Polisse : plus que des policiers au grand coeur, un service de la protection de l’enfance (439)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 17/11/2011
C’est peu de dire que Polisse, le dernier film de Maïwenn, suscite de l’intérêt et appelle à débats.
Après Cannes, le succès auprès du public est incontestable si l’on s’en tient aux entrées enregistrées.
Comme tant d’autres je suis sorti de cette projection sans regretter d’être venu et pour une fois - critère ô combien essentiel pour mes proches - sans m’être endormi dans un cinéma. Sans avoir lu auparavant la moindre critique sur le film, à l’aune de mes critères, je conclue donc que ce film est un excellent spectacle.
Et je trouve excessif le jugement porté sur le film par Jean Déniel directeur de la cinémathèque Jean Vigo de Gennevilliers qui y a vu «une malhonnêteté fondamentale tant par sa forme que par son fond.».
Indéniablement cette cinéaste a du talent. Ainsi j’ai été médusé par la force de plusieurs séquences comme celle où une femme policière d’origine arabe rappele à un père musulman que le coran, pas plus que le code n'admet pas les mariages forcés. L’échange commence en français pour se terminer en arabe : pas besoin de traduction, en quelques minutes est restitué l’affrontement entre deux mondes dont nombre de jeunes filles de France sont les victimes. Certes, Polisse est l’occasion de numéros d’acteurs, et surtout d’actrices, de haut niveau portés par des dialogue incisifs et d’un grand réalisme. Indéniablement la réalisation est le plus souvent remarquable.
Le contenu – la vie d’une brigade des mineurs - lui-même fait réagir par nombre des scènes qui peuvent être d’une extrême violence. Il fait rire, souvent jaune.
Bien évidemment, étant professionnellement et de longue date au fait de ces drames dont les enfants et les adolescents sont les victimes et qui font le quotidien de la police, en allant voir le film de Maiwenn, j’avais a priori le souci de l’image qui serait renvoyée de ce service de police dans ce qui n’est pas un reportage journalistique, mais une fiction, avec tous les artifices de l’exercice.
Disons-le tout net, j’ai crains rapidement le pire avec l’ambiance installée de salle de garde, mais surtout la descente de police dans un camp rom au prétexte d’y retirer les enfants qui auraient pu être victimes de maltraitances. Le pretexte de cette descente : une adolescente dont les policiers avaient observé le dos zébré de traces de coups de lanières pour - c'est mon interpretation - n’avoir pas eu le rendement souhaité dans les vols qui lui revenaient de commettre. Outre que je n’ai pas souvenir d’avoir jamais eu connaissance d’une telle opération de police sous cet argument, cette séquence est d’une violence effroyable, à la limite du supportable en ce qu’elle rappelle d’autres époques et évoque certaines rafles d’enfants.
Les enfants censés être protégés par cette intervention nocturne et musclée de la DPM sont ici les premières victimes des forces de l’ordre. Au point où les policiers conscients eux-mêmes de ce qui leur est imposé demandent aux plus âgés de « rassurer » les plus jeunes. On ne comprend pas pourquoi on embarque ces enfants ; on ne sait pas où on les emmène en les faisant montant dans un bus de la police, sinon vers un mythique foyer. On ne sait surtout pas ce que seront les suites de cette opération de grande envergure. Tout cela au final pour nous montrer des enfants faisant la fête dans l’autocar policier qui les emmène : des enfants maltraités qui font le cochon pendu, chantent et dansent pour compensent leur peur après avoir été arrachés à leur sommeil et aux leurs ? On reste abasourdis et perplexes. Ajoutons le cliché, sans doute maladroit dans cette période, et en tous cas sans défense en réponse, renvoyé de la communauté rom.
D’autres séquences peuvent aussi paraître comme du grand n’importe quoi comme celle où une adolescente admet avoir fait des fellations pour récupérer son téléphone portable et ne comprend pas l’étonnement des policiers par ses arguments qui se traduit par un fou rire irrésistible . Mais à y bien réfléchir, on frise ici la réalité. Il est évident que certains jeunes peuvent ne plus avoir la hiérarchie des choses. Sans doute est-ce pour cela qu’on rit jaune tellement comme le crache une autre adolescente du film à une femme policier : « Vous êtes coupés des réalités d’aujourd’hui ! »
Par un traitement classique Maiwenn prend la hiérarchie intermédiaire et supérieure comme tête de turc. Facile. Notamment quand s’agissant d’un bourgeois qui aurait abusé de sa fille, le commissaire vient rappeler que cet homme a des relations.
J’enlève toutes ces scories que je mets sur le compte de l’écriture cinématographique et de ses exigences pour aller à l’essentiel : Maïwenn a une bonne représentation de ces policiers. Oui ce sont des hommes et des femmes comme les autres, des pères et des mères de famille, mais des hommes et des femmes qui ne se satisfont jamais tout au long de leur affectation de ce qu’ils peuvent voir. Monsieur et Madame Tout Le Monde sont loin de pouvoir imaginer la charge affective que ressentent régulièrement ces policiers. Et, fort heureusement, jamais ils ne seront blasés. Oui, ils peuvent alors avoir la rage et péter les plombs. Il leur faut se maitriser, se contenir. Cet éclairage s’imposait et son rendu doit être salué.
Pour autant on touche rapidement à une critique fondamentale : on nous donne à voir un groupe de mercenaires de la « protection de l’enfance mal-traitée « fonctionnant en autarcie dans tous les sens du terme. Ils mangent ensemble, ils sortent ensemble, effectivement ils balancent des plaisanteries de salle de garde en permanence, parfois ils se draguent l’un l’autre, voire tombent amoureux ! On en oublierait qu’ils ont des comptes à rendre, non pas seulement à cette hiérarchie anesthésiante et inhumaine, mais au procureur de la République, juges d’instruction et juges des enfants.
Là, pour le coup, l’éclairage donné aux spectateurs sur le dispositif de protection de l’enfance dont la Brigade des mineurs est un maillon important est tronqué et donc raté. Il n’aurait pas fallu grand-chose. Par exemple, dans cette scène très forte et très vraie où une femme africaine vient remettre son enfant à la police – donc à la République – pour qu’il quitte enfin la rue. Tout feu, tout flamme les policiers sont convaincus de parvenir à éviter la séparation à laquelle la mère se résignait. Ces mêmes policiers, penauds et choqués doivent annoncer leur échec : l’enfant ira en foyer … sans sa mère. La bonne volonté a touché ses limites. Aucune allusion à l’aide sociale à l‘enfance, au procureur ou au juge des enfants qui auraient pu être mobilisés par des professionnels. Ca n'empêchait pas cette scène forte là-encore et pathétique de la séparation où le policier Joey Starr retrouve la haine, mais en montrant auparavant que l’on avait réellement fait le nécessaire pour mobiliser le dispositif, et donc qu’on en connait l’existence. Les policiers de la vraie BPM savent mobiliser ces dispositifs car ils ne sont pas que des hommes et des femmes au grand cœur. Un coup de fil à l’ASE ou au tribunal, même d’attente et la BPM s’inscrivait dans la réalité de la protection de l’enfance, par-delà un pathos pour le coup un peu ... racoleur.
Un peu à l’image de l’ensemble du film on est bien évidemment dans l’empathie avec ces policiers au grand cœur, mais méconnus, de la Brigade des mineurs. Il eut été encore plus fort, et plus réaliste de montrer qu’ils sont aussi de grands professionnels, que derrière le groupe il y a une institution – la police des mineurs – spécialisée sur les enfants victimes, maillon important d'un dispositif plus vaste de protection de l’enfance.
Des policiers, professionnels de la protection de l’enfance, de cette veine j’en ai connu comme la capitaine de police Carole Mariage ou le lieutenant Thierry Terraube qui ont mis en place dans la décennie 90 les techniques d’audition des enfants victimes de violences sexuelles et leur enregistrement pour qu’il leur soit enfin rendu justice. Cette démarche, inspirée de ce qui se pratiquait au Québec, était alors révolutionnaire.
Maiwenn, pour préparer son film, a pu séjourner deux mois dans une brigade du Nord de Paris, mais je crains qu’elle n’en ait vu que le côté affectif et émotionnel.
On peut lui reprocher de n’avoir traité que superficiellement les situations qui émaillent le film. Mais était-ce l’enjeu ? Le parti pris du film est subsidiairement de traiter des toutes ces formes de maltraitance infligées à des enfants dans notre société développée du XXI° siècle. La plupart des situations esquissées aurait mérité un traitement spécifique : on aurait voulu toucher aux causes et savoir ce qu’il advenait de ces cas après l’intervention de la DPM. Mais d’évidence il ne pouvait pas être question d’aborder l’exploitation des enfants, la délinquance organisée des mafieux qui exploitent les enfants, les maltraitances à enfants, les violences sexuelles et les attouchements, la maladie mentale des parents, le racket, les mariages forcés, etc. En revanche, Maïwenn restitue bien l’ampleur et l’hétérogénéité de ces situations de toutes sortes, dramatiques à l’extrême ou moins graves, qui tombent sans désemparer sur le service. Il faut aux policiers s’y plonger par-delà leurs états d’âme personnels.
Bien évidemment le propos est dénonciateur mais aussi optimiste. Ce sont des enfants que l’on sauve, ce sont de futurs adultes que l’on protège au final ainsi que leurs propres enfants. Maiwenn ne le dit pas, mais dans un passé encore récent – et sans doute encore aujourd’hui dans une moindre proportion – nombre d’enfants ont été victimes d’attouchements sinon de viols sans oser en parler, y compris à leurs proches parents, enfermés dans une culpabilisation ravageuse alors même qu’ils sont victimes et pas coupables. Dans les années 85, la parole des enfants victimes a été libérée et les oreilles des adultes se sont débouchées, leurs yeux ont mieux vu les messages qui leur étaient adressés. Des policiers comme ceux que j’ai cités ont contribué à ce mouvement dont on peut penser qu’il a permis éviter nombre de drames – mais nous n’avons pas d’instrument de mesures pour l’affirmer - et, en tout cas, de mieux assurer que les coupables soient punis et les victimes engagées sur la voie de la résilience.
Le propos de Maïwenn est donc finalement plein d’espoir. Pourquoi pas. Reste à demeurer vigilants car je ne suis pas convaincu – doux euphémisme – que dans les orientations policières modernes résultant du débat politique et des contraintes financières de l’institution, la formation des policiers à l’écoute des enfants pour contribuer à leur rendre justice aient été maintenus. En tous cas, il y a menace.
Il ne me déplairait pas d’être démenti.
Tout cela pour confirmer que Polisse mérite d’être vu malgré ses limites car ce film peut donner le prétexte de connaître ceux qui ont en charge au quotidien le sort des enfants meurtris et indirectement à ces meurtrissures qui sont encore infligés aux enfants de notre pays. Ce n’est pas le moindre mérite de cette jeune réalisatrice de talentueuse.