Une victoire pour tous ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 7/05/2012
François Hollande a été élu président de la République. Il a vaincu le candidat sortant avec un score légèrement inférieur à celui qui qui avait permis le succès de ce dernier en 2007. A l'issue de ce quinquennat globalement raté en dépit d'avancées indiscutables et à cause d'une manière de présider qui n'a comblé ni les puristes de la démocratie ni les réalistes seulement soucieux de résultats, une nouvelle page de notre histoire va s'ouvrir.
L'immense difficulté de la tâche que François Hollande va devoir assumer l'écarterait à elle seule, si sa personnalité ne l'en dissuadait pas d'emblée, de tout lyrisme inadapté qui opposerait, par exemple, la nuit sarkozyste au jour socialiste.
C'est d'abord ce sentiment qui doit dominer, en effet, chez notre nouveau président: l'urgence de la reconstruction, une France à redresser dans une Europe en crise, la République à faire revenir en majesté et en intégrité, la responsabilité écrasante mais revendiquée du chef de l'Etat face aux engagements pris et aux devoirs qu'ils vont lui imposer.
Il serait malséant, alors que la défaite de Nicolas Sarkozy tant espérée par beaucoup est consommée, de se féliciter vulgairement d'une infortune personnelle et politique pourtant tellement justifiée. Ce qui mérite en revanche d'être analysé tient aux raisons profondes et superficielles qui ont conduit ce formidable compétiteur à manquer sa réélection.
J'ai conscience, n'évoquant que lui, de passer sous silence la faillite ou la médiocrité de l'entourage, l'acrimonie des uns, les insultes des autres, le comportement bêtement méprisant de tous à l'encontre d'un adversaire à l'égard duquel les appréciations basses et condescendantes n'auraient pas dû être de mise. Mais on a les soutiens qu'on peut, pas qu'on veut.
Pour ma part, en m'attachant exclusivement à Nicolas Sarkozy, trois tendances lourdes me paraissent devoir être relevées qui sont susceptibles d'éclairer l'analyse.
La première - et le débat du second tour a poussé au paroxysme cette singularité - se rapporte au fait que le président sortant s'est trouvé en confrontation non seulement avec un homme fin, intelligent, vif, remarquable dans l'expression mais avec une personnalité naturellement présidentielle. De la même manière qu'il a présidé le débat selon le beau titre de Libération, François Hollande, tout au long de la campagne officielle et en réalité dès le commencement de sa longue marche d'un an, ne s'est jamais départi d'une tenue, d'une apparence, d'un maintien, d'un discours, d'un comportement qu'il lui était d'autant plus facile de sauvegarder qu'ils appartenaient au fond de sa nature et à la vérité de son être. Cette disposition a eu pour conséquence de brouiller les repères à son bénéfice car elle a très vite cantonné Nicolas Sarkozy non plus dans sa stature officielle, malgré ses efforts pour demeurer apparemment président le plus longtemps possible, mais dans le statut d'un candidat agité et fluctuant. François Hollande a été nimbé très tôt d'une aura qui le créditait d'une sorte de légitimité par principe pour prendre en charge l'avenir. La contrepartie est que Nicolas Sarkozy était désinvesti, à proportion, de cette qualité. Le président n'était déjà plus le même bien avant le premier tour et, clairement en tout cas, entre les deux tours.
La deuxième explication concerne le bilan du quinquennat.
Certes je n'avais cessé de soutenir l'idée qu'en 2007 la droite la plus intelligente du monde avait été proposée par Nicolas Sarkozy. Celui-ci s'était déclaré le meilleur et de fait l'élection avait consacré cette supériorité malgré le score substantiel de Ségolène Royal au second tour.
Les cinq ans écoulés, avec les crises auxquelles la France avait dû s'affronter, les transgressions de la morale publique, la République très imparfaite et la tension résultant d'une présidence de clivage et d'exclusion, ne pouvaient qu'aboutir à plus de modestie de la part du chef de l'Etat. Ce dernier passerait à l'évidence du "je suis le meilleur" de 2007 à "je suis le moins mauvais" de 2012. On ne peut pas soutenir que ce glissement opportun n'a pas été opéré et qu'une certaine forme de lucidité ajoutée à de la repentance - il aurait été trop "ministre" durant le quinquennat- n'a pas infléchi l'arrogance d'une droite d'autant plus crispée sur ses fondamentaux que tout ce sur quoi elle avait brillamment construit sa victoire de 2007 avait été répudié. De sorte qu'on a observé la scission entre une droite vulgaire et parfois indigne et une droite honorable, tentée, pour quelques-uns, par une gauche assurée de couleurs démocratiques fermes et respectables avec Hollande.
Nicolas Sarkozy, pourtant désireux d'adopter le ton classique des présidents sortants : après moi, ce sera moins bien !, était écartelé entre la volonté de vanter son bilan et la conscience que les obstacles même qu'il invoquait pour répondre aux attaques sur son caractère limité et relatif étaient un piège redoutable. Comment en effet soutenir qu'ensuite, ce sera pire quand ce qui est advenu durant cinq ans n'a pas été à ce point exemplaire qu'on puisse s'en créditer sans nuance ? Il y a eu des impuissances obligatoires et des échecs certains qui même imputés à la crise ont interdit au président de se servir d'un présent sans éclat contre un futur prétendu menaçant. L'avenir devenait au contraire une chance. On voulait plus saisir demain avec un autre qu'on ne désirait faire durer hier avec le même.
Le dernier malentendu se rapporte à la tactique maintenue contre vents et marées par Nicolas Sarkozy. Une candidature évidente depuis longtemps mais annoncée tardivement. L'aspiration à une guerre éclair et à une campagne où son talent et sa force auraient fait mouche. En partie, une opération couronnée de succès puisqu'au premier tour le sortant avait considérablement réduit son handicap mais, dysfonctionnement non prévu, il se retrouvait tout de même devancé par François Hollande, ce qui était "une première" sous la Vème République et portait gravement atteinte à son image d'autorité et de prestige. Il ne faisait plus la course en tête.
J'incline à croire que les remous dans la majorité présidentielle devant la démarche de pillage du vivier Front National par Nicolas Sarkozy n'ont pas été aussi dérisoires qu'on s'est plu à le dire. Au contraire, ils ont révélé que la manière ostensible, vulgaire et déshonorante dont Sarkozy allait chercher les voix dont il avait besoin pour l'emporter à tout prix avait offensé beaucoup de démocrates. Avait-on encore une envie folle de faire gagner, même si on se situait clairement dans le camp conservateur et, bien plus encore, centriste, un candidat combatif certes mais sans scrupule, républicain mais plus trop, prêt à tout pour arracher "avec les dents" un miracle le 6 mai ?
François Bayrou, en affirmant un vote à titre personnel en faveur de François Hollande, non seulement n'a pas manqué de courage ni de cohérence, en dépit des reproches des centristes couchés tout au long de ces cinq années, mais a tiré les conclusions qui s'imposaient à la suite de cette indécente prostitution civique. Ses adversaires en revanche, toute honte bue, devraient se réfugier dans une discrétion de bon aloi après s'être abrités sous le sarkozysme triomphant sans jamais se lasser de le célébrer. Quel dommage que des Juppé, des Fillon ou des Raffarin aient laissé passer trop souvent l'occasion de parler ! Et Borloo ! Je n'évoque même pas Sauvadet qui n'a pas compté et Morin qui a fait trois petits tours de résistant pour vite regagner le confort ! Seule la sénatrice Chantal Jouanno avait pressenti, plus courageuse et lucide que ces faux sages et ces vrais pleutres, ce que cette dérive si cyniquement utilitaire allait entraîner comme discrédit!
François Hollande, devant lui, a un chantier où le président normal qu'il aspire à être va devoir se multiplier. Sur les plans politique, économique, financier, international, éthique. Sur tout ce qui va structurer une action et susciter une considération. Il serait évidemment catastrophique que sa conception élevée de la présidence soit d'emblée contredite par une déplorable pratique de l'Etat, que l'équité, le mérite et la compétence ne soient que des exigences formelles et que François Hollande, en somme, devienne avec la vitesse perverse de la foudre et de l'abus de pouvoir un Nicolas Sarkozy de gauche.
Je n'y crois pas une seconde tant François Hollande est attentif, comme l'a été François Bayrou, à la moralisation de la vie publique, à la nécessité d'une exemplarité qui diffuserait, dans une France déboussolée, l'influence bienfaisante de vertus et de comportements dignes de respect. Il me semble que cette République irréprochable et ce président à la fois normal et admiré seront d'autant plus des objectifs, des ambitions que François Hollande connaîtra vite les limites de la politique audacieuse et responsable qu'il s'engage à mener. D'une certaine manière, je suis persuadé qu'au moins avec l'éthique, l'Etat de droit, l'apaisement civique, la concorde nationale nous aurons des réponses fortes à nos attentes qui ne comprendraient pas que pour ce qui dépend exclusivement de notre nouveau président il n'y ait pas une fidélité absolue aux principes proclamés.
Pour le reste qui est politique, il y aura le champ du possible, l'état de l'Europe et du monde, la détermination de notre futur gouvernement et le rapport des forces parlementaires en juin.
François Hollande n'est pas, n'est plus un président socialiste. Pour que cette promesse renouvelée à chaque élection de devenir le président de tous les citoyens ne demeure pas un vœu pieux, il est essentiel que cette victoire du 6 mai sans discussion ni réserve soit perçue par François Hollande non pas seulement comme la victoire de ceux qui ont voté pour lui pour ne plus voir présider la France par le président sortant d'une droite méconnaissable lancée dans la joute par désespoir et provocation mais pour la chance d'une République qui donnerait droit de cité, au-delà du socialisme, aux déçus de 2007 et aux enthousiastes de 2012, à une gauche responsable et morale, à une droite humaniste et lucide.
Le rêve d'une démocratie, enfin, qui saurait se défendre sans se renier. Pour que notre société retrouve le goût d'être ensemble, il convient qu'un destin collectif à sa mesure lui soit présenté, offert. Ce que Nicolas Sarkozy n'a jamais su ni voulu accomplir, pourquoi François Hollande ne parviendrait-il pas à le mener à bien ?
Après un tel quinquennat on n'a plus le droit de mentir, de trahir, de désespérer et d'échouer. La France a de l'avenir. La France a du sens. La France n'est pas une forteresse assiégée mais une chance si elle est rassemblée, si elle se parle, si elle s'écoute.
Si François Hollande l'incarne comme elle le mérite, comme elle y a droit.
(Copyright : avec l'aimable autorisation du site Le Huffington Post, article de Ph.B paru le 6 mai à 20h)