Les procureurs et les tartuffes du cycle
Justice au Singulier - philippe.bilger, 21/07/2015
Comme à chaque Tour de France depuis quelques années, on parle presque plus du dopage que des exploits sportifs, des officines et des produits que des coureurs et de leur endurance.
Cette suspicion a pris un tour, si j'ose dire, très particulier puisqu'elle a été incarnée par le maillot jaune Christopher Froome et l'ancien cycliste Laurent Jalabert, commentateur sur France 2.
Les procureurs sont légion. La plupart sont des sportifs en chambre d'autant plus péremptoires que leur connaissance du milieu est limitée, nourrie par ouï-dire.
Tout le monde se dope dans le cyclisme. A ce type d'affirmation implacable dans sa généralité et son approximation, on ne peut rien répondre sinon répliquer que l'ignorance et la banalité à charge font souvent bon ménage.
J'apprécie beaucoup le comportement d'un Christopher Froome qui a toujours déclaré être prêt à se soumettre à tous les contrôles possibles et imaginables, et ce, en transparence complète. Il s'est élevé avec force contre les insinuations constantes, voire les accusations formulées à son encontre, aussi bien pour son ascension très rapide du Mont Ventoux en 2013 que pour ses prestations d'aujourd'hui (Le Monde, Le Figaro, Lepoint.fr).
Il faut prendre la juste mesure de la force d'âme, de la résistance nerveuse et de la concentration dont un champion doit faire preuve quand chaque jour, médiatiquement, il n'y a pas l'un de ses tours de pédale en montagne qui ne soit scruté, soupçonné et même condamné avant l'heure. Toute victoire sera forcément honteuse. Garder l'esprit de compétition dans ces circonstances relève du miracle.
En n'oubliant pas les spectateurs odieux qui s'en prennent à l'équipe Sky et à Froome qui a été atteint récemment par un jet d'urine.
Les procureurs sont légion et peut-être, demain ou dans un avenir encore plus éloigné, seront-ils confirmés dans leurs certitudes à charge, aujourd'hui scandaleusement anticipées. Que je sache, pour l'instant, Christopher Froome non seulement bénéficie de la présomption d'innocence mais, même mieux, rien ne permet d'envisager en l'état qu'il ait à solliciter sa protection.
Je rejoins la position lucide et prudente du Premier ministre sur ce plan.
Si Christopher Froome est un jour légitimement et indubitablement accablé, je serais affreusement déçu et une nouvelle et terrible désillusion aura frappé le monde du cyclisme de haut niveau. Mais nous n'en sommes pas là.
Nous saurons d'autant mieux adopter la bonne attitude que nous avons été échaudés avec Lance Armstrong. J'ai été un enthousiaste absolu et il s'est avéré qu'avec des complicités officielles, ce vainqueur outrageusement dominateur nous avait dupés, avait menti et trahi avant de se racheter sur le tard en avouant mais en ayant l'inélégance de distiller, il y a peu, son venin sur d'autres, par exemple sur Froome. Au sujet d'Armstrong contre lequel la cause est déplorablement entendue, Nicolas Sarkozy me semble avoir manifesté une indulgence trop compréhensive.
Les procureurs sont légion mais les tartuffes ne sont pas en reste.
Comment ne pas revenir à Laurent Jalabert convaincu d'avoir pris de l'EPO au Tour de 1998 et qui non seulement n'a pas fait profil bas dans ses commentaires sur les exploits de Froome - ce qui aurait été la moindre des élégances et une abstention de bon aloi - mais s'est autorisé, en juge très mal placé et guère opportun, une mise en cause sournoise et maligne du maillot jaune ? Ce dernier l'a d'ailleurs renvoyé dans ses cordes, ou dans ses braquets puisque nous sommes dans le cyclisme...
Cette polémique dépasse de très loin le champ de ce sport. Par tweet, j'avais dénoncé l'inconvenant propos de Laurent Jalabert et, comme un seul homme, le poncif de sa présomption d'innocence m'avait été opposé. Ce n'est pas celle-ci que je discute.
Je m'interroge seulement sur l'étrangeté qui consiste pour le pouvoir ou les médias, dans l'immense vivier français, politique et sportif notamment, à aller précisément choisir une personnalité qui a eu des problèmes, pour rester pudique. Le satisfecit que s'octroie France 2 - au demeurant au comble de l'excellence technique pour ses reportages sur le Tour - ne m'apparaît guère pertinent pour Jalabert. Je suis persuadé qu'il aurait été facile d'engager un ancien coureur, même accompli, mais qui n'aurait pas naturellement risqué d'être mis en porte-à-faux pour le dopage. Un homme ou une femme formellement irréprochables.
De la même manière que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy je m'étais ému du fait que l'un des ministres de la Culture distingué était le spécialiste avoué de galipettes anciennes thaïlandaises et puériles au sens étymologique. Alors qu'un certain nombre de compétences et de fidélités aurait mérité le poste sans le rendre par contagion moralement affecté.
Pourquoi notre tradition et nos usages n'attachent-ils pas une importance décisive à ce que l'on pourrait qualifier d'éthique journalistique, politique ou autres ? Comme si, lors de la sélection, dans quelque domaine que ce soit, n'étaient jamais pris en compte des facteurs humains et d'exemplarité prétendument extrinsèques mais en réalité consubstantiels à la qualité et à l'efficacité des pratiques professionnelles.
Les procureurs sont légion mais qu'ils acceptent d'attendre pour Christopher Froome.
Et que les tartuffes veuillent bien se taire ou, ce qui serait préférable, être laissés à la porte.