Actions sur le document

Darius Rochebin : miracle ou évidence ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/09/2020

Je n'ai pas été déçu par le comportement tant vanté de Darius Rochebin mais je l'ai analysé comme la perfection, en tout cas l'excellence d'un journalisme classique fondé sur quelques vertus à la fois basiques et essentielles : une attitude polie et bienveillante de sa part qui manifestait que celui qui allait interroger ne se prendrait pas pour plus important que la personne face à lui ; des questions courtes, sans roideur, comme emplies d'un doute qui allait donner toutes ses chances à la liberté et à la sincérité d'autrui ; aucune impasse n'étant faite sur les points controversés qui étaient abordés avec la même sérénité, ce qui écartait tout risque de conflit ; une intelligence d'autant plus vive qu'elle ne s'affichait pas ostensiblement et rencontrait l'intimité de l'autre grâce à un langage de qualité, sans la moindre vulgarité ; une écoute sans impatience ; parfois une interruption pour relancer ; toujours ce regard grave ou pacifiquement ironique...

Lire l'article...

Les médias annonçant la venue de Darius Rochebin (DR) sur LCI l'ont présenté comme l'étoile du journalisme suisse, un maître incontesté en entretiens. Je n'avais jamais entendu parler de lui mais tous ceux, professionnels ou amis suisses par exemple, à qui j'ai demandé leur avis m'ont affirmé qu'il était exceptionnel.

J'ai pu lire durant les vacances quelques portraits de lui où on le présentait comme un être cultivé, avec une intelligence courtoise, une écoute très attentive, un questionnement fin et informé.

On devine comme j'étais impatient de le voir à l'oeuvre sur LCI, dans un exercice qui exige le comble du talent et de la retenue, ses meilleures dispositions devant être mises au service des invités qui apparaissaient conscients de la chance qu'ils avaient d'être sollicités par une personnalité médiatique hors de pair.

D'emblée il y avait comme un climat de respect réciproque, une atmosphère préalable d'harmonie.

J'ai pu, téléspectateur attentif et observateur passionné, curieux du fond échangé comme de la technique dont usait DR, assister à quelques entretiens, ceux de Bruno Le Maire, de Robert Badinter, de François Molins et de Ségolène Royal. Je n'ai pas été déçu par le comportement tant vanté de DR. Je l'ai analysé comme l'excellence d'un journalisme classique fondé sur quelques vertus essentielles : une attitude polie et bienveillante de sa part qui manifestait que celui qui allait interroger ne se prendrait pas pour plus important que la personne face à lui ; des questions courtes, sans roideur, comme emplies d'un doute qui allait donner toutes ses chances à la liberté et à la sincérité d'autrui ; aucune impasse sur les points controversés qui étaient abordés avec la même sérénité, ce qui écartait tout risque de conflit ; une intelligence d'autant plus vive qu'elle ne s'affichait pas ostensiblement et rencontrait l'intimité de l'autre grâce à un langage de qualité, sans la moindre vulgarité ; une écoute sans impatience ; parfois une interruption pour relancer ; toujours ce regard grave ou pacifiquement ironique : on n'était pas dans un guet-apens.

Darius_rochebin_preview-3d5794-0@1x

J'ai l'impression que DR - mais j'ai trop peu de recul par rapport à ses prestations - ne privilégie pas forcément les personnalités consensuelles mais qu'il fait tout pour les rendre consensuelles, pour les faire rentrer dans un cercle de bon aloi.

Une fois passé l'enthousiasme face à une pratique exemplaire, je me suis demandé pourquoi l'irruption de DR dans l'espace médiatique français était apparu comme un miracle alors que, pour moi, les qualités que j'ai évoquées et qu'il a, devraient être consubstantielles à tout journalisme ayant le désir de sonder le coeur et les reins d'un invité, quels que soient les thèmes abordés. En réalité, il m'a semblé que les médias français, malgré une apparence parfois d'arrogance et de contentement de soi, étaient si peu sûrs d'eux, si incertains sur leur compétence, qu'ils percevaient l'irruption de l'excellent DR comme extraordinaire, telle une bienfaisante rupture alors qu'elle aurait dû rappeler à tous que sa démarche d'écoute, de questionnement et d'intelligence était une évidence.

Ou bien faudrait-il pousser le pessimisme jusqu'à accepter l'idée que dans la classe médiatique ces dispositions fondamentales sont en régression au point de féliciter chaleureusement un journaliste suisse qui les porte au plus haut ?

Pour être franc, ayant lu sur DR et l'ayant écouté, je n'ai pas pu m'empêcher de songer à ce que, modestement, j'ai conçu avec mes entretiens "Bilger les soumet à la question". Je n'ose invoquer une similitude qui serait présomptueuse au regard de la machine de LCI et du succès justifié de DR. Il n'empêche que mes dialogues d'environ une heure, fondés sur le principe de ne jamais interrompre mes invités avaient qu'ils aient fini leur réponse, aussi longue soit-elle, ne sont pas radicalement éloignés de l'esprit et de la méthode de DR. Paradoxalement, pour qu'une personnalité fasse court, il faut lui donner la certitude qu'on lui laissera tout le temps !

Qu'on veuille bien, comme exemple, comparer l'entretien avec Ségolène Royal mené par DR et celui qu'elle a bien voulu m'accorder.

Il n'empêche. Même si DR, exerçant ses talents en France, ne devrait pas être perçu comme un miracle mais comme une évidence, l'heureuse banalité d'une pratique digne de ce nom, il incarne un journalisme dont j'ai toujours rêvé.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...