Que faire de Nicolas Sarkozy ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 26/06/2012
Il bouge. Il s'impatiente. Il ne veut pas qu'on l'oublie. Il a fait perdre à la droite plusieurs élections dont la fondamentale mais ce n'est pas grave. Il y a des hommes que les circonstances n'abattent pas parce que leur personnalité, croient-ils, est infiniment au-dessus d'elles. Il paraît qu'Edouard Balladur continue à le conseiller : le financement douteux de sa campagne de 1995 n'a pas l'air de le perturber rétrospectivement. Insubmersible dans le contentement de soi. Ce serait fascinant si ce n'était pas d'abord surréaliste:l'échec venant se pencher sur l'échec.
Mais que faire de Nicolas Sarkozy ?
L'UMP donne l'impression de se réveiller. Plongée dans ce qu'elle imaginait être un rêve - on ne discute pas les rêves ! -, elle découvre qu'il a été peu ou prou un cauchemar. Les yeux, l'esprit dessillés (Le Monde).
Les courageux tardifs, les lucides d'après-coup m'ont toujours fasciné. Ceux qui parlent, agissent mais le mal accompli. Ceux qui font du vent et s'indignent après la bataille. Ceux qui refusent de voir et de constater pendant mais jouent les vedettes avisées et pertinentes quand c'est devenu inutile.
Jean-François Copé dénonce les sarkozystes qui osent réclamer un inventaire et dénoncer les modalités de la campagne du chef. Il faut les féliciter, au contraire, en déplorant seulement leur silence durant le quinquennat. Pourquoi l'abstention durable et la parole si rare ? Pourquoi la complaisance de cinq années et la vérité d'une analyse trop brève ? Pourquoi tant de soumission consentie et si peu de sursaut ou seulement les dés jetés ?
Jean-François Copé s'assigne pour ambition d'être à la fois "constructif mais implacable". Je lui souhaite bon courage pour concilier ces deux attitudes intellectuelles parfaitement contradictoires dont, au reste, il a clairement aboli la première.
S'il a gagné la première manche contre François Fillon, il n'est tout de même pas parvenu à étouffer les quelques voix sortant enfin de la discrétion, les rares caractères échappant à la lâcheté ambiante qui, les unes et les autres, ont mis un peu de désordre, de liberté et de critique dans l'examen du bilan et de la déroute sarkozystes. L'inconditionnalité se fissure mais a posteriori.
Jean-Pierre Raffarin, Roselyne Bachelot, Jean-Louis Borloo notamment ont aujourd'hui le verbe et l'écrit hauts quand hier ils auraient été encore plus nécessaires. Ces ouvriers de la 25ème heure, au moins, ont décidé de donner d'eux-mêmes une autre image mais ces prises de conscience décalées, au fond, les accablent.
Qualifier Roselyne Bachelot de "franc-tireuse", n'est-ce pas lui faire trop d'honneur quand elle avoue elle-même avoir été à plusieurs reprises "troublée" mais n'avoir rien dit parce qu'elle n'aurait pas été écoutée et aurait dû supporter "un flot de justifications" (Le Figaro). Raffarin, lui, désirait attendre pour ne pas jouer contre son camp. Quant à Juppé, il estimait impossible de s'opposer. Borloo, entre l'ambition et la retenue, en définitive a privilégié l'effacement. Tous, bien évidemment, ont eu d'excellentes raisons pour ne pas crier avec vérité et force ce qui crevait l'esprit et rendait choquante l'inconditionnalité. Même Nathalie Kosciusko-Morizet s'acharne à démontrer qu'elle n'a pas du tout été gênée par la campagne de NS alors qu'en même temps elle accuse son inspirateur Patrick Buisson d'avoir plaidé en faveur de Charles Maurras, ce qui est pour le moins contradictoire.
La seule personnalité qui ait pris le risque et eu l'audace de s'exprimer quand cela avait encore du sens est une femme, la sénatrice Chantal Jouanno qui par son attitude renvoie à leurs médiocres calculs tous ceux qui prétendent la dénigrer. Je ne force pas le trait mais bientôt - cela a d'ailleurs déjà commencé - on écrira l'histoire des cinq ans qui viennent de s'écouler sous l'angle de la résistance qui a su se manifester : par exemple, celle constante de Patrick Devedjian. Et non pas les joutes sentimentales et de pacotille genre Rama Yade ou Rachida Dati!
Je ne rejoins Roselyne Bachelot que sur un point qui est capital. Le débat sur la droitisation de Nicolas Sarkozy me paraît mal posé. L'ancien président n'a adopté la ligne forcenée et ostensible de connivence avec le FN qu'à partir du mois de janvier 2012 et "ce positionnement relevait plus de la tactique" (Le Figaro). Il me semble évident que Nicolas Sarkozy n'a rien en lui, ni dans sa conception intellectuelle et politique, qui le rapproche authentiquement du FN. Celui-ci n'est devenu une obsession pour le candidat qu'à partir du moment où l'écart était tellement grand dans les sondages entre son adversaire socialiste et lui qu'il convenait de tomber, avec hâte et sans vergogne, dans l'indécent. Non pas une droitisation extrême par conviction et qui aurait pu être acceptable sur certains points mais une droitisation cynique, sans y croire, ne s'embarrassant pas d'une méthode détestable et d'une honte démocratique pour une droite pourtant porteuse de tout en 2007.
Que faire de Nicolas Sarkozy ? L'idée du monastère en 2007 n'était pas mauvaise.
Elle pourrait être reprise, non ?