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Mein Kampf : faut-il une nouvelle résistance ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 28/10/2015

Le projet des éditions Fayard doit être approuvé sans réserve. L'appareillage critique rassurera les tremblants ou les érudits qui ont besoin de l'être en lisant. Mais de grâce qu'aucune nouvelle résistance ne se lève pour se mettre au travers d'une évidence intellectuelle, historique et démocratique.

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Au risque de provoquer, dans une démocratie idéale on ne devrait même pas se poser la question de la publication ou de la republication d'un livre, aussi sulfureux qu'il puisse être, aussi criminel qu'il a été par les conséquences que son auteur lui a données. Aussi, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les interrogations autour de Mein Kampf aujourd'hui et, hier, au sujet des Décombres de Lucien Rebatet ne me paraissent pas être des préoccupations progressistes mais plutôt régressives (Le Figaro).

Faut-il même qualifier de courageux le projet des éditions Fayard de ressortir Mein Kampf en 2016 puisqu'au mois de janvier l'ouvrage tombera dans le domaine public ?

L'audace aurait été de ne pas se donner bonne conscience, en prenant un nombre infini de précautions, en préparant une réédition commentée avec un "appareillage critique" sans doute de très haute volée qui, au moment même où le lecteur sera traité comme un adulte, prétendra le guider comme un enfant. Pense-t-on vraiment que la minorité qui prendra la peine de parcourir ce livre à la fois malfaisant et instructif aura besoin d'être détournée des perversions et des abjections comme si elle pouvait ignorer l'antisémitisme et l'Holocauste qu'il a inspiré ?

Quand Hitler est sorti de sa condition d'aventurier entouré seulement d'une petite troupe et de quelques fidèles et qu'après avoir écrit Mein Kampf dans la prison de Landsberg, son pouvoir, des années plus tard, a assuré une diffusion considérable, obligatoire à ce brulôt foutraque et désordonné, je doute cependant que beaucoup d'Allemands l'aient lu dans le détail ou même l'aient lu. Il était là, présent, c'était tout. Comme un gage, une inféodation, une prudence.

Qui aurait pu imaginer qu'un jour l'écriture deviendrait monstruosité et les engagements de terrifiantes réalités ? En tout cas pas les diplomates européens qui n'ont jamais eu la lucidité de chercher dans ces pages, une fois la personnalité d'Hitler ostensiblement exposée et tellement atypique que la qualifier de caractérielle était faible, ce qui allait advenir et menacer ceux pour lesquels il éprouvait le comble de la haine : les Juifs.

Apparemment la problématique d'aujourd'hui n'est pas si simple puisque les historiens et les politiques sont en désaccord à son sujet et que même les premiers ne sont pas tous partisans de l'initiative de Fayard (Libération).

Pour Christian Ingrao, historien du nazisme et chercheur au CNRS, "il est nécessaire de republier ce livre" parce que "c'est refuser de le sacraliser négativement". Pour Alexis Corbière, reprenant le point de vue absolu de Jean-Luc Mélenchon, "il n'y a aucun intérêt à donner à lire Mein Kampf".

Cette notion d'intérêt est infiniment dangereuse parce qu'en la banalisant, la vulgarisant, le risque serait grand de s'autoriser à contester la publication d'ouvrages de toute nature, pas seulement historique, dont la nécessité serait rien moins qu'évidente.

Mais, pour contredire l'observation d'Alexis Corbière, il me semble que, dans le domaine de la vie intellectuelle et historique, aussi apocalyptique que celle-ci a été, on a le droit de raisonner à l'inverse et de soutenir qu'il y a "de l'intérêt à lire Mein Kampf".

D'abord, dans tous les cas - c'est un point de vue strictement personnel -, on a toujours intérêt à lire. A aller voir, à regarder, à détester, à haïr, à admirer, à apprécier ou à demeurer dans un état de tiède neutralité.

Ce n'est pas la moralité d'un ouvrage qui doit gouverner ni l'immoralité de son auteur. Sinon nous nous serions privés de bonheurs absolus de la littérature - je songe notamment à Céline - même si j'admets que dans l'ordre de l'horreur l'écrivain Hitler est incomparable et le leader nazi indépassable. Il n'empêche. La déviation qui fait de l'éthique le critère dominant fait ses ravages partout, pour l'art comme pour l'Histoire.

Ensuite je rejoins Laurent Joffrin qui reproche à Jean-Luc Mélenchon d'avoir choisi "l'outrance contre la vérité". Il évoque justement, pour Mein Kampf, son caractère de "document historique", je dirais même, de "curiosité historique". Il y a des bas-fonds d'il y a longtemps qui sont utiles à l'élévation du citoyen de maintenant.

Enfin, alors que Mein Kampf sera réimprimé dans une version commentée et pédagogique "pour éviter que l'extrême droite en Allemagne ne s'en empare", on pressent que derrière la volonté persistante d'oublier et de faire oublier Mein Kampf, il y a l'angoisse que, comme le nazisme accouplé à Hitler, génie sombre et destructeur, en a procédé, sa lecture entraîne pour demain des cataclysmes du même ordre.

Cette crainte est infondée et c'est une perversion des mots et de la culture historique que de feindre de trouver dans le présent quoi que ce soit qui justifie une similitude avec les années 30, Hitler, le fascisme et le nazisme. La paresse des esprits fait le lit de procès totalement inadaptés : à force d'en intenter d'absurdes, on s'abstient, en revanche, de formuler les pertinentes accusations qui devraient accabler certaines attitudes politiques.

Le projet des éditions Fayard doit être approuvé sans réserve. L'appareillage critique rassurera les tremblants ou les érudits qui ont besoin de l'être en lisant.

Mais de grâce qu'aucune nouvelle résistance ne se lève pour se mettre au travers d'une évidence intellectuelle, historique et démocratique.


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