Christiane Taubira en loques mais ministre !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 8/01/2016
Cela faisait longtemps que je n'avais pas consacré au moins la partie d'un billet à notre garde des Sceaux. Ce n'est pas faute d'en avoir eu envie mais les opportunités étaient trop nombreuses, et en même temps pas assez signifiantes, pour que je succombe à la tentation.
Mais aujourd'hui, nous avons découvert que Christiane Taubira n'était pas seulement le marqueur de gauche dont, contre vents et marées, le président de la République gratifiait sa frange partisane irénique et peu regardante mais que sa personnalité tenait plus que tout à la fonction de ministre.
Qu'importent les couleuvres - et je passe sous silence ce qui se rapporte à sa domiciliation parce qu'elle semble de bonne foi (Marianne) - pourvu qu'elle ait l'ivresse !
Depuis le mois de janvier 2015, mais surtout à partir du 13 novembre et de ses suites enfin déterminées dans la lutte contre le terrorisme, elle est restée sur la photographie du groupe régalien mais pour rien, pour la façade.
Elle annonce en Algérie que la déchéance de nationalité est abandonnée, c'est une fausse nouvelle démentie par le président de la République mais elle demeure à son poste.
Un projet de loi élaboré par le gouvernement et visant à renforcer la lutte contre la criminalité organisée et son financement - usage des armes facilité pour la police, assignations à résidence, fouille des bagages, etc - va être heureusement déposé mais il est clair qu'en amplifiant les moyens d'action des policiers, du parquet et des Préfets, il va, sinon mettre "la justice à l'écart", du moins réduire les juges d'instruction à la portion congrue. Comme il est hors de question de toucher à ceux-ci, on les contourne. Le bloc constitué par la police et le parquet ne sera plus gêné par les délicatesses et les scrupules des magistrats instructeurs. Tant mieux.
Mais, pour Christiane Taubira, c'est encore une pierre jetée dans son humanisme verbal et sa conception de l'état de droit. Elle a beau cosigner une tribune avec le ministre de l'Intérieur (Le Monde). C'est un désaveu mais elle demeure.
Elle continue à se déclarer hostile à la déchéance de nationalité parce que celle-ci n'aurait qu'un effet symbolique alors que le Premier ministre a remis, comme il convenait, de la cohérence dans l'effervescence de ces derniers jours. La déchéance ne concernera que les binationaux nés en France et condamnés pour terrorisme. Il n'empêche : Christiane Taubira continue à récuser cette mesure mais elle demeure.
Et elle demeurera.
S'il ne s'agissait que d'un dysfonctionnement interne au gouvernement, ce serait l'affaire du Premier ministre et du président. Mais c'est bien plus en une période qui impose, encore davantage, unité et concorde. La loyauté personnelle ne suffit pas dès lors que la crédibilité de la parole publique est dévastée avec ces voltes qui seraient vaudevillesques si le crime n'avait pas assassiné et n'était pas toujours suspendu sur le destin de notre pays.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que je remarque cette propension de la garde des Sceaux à jouer sur tous les registres et à user de la plénitude des facilités qu'étrangement on ne cesse de lui octroyer. Elle avait déjà affirmé solennellement son soutien au Premier ministre et à sa ligne politique mais dès le lendemain elle était allée se faire applaudir par les frondeurs qui lui avaient fait un triomphe, Jérôme Guedj en tête.
Et, bien sûr, elle était restée. C'était une déviation qui ne mettait rien en péril. Elle a ses foucades, rien qui prête à conséquence !
Tout lui a été, lui est et lui sera pardonné.
Il me semble cependant que la situation se complique en dépit de la volonté du gouvernement et du président de traiter les variations opportunistes de Christiane Taubira comme si elles étaient la marque d'un paradoxal et permanent soutien de sa part.
Car l'icône dorénavant est nue. Il n'est plus un camp qui à sa manière ne dénonce la médiocrité du bilan de la ministre. Pour la droite, elle est laxiste et dangereuse. Pour la gauche des libertés et de l'humanisme abstrait, elle s'est reniée. Quant au peuple réel, et non pas fantasmé, elle l'offense.
Enfin, dépouillée de son aura, elle est appréhendée comme elle est. Une femme dont la personnalité n'occulte plus le passif professionnel et l'idéologie de compréhension, voire de complaisance. Un impertinent et pertinent portrait d'Anne-Sophie Mercier nous la livre dans la haute appréciation qu'elle a d'elle-même et avec les démentis cinglants que la réalité lui oppose (Le Canard enchaîné). Même Le Monde paraît lui tenir rigueur avec acidité du fait qu'elle "assume le virage sécuritaire".
C'est ce ministre qui tire à hue et à dia, qui se permet de battre en brèche ce qu'elle a validé la veille et infirmera demain ce qu'elle a approuvé aujourd'hui, c'est donc ce garde des Sceaux qui va notamment devoir défendre le projet de réforme de la Constitution à l'Assemblée nationale alors qu'elle en désapprouve la principale disposition.
Cette absurdité sera d'autant plus préjudiciable qu'une droite intelligente, face à elle, a décidé de soutenir la révision constitutionnelle en faisant passer ses convictions avant calculs et manoeuvres. Pour une fois.
Le président de la République que je crois sincère dans son rôle de chef de guerre sur le plan international comme sur le registre national ne pourrait-il pas enfin faire l'honneur, à cette opposition responsable et lucide, d'un ministre digne de ce nom et venant plaider et soutenir une cause à laquelle il adhère, trop grave pour qu'un scepticisme répété vienne la gangrener ?
Mais elle demeurera.
Pour résister ainsi à l'évidence que le départ de Christiane Taubira devrait constituer, peut-on penser que le président de la République a peur même du pourcentage infime dont elle bénéficierait en 2017 si elle décidait de se représenter ou bien quelque obscur secret, inavouable, les lie-t-il ?
Quand j'ai publié mon livre au mois d'avril 2014 contre Christiane Taubira et sa politique pénale à la fois nuisible et étique, je ne pensais pas que l'avenir, en ce qui la concerne, serait encore plus sombre. Aujourd'hui je n'écrirais plus une charge mais un réquisitoire.
A l'époque je la faisais bénéficier toutefois d'un crédit éthique. Je ne pouvais pas imaginer qu'être ministre ferait passer tout le reste, qui était l'essentiel, aux oubliettes. Je n'aurais pas osé accuser Christiane Taubira d'être cynique, plus soucieuse de son statut que de sa vérité.
Pourtant, elle demeure, elle campe, elle stagne et s'en félicite. Tous reniements assumés.
Elle est en loques mais ministre !