Traitement inhumain et dégradant aux Baumettes
Actualités du droit - Gilles Devers, 8/12/2012
La prison des Baumettes, lieu créé par la loi, géré par le Ministère de la Justice, occupé en application de décisions de justice, est un lieu de violation grave et systématique du droit. Et là, ce n’est pas moi qui m’énerve, mais le très officiel Contrôleur général des lieux de privation de liberté : « Le constat dressé par la vingtaine de contrôleurs qui ont visité, le centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, fait apparaître, sans aucun doute, une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation, incombant aux autorités publiques, de préserver les personnes détenues, en application des règles de droit applicables, de tout traitement inhumain et dégradant ».
Ce service en voit beaucoup, mais là, il en a vu trop, beaucoup trop, ce qui l’a conduit à ne pas se contenter d’un rapport, mais à utiliser la procédure prévue à l’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 qui lui permet « lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté », de saisir sans délai les autorités de ses observations en leur demandant d’y répondre.
Un état ancien et bien connu
Le Contrôleur souligne d’abord que l’état de dégradation est bien connu, et il rappelle les principaux rapports publiés depuis vingt, tous dans le même sens : Comité européen de prévention de la torture (CPT) en 1991 et 1996, Sénat en avril 2000 et Commissaire européen aux droits de l’homme en septembre 2005 qui concluait « Le maintien de détenus en leur sein me paraît être à la limite de l’acceptable et à la limite de la dignité humaine. » Or, explique le Contrôleur, « aucune amélioration substantielle n’a été apportée, en dépit des efforts des directions successives de l’établissement ».
Je souligne que le rapport ne retient aucun reproche contre le personnel, de la surveillance à la direction.
Les cellules
Le rapport donne la description d’une cellule :
« absence de la partie supérieure de la fenêtre ;
« fil alimentation téléviseur coupé (absence de prise) ;
« pas de lumière (ampoule manquante), pas de veilleuse pour le surveillant de nuit ;
« pas d’interphone d’urgence ;
« w.-c. récent mais non fixé au sol et chasse d’eau quasi inexistante, pas de cloison d’intimité, lavabo bon état mais fuite au sol au niveau du siphon ;
« pas de miroir ;
« réfrigérateur très sale et infesté de cafards tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ;
« murs sales, dégradés et presque couverts d’inscriptions en tous genres, nombreuses araignées et cloportes ;
« sol sale, nombreux détritus, pas de cabine de douche ni d’eau chaude ; aucun placard ni rangement, pas de quoi s’asseoir, pas de table ».
Voilà : nous en sommes en France, dans un service du Ministère de la Justice !
Les contrôleurs ont visité en détail 98 cellules, et seulement neuf n’ont appelé « aucune observation sérieuse ». Il existe des différences sensibles d’une cellule à l’autre, et l’affectation dans l’une ou l’autre détermine des conditions d’existence très différentes, ce qui décrit comme « un levier de la mise au pas ».
Insalubrité
Selon le rapport, « l’insalubrité et l’absence d’hygiène sont consubstantielles à la plus grande partie de l’établissement », et quelques exemples sont donnés :
« Trois ou cinq douches sur dix fonctionnent dans des salles de douche crasseuses, ce qui ne permet pas à tous ceux qui y ont droit de se doucher dans le délai prescrit.
« Depuis deux ans, les rats pullulent (on en voit même dans la journée) et s’ajoutent aux autres nuisibles : les surveillants font leur ronde de nuit en tapant des pieds pour les éloigner, avec un succès inégal.
Le rapport indique que « la sous-commission départementale pour la sécurité (incendies) a demandé, le 29 avril 2011, la fermeture des locaux ».
Des travaux ont été entrepris, avec la construction du bâtiment D, mais, « mal conçu, il reçoit des quantités importantes d’eau, à chaque averse, dans les coursives et les cellules » et « à la suite de mouvements du sol, il est l’objet d’importants défauts de structure qui interdisent sa pérennité ».
Budget en baisse
Pour faire face, l’administration dope les budgets… Non, elle les diminue ! « En deux ans, les crédits de maintenance courante ont diminué de près de 26 % ».
Les dotations budgétaires de l’établissement sont en baisse très sensible en 2012 par rapport à 2011 (– 7,2 %), et du fait des dépenses incompressibles, on prend là où on peut. La somme inscrite au titre de « l’hygiène et propreté des détenus » passe ainsi de 72 323 € à 30 000 € (– 58 %) et la ligne « fournitures et travaux », majeure dans la prison, de 284 611 € en 2011 se monte à 180 000 € en 2012 (– 36,7 %).
Sur-occupation et sous-effectif
Au 1 er octobre 2012, on compte 1769 détenus pour 1 190 places.
Il faut dire que Les Baumettes est une des rares prisons à gestion publique de la région, et les sureffectifs des prisons à gestion privée sont dirigés vers les Baumettes, pour éviter les surcoûts qui devraient être versés aux gestionnaires privés.
Côté personnel, c’est le sous-effectif chronique. Il arrive qu’il y ait un surveillant pour tout un étage (environ deux cents détenus).
Violence
En l’absence de moyens, très peu d’activités sont proposées (travail, sport, enseignement) et le seul moyen d’occupation est la promenade, mais qui refusée par nombre de détenus par peur des violences. « Une autre caractéristique de l’établissement réside en effet dans la violence qui s’y développe » et selon le rapport, « les médecins ont recensé depuis le début de l’année de la visite quatorze contusions multiples, huit plaies profondes, sept fractures diverses et plaies, trois trauma crâniens, un viol ».
Mesures urgentes à prendre
Il existe des projets de reconstruction, à moyen terme, mais le Contrôleur liste les mesures à prendre, et sans délai. Voici la liste,… on pourra faire le bilan dans quelques temps.
a) S’agissant des conditions d’hébergement :
– de diminuer les flux d’entrée dans l’établissement et de ramener la population à un niveau supportable, c’est-à-dire au nombre de places prévues (1 190) ;
– d’actualiser l’organigramme des effectifs datant de 1989 pour assurer une présence suffisante de personnels, parallèlement à une réduction de l’absentéisme ;
– de renforcer l’équipe technique de maintenance et de la doter de moyens suffisants ;
– d’effectuer des travaux indispensables en matière d’étanchéité (bâtiment D), de circulation des fluides (bâtiments A et B) et de monte-charge ;
– de mettre en œuvre des mesures efficaces et pérennes de nettoyage et d’hygiène, singulièrement contre les rats, cafards et autres nuisibles ;
– de revoir les modalités de distribution des repas, notamment pour assurer le respect des règles d’hygiène.
b) S’agissant de la pénurie d’activités :
– un retour du budget de fonctionnement aux niveaux antérieurs doit permettre d’accroître rapidement le nombre d’auxiliaires et leur rémunération ;
– la recherche de concessionnaires pour la fourniture de travail en ateliers ne peut être laissée à la seule charge de l’établissement ;
– les travaux « Baumettes 2 » vont diminuer de près de moitié la surface des ateliers « hommes » et restreindre d’une quinzaine (sur trente à quarante) les emplois offerts aux femmes. Des alternatives devront être trouvées dans l’établissement par exemple en matière de formation professionnelle ;
– les activités culturelles originales doivent être pérennisées, le rôle de l’association socioculturelle repensé et ses liens avec le SPIP renforcés.
c) S’agissant de la violence :
– les moyens nécessaires d’investigation doivent être donnés au commissariat du 9e arrondissement de Marseille pour que, sous la conduite des magistrats, les renseignements soient exploités, les infractions donnent lieu à enquête et leurs auteurs soient poursuivis ;
– l’encadrement doit être rapproché du travail effectif des agents d’exécution pour que ceux-ci ne se sentent pas démunis devant les difficultés rencontrées ;
– l’organisation de la distribution des biens des cantines doit être revue et rigoureusement contrôlée ;
– comme il a déjà été demandé par le contrôle général, le personnel doit réinvestir à terme les cours depromenade ;
– un meilleur équilibre doit être trouvé entre la gestion différenciée des personnes (affectation, privilèges divers) et les sanctions disciplinaires ;
– la proximité entre personnels et détenus, souhaitable pour diminuer les tensions, doit trouver des limites précisément définies ; un projet d’établissement, responsabilisant, doit pouvoir s’articuler sur la prise en charge des personnes exposées, la réinsertion des détenus et la transformation résultant de la réalisation de travaux.
La façade des Baumettes