par le bulletin de vote, l’engagement syndical ou politique pour la faire évoluer. Hier encore, ici, je fustigeais l’absence de législation sur les droits et obligations des tiers qui élèvent un enfant.
Puisque c’est l’exercice qui nous est proposé il nous faut aujourd’hui nous attaquer à la récidive.
J’aurai l’occasion comme bien d’autres d’avancer à partir de l’observation quelques pistes pour combattre la récidive chez les jeunes délinquants, mais deux axes me paraissent devoir être affirmés pour éclairer la démarche.
Déjà, dans la continuation de ce que je développais plus haut, je maintiens que ces jeunes manquent cruellement d’adultes, leurs parents, à défaut, d’autres adultes, et j'ajouterai spécialement d'hommes, qui s’inscrivant dans la durée, deux, trois, quatre ans, sinon plus, leur permettent de grandir autrement, les réconcilient avec eux-mêmes, leur offrent des pistes concrètes et de l’espoir. Ils peuvent avoir raté le train pour Polytechnique, mais ne pas être à jeter au rebut pour autan ! Ils ont des qualités. Comment les valoriser ? On peut monter des murs, et certains ne sont pas inutiles, réels ou fictifs, classiques comme la prison et désormais les centres éducatifs fermés, ou plus modernes comme le bracelet électronique, ils ne répondent pas aux questions fondamentales qui agitent un jeune en conflit avec la loi : trouver confiance en soi et avoir un avenir
Ainsi, l’axe premier doit être de privilégier les hommes sur les murs. Il faudra donc se méfier des réponses simplistes en termes d’équipements et de budget. Des structures et des moyens financiers sont nécessaires, mais la vraie réponse est ailleurs. Il faut trouver des gens qui vivent avec ces jeunes, les accompagnent, les recherchent, parfois les poursuivent, et déjà qui tout simplement sachent nouer une relation et gagner leur confiance et … ne pas lâcher prise. On peut mettre un chèque d'un ou deux milliards sur le bureau de la Ministre - qui s'en réjouira sans doute - le problème ne sera pas régleé dans l'instant. Il faut mobiliser et préparer ces hommes et ces femmes de qualité susceptibles de vivre avec ces jeunes, y compris des moments lourds et tendus où ils ne sont plus des monstres, mais des enfants ou des jeunes paumés. Ces nouveaux hussards de la République il convient de les rechercher au fin fond du pays. Il va nous falloir mobiliser la société civile au-delà des professionnels de la justice sans nier la compétence de ces derniers. L'argent peut contribuer à les trouver, mais n'y suffira pas. Il faudra leur démontrer qu’ils participent à une tâche collective.
Deuxième axe essentiel : redonner confiance aux professionnels pour qu’ils osent imaginer de nouvelles réponses quand dans la dernière période ils se sont souvent recroquevillés sur eux-mêmes. Bien entendu ils devront rendre des comptes mais pas pour juger tels des délinquants sur de prétendues fautes. Ils ont besoin d’être soutenus et de se sentir encouragés par la société – élus, médias, etc. -à aller au fond de leur compétence. Ainsi les psychiatres qui ont tendance à fuir toute collaboration avec la justice. Non seulement l’Etat n’honore pas en temps et en heure leurs frais de justice, mais on instruit en permanence leur procès en les rendant responsables des récidives. On attend trop d’eux comme experts ou comme soignants. Résultat : on manque aujourd’hui cruellement de psychiatres mobilisables.
En contribution à cette démarche de consensus je reviendrai plus avant sur ces pistes qui peuvent être suivies et je ne doute pas que dans ce sillage, à travers les commentaires, de nombreuses propositions émergeront.