Pour le professeur Didier Sicard, « la société est devenue intolérante à l’agonie »
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 18/06/2014
Une parenthèse s'est ouverte au procès du docteur Nicolas Bonnemaison, poursuivi devant la cour d'assises sous l'accusation d'"empoisonnement" de sept de ses patients en fin de vie. Parenthèse de réflexion philosophique et éthique qui donne parfois à l'audience criminelle des allures de colloque, mais dont on se prend à regretter qu'elle ne soit pas enregistrée. Car quel que soit le sort judiciaire que la cour et les jurés réserveront la semaine prochaine à l'accusé, ce procès s'inscrit d'ores et déjà au rang des procès historiques pour la qualité de ses débats.
Après l'audition, mardi 17 juin, de Jean Léonetti, député (UMP) des Alpes-Maritimes et père de la loi du 22 avril 2005 qui porte son nom, ce fut au tour du professeur Didier Sicard, auteur du rapport rendu en décembre 2012 à François Hollande sur la fin de vie et les modalités d'assistance au décès de venir témoigner à la barre.
"La médecine a toujours aidé à mourir", a rappelé le professeur avant d'évoquer les grandes étapes de la réflexion sur la fin de vie, passée en quatre décennies de l'opacité des hôpitaux où l'on administrait "des cocktails lytiques en silence et dans l'indifférence de la société et des prétoires" à un besoin de transparence. "La médecine s'est ressaisie et la société est devenue partie prenante", a-t-il observé.
Une évolution rendue nécessaire par une réalité statistique - 65 à 70% de la population meurt à l'hôpital - et par le constat que "l'hôpital était un lieu inhospitalier à la fin de vie". Parallèlement, a observé Didier Sicard, "la société est devenue en trente ans intolérante à l'agonie, avec le sentiment que celle-ci ne doit pas trop durer, que les mourants ne doivent pas embarrasser trop longtemps les vivants." Le chemin est étroit, entre "cette révolte des vivants" et le temps de l'agonie qui, selon le professeur Sicard, "reste nécessaire à la mort sociale d'un être humain".
S'il s'est gardé de toute appréciation sur la responsabilité pénale du docteur Nicolas Bonnemaison, Didier Sicard a estimé que "dans un environnement de pression de la société sur l'hôpital, certains médecins se sont retrouvés en situation de radicalité".
Ce procès, a-t-il poursuivi, est celui de "l'indifférence hospitalière. Confier les malades les plus graves à un médecin seul peut aboutir à ce genre de désastre", a-t-il relevé en ajoutant que "si le médecin est animé d'une intention bienveillante [soulager la souffrance des patients en fin de vie], la médecine doit se méfier de sa propre puissance. Qu'elle ait un peu d'humilité. Qu'elle fasse l'expérience du partage. Si ce procès doit avoir un sens pour notre société, ce serait de faire en sorte que ces actes se passent de façon plus ouverte".