Jean-Marie Le Pen : je ne ferai rien pour Marine !
Justice au singulier - philippe.bilger, 9/06/2014
Ce n'est pas d'aujourd'hui que Jean-Marie Le Pen déraille en parfaite conscience. Il est si fier de sa maîtrise du langage qu'à juste titre, quand il profère une bêtise qu'il parvient à rendre saumâtre en même temps, il ne se réfugie pas derrière une maladresse qui lui aurait échappé (20 minutes, lefigaro.fr).
Non, il assume.
Sa récente provocation sur la "fournée" au sujet de Patrick Bruel doit le faire frémir d'aise tant, pour lui, ce qui compte ce ne sont pas les dégâts qu'il crée mais sa jouissance.
Déjà, dans un billet du 2 août 2011 ayant pour titre "Il faut exclure papa !", il me semble que je n'avais pas si mal appréhendé sa personnalité et son problème.
D'abord, quand une polémique naît et se développe et qu'elle est le fait notamment d'une personne insistant souvent sur le fait qu'elle est juive, comme Patrick Bruel par exemple, Jean-Marie Le Pen est incapable de s'en mêler sans faire référence à l'Holocauste comme si, dans sa tête, la seule argumentation concevable était d'opposer à l'attaque intellectuelle, même partisane, l'extermination souhaitable de l'adversaire, son effacement. Une nostalgie, une obsession, un délire, un ressassement sénile.
Ensuite, derrière l'apparent scandale de ce mot choisi avec soin, il y a bien plus. Et depuis longtemps. Une volonté de "tuer" en politique sa fille Marine dont le succès grandissant lui est insupportable et dont, jusqu'à maintenant, l'indulgence lui apparaissait sans doute plus offensante que la colère ou le désaveu.
Dans la normalisation opérée grâce à la répudiation des vieilles lunes collaborationnistes, racistes et antisémites puis dans une forme de classicisme vigoureux de la forme, Le Pen se voue sans cesse à introduire le soufre et le délétère. Le désordre et l'imprévisible. Le père se doit d'être le grain de folie qui vient autant que nécessaire dérégler les mécanismes élaborés par sa fille. Au point de faire fuir des adhérents du FN lassés de le voir englué dans l'originel au détriment de l'actuel (Bd Voltaire) !
On ne comprendra rien à ces saillies sottes et nauséabondes à répétition si on ne les inscrit pas dans un combat singulier où Le Pen tient à rappeler qu'il est vivant à une fille qui aspirerait à lui laisser une place dans un coin en espérant qu'il demeurerait là tranquille et silencieux. Illusion. Jean-Marie fera tout pour conserver son statut de roi : le maître de l'échec de sa fille. Faute d'avoir jamais aspiré au pouvoir, il se contentera d'interdire, pour ce qui le concerne, l'accession de sa fille à celui-ci. Sa défaite sera son triomphe. Dépassé par elle, il a pris le parti de la désorganiser.
Marine Le Pen , pour la première fois vraiment, a dénoncé "la faute politique" de son père qui bien sûr s'est rengorgé en affirmant qu'il n'en avait commis aucune (jdd.fr). Comme s'il était intelligent et moral de combattre "la pensée unique" par un antisémitisme rigolard au lieu de la contredire quand elle le mérite.
Louis Aliot, son compagnon, avait tout de suite réagi en qualifiant comme il convenait cette insanité. D'aucuns, pour ne pas se priver d'une haine globale, ont douté de la sincérité de ces récusations, pourtant évidente. Tant la fille n'a que peu à voir avec le père sur un certain nombre de plans. On ne peut pas en même temps exiger des responsables du FN de l'éthique et la mépriser quand elle sort de leur bouche.
Une action va être engagée contre Jean-Marie Le Pen. C'est une grave erreur qui va amplifier la vanité de ce personnage et le persuader encore davantage qu'il a une force de malfaisance. Et donc pour lui qu'il a encore une force. Il aurait mieux valu le laisser cuver son âge et son aigreur. Cela aurait été la pire des sanctions.
Mais on ne peut pas exiger de certaines associations l'impossible : réfléchir avant de militer, de soupeser avant de citer.