Retour des djihadistes : Beaucoup de questions…
Actualités du droit - Gilles Devers, 1/06/2014
Saluant « l’arrestation du tireur présumé », François Hollande a souligné que Mehdi Nemmouche avait été interpellé « dès qu’il a mis le premier pied en France ». Certes, mais comme l’a précisé François Molins, le procureur de la République de Paris, c’était lors d’un contrôle inopiné par les douaniers, vendredi à la mi-journée à la gare routière Saint-Charles à Marseille, dans un autocar en provenance d’Amsterdam via Bruxelles. Après Merah, Nemmouche : nos services sont-ils des passoires ?
Les faits
Il convient d’être prudent sur les faits, car hier nous avions droit sur les plateaux télé au défilé des experts auto-proclamés, et c’était parfois… disons cocasse.
J’en resterai donc aux déclarations du procureur de Paris. Il s’est lui-même montré réservé, car la personne arrêtée oppose le silence aux questions des enquêteurs. S’agissant de la culpabilité, il évoque « un très fort faisceau d’indices graves et concordants », et son alter ego belge, Frederic Van Leeuw, le procureur fédéral du royaume, s’est prononcé dans le même sens. La personne correspond au signalement, possède des armes comme celles ayant été utilisées et aurait un enregistrement vidéo de revendication. Après, on parle d’une appartenance aux combattants de l’Etat islamique de l’Irak et du Levant (EIIL)… Personne n’y était pour le vérifier, et l’enquête commence.
Beaucoup plus troublant est le suivi de ce jeune homme, de retour de Syrie. Je ne dis pas que c’est simple, je pense même que c’est très compliqué, mais chacun voit que rien n’a marché… alors que le type était signalé dès sa sortie de prison.
Mehdi Nemmouche a été condamné à sept reprises de 2004 à 2009, notamment pour des vols avec violence, avec un dernier séjour en prison qui a duré près de cinq ans, de 2007 à 2012. Cinq ans fermes, c’est un client sérieux. Au cours de la détention, il se serait s’illustré « par son prosélytisme extrémiste » et son « radicalisme religieux », de telle sorte qu’il avait été signalé aux services de renseignement.
Beaucoup de questions
En fait, trois semaines après sa libération, en décembre 2012, il s’est rendu en Syrie, via Bruxelles, Londres, Beyrouth et Istanbul. Ça fait quatre billets d’avion pour quelqu’un qui sort de cinq ans de prison, n’a pas de travail, ni de famille… et un parcours ultra-sensible. Question 1 : Les services étaient-ils informés ?
Il a alors été inscrit au fichier des personnes recherchées (FPR) et au fichier Schenghen. La frontière entre la Turquie et la Syrie est le lieu de passage pour rejoindre les groupes armés. Question 2 et 3 : Les services ont-ils été informés ? Quel est le niveau de coopération entre les polices turques et européennes ?
Il a quitté la Syrie début 2014. Question 4 : Était-il impossible pour la DGSE (Direction générale des services extérieurs), qui dépend de la Défense, de le repérer ? Question 5 : Un Français, listé sur le fichier des personnes recherchées (FPR) et revenant d’un an de séjour dans la zone combattante de la Syrie est-il signalé à la police française ? Question 6 : Si la réponse est non, pourquoi ?
Pour le retour, il a quitté Istanbul le 21 février 2014 pour la Malaisie, où il a séjourné un mois et demi en effectuant de courtes escapades à Singapour et à Bangkok, et il est arrivé en Allemagne le 18 mars 2014. La police, intriguée par ce parcours, l’a signalé à Paris, et la DCRI l’a inscrit comme personne à surveiller, avec une fiche dite «S». A ce stade, il est probable à 99% que ce type, multirécidiviste, signalé radical, a passé un an dans les zones de combats en Syrie. Question 7 : Que font les services ? Question 8 : Comment s’organise la coopération avec les servies allemands ? Question 9 : Est-il crédible de dire que l’on perd sa trace car il est sans domicile fixe ? Le renseignement ne sait pister que les terroristes qui sont propriétaire d’un pavillon à Nogent-sur-Marne ?
Je sais que c’est difficile, et les chiffres donnés hier étaient de 780 de jeunes Français partis dans les zones combattantes en Syrie. Un chiffre considérable. Or, cette affaire est très inquiétante, car tout était visible par le passage dans les aéroports pour ce compatriote signalé,… et rien n’a marché.
Les politiques au niveau…
François Hollande a été très explicatif : «Nous les combattrons, nous les combattrons, nous les combattrons ». Merci, François, reviens quand tu veux.
Nouveau ministre de l’Intérieur en juin 2012, Valls avait stigmatisé les carences des services dans l’affaire Merah, et lancé un plan incluant la refonte incluant la refonte de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en une Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ce 12 mai. Comme réussite par rapport à l’affaire Merah, c’est pas flagrant…
Le supplétif Bernard Cazeneuve a expliqué hier qu’au niveau international « la coopération de nos services est immense », annonçant « Je souhaite faire voter les mesures législatives indispensables à un meilleur contrôle des candidats au djihad ». Ouf ! Tout va aller mieux avec une nouvelle loi…