L'ennui de la paix, la vérité du conflit...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/08/2019
Durant les vacances, faute d'informations inutiles à nous communiquer, les médias deviennent parfois remarquables notamment avec la publication de séries consacrées à des thèmes divers tels que la politique, la littérature ou la vie internationale.
On a eu ainsi des articles passionnants sur le président chinois (Le Monde) et des entretiens parfois stimulants sur "La littérature et eux" (JDD).
Cela m'a rappelé les soirées bénies de l'ORTF en grève où nous n'avions que le journal télévisé suivi d'un film.
Dans le JDD, j'ai été particulièrement intéressé par les échanges avec François Bégaudeau qui avec une intelligence et une lucidité dont même ses adversaires l'ont souvent crédité a déclaré qu'il "met la littérature au-dessus de tout" mais surtout m'a touché grâce à une analyse très fine sur un état dont au quotidien, pour moi, j'avais seulement la perception confuse.
Le bonheur de ces esprits sincères et lumineux qui vont droit au coeur de la vérité !
On le questionne sur le point de savoir "s'il est un partisan des relations conflictuelles". Sa réponse mérite d'être quasiment totalement citée. "Dans ma vie il est rare que mes relations prennent un tour conflictuel. Mais le conflit, lorsqu'il a lieu, crée chez moi une excitation érotique. L'excitation tient au fait que quelque chose de vrai est en train de se dire. Il y a du vrai dans le conflit comme il y a du faux dans la paix. Il est excitant que les choses s'entrechoquent. Quand tout se déroule bien, lors d'un bon dîner bourgeois par exemple, on est dans l'agréable. Mais qu'un désaccord survienne autour de la table et, immédiatement, on s'ennuie un peu moins. Tout le monde va muscler son jeu. Dans le conflit, il y a de la vie en plus. Du point de vue politique, le corps social est conflictuel. Quand un dissensus se fait jour, quelque chose de la vérité du monde social s'exprime. Je trouve que nous sommes en déficit de conflits".
Tout est dit, me semble-t-il, de l'appétence de certaines natures pour le trouble, la dispute, l'intensité et la contradiction. Pour elles ces dispositions non seulement ne sont pas négatives mais au contraire chassent l'ennemi principal qui est en effet l'ennui. Elles leur donnent l'impression d'une existence authentique alors que se couler dans le lit de conversations inoffensives, d'où tout risque est délibérément exclu en vertu d'absurdes conventions sociales, est créateur d'un assoupissement intellectuel et humain dévastateur. On le voit bien si on prétend suivre les règles de la bienséance qui imposeraient de répudier le sexe, l'argent et la politique dans nos échanges conviviaux. Parce que ce sont à peu près les seuls qui pourraient allumer le feu d'une excitation bienvenue. Tout le reste est de la tiédeur élégante et superficielle.
Il y a, dans la paix, certes de l'ennui mais aussi de la bêtise. Elle est le refuge confortable, l'abri des gens qui n'ont rigoureusement rien à dire parce que penser vraiment, dire sincèrement, répondre librement, est conflictuel.
Il ne s'agit pas de faire de chacune des séquences de sa vie, quel que soit leur registre, une sorte de combat permanent où la vertu d'un caractère serait sans cesse dégradée en caractériel. Mais de n'avoir pas peur de l'affrontement qui surgit à tout coup quand on quitte les territoires mous et facilement consensuels de l'insignifiance.
Merci à François Bégaudeau d'avoir donné son brillant aval à ces ressorts qui me sont familiers puisque je les éprouve et qu'ils instillent en moi le sentiment d'être, la joie d'une identité qui se confrontant à celle des autres justifie sa vigueur et sa nécessité.
J'aime par-dessus tout pouvoir ainsi retrouver cette devise que j'ai faite mienne depuis longtemps et que j'ai tenté d'incarner le moins mal possible. Elle est de Balzac: "Je suis de l'opposition qui s'appelle la vie".