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L’office du juge du référé-provision et la qualification des conditions de détention

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Marc Sénac de Monsembernard, Quentin Julia, 5/03/2014

Par une décision du 6 décembre 2013, n° 363290, le Conseil d’Etat a précisé, d’une part, l’office du juge des référés saisi d’une demande de provision et, d’autre part, la qualification des faits relatifs aux conditions de détention des personnes vulnérables, par l’établissement d’une grille de critères, en vue d’une objectivisation de ce type de contentieux.
1. Dans l’affaire ayant donné lieu à cette décision du Conseil d’Etat, un détenu, handicapé, avait passé plusieurs jours dans une cellule ordinaire avant d’être placé dans une cellule médicalisée, située dans un quartier spécialement aménagé pour les détenus handicapés.
Estimant ses conditions de détention contraires au respect de la dignité humaine, garantie par l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun d’une demande tendant au versement d’une provision de 9000 euros.

2. Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi après que la cour administrative d’appel de Paris a ramené à 300 euros le montant de la provision – initialement fixé à 2000 euros par le tribunal administratif de Melun – a profité de l’opportunité qui lui était offerte pour préciser l’office du juge des référés saisi d’une demande de provision, avant d’éclaircir la position devant être adoptée par celui-ci, concernant la qualification des faits en cas de conditions de détention pouvant être considérées comme non conformes au respect de la dignité humaine.

3. D’une part, l’office du juge du référé-provision tient à une unique condition, l’existence d’une obligation « non sérieusement contestable », énoncée l’article R. 541-1 du code de justice administrative. Autrement dit, l’obligation de créance doit comporter un caractère certain. S’il existe une incertitude, le juge ne doit allouer, le cas échéant, de provision, que pour la part du montant qui revêt un caractère certain.
D’autre part, en cassation, si l’on ne peut contester le montant évalué de l’obligation, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, l’on peut, en revanche, contester la qualification juridique opérée par le juge du référé-provision relative au caractère non sérieusement contestable de celle-ci.

4. Le Conseil d’Etat, en rappelant l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon lequel « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » et l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009 qui prévoit, notamment, que « L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits », a établi une grille de critères qui permettra au juge du référé-provision de qualifier, objectivement, les conditions de détention afin de les juger contraires, ou non, au respect de la dignité humaine - reconnue comme principe de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel (Cons. Const. 27 juil. 1994, n° 94-343/344 DC et comme composante de l’ordre public par le Conseil d’Etat (CE 27 oct. 1995, n° 136727, Cne de Morsang-sur-Orge.

5. L’on dénombre, pour effectuer cette qualification, quatre critères. Le premier critère est relatif à la vulnérabilité des détenus. Les deux suivants sont fonction de la nature et de la durée des manquements constatés. Le dernier, enfin, rend compte des motifs susceptibles de justifier ces manquements.

6. La combinaison de ces quatre critères, inspirés de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme, a pour finalité d’évacuer un phénomène d’automaticité dans l’octroi de provision.
S’il est évident que le juge du référé-provision doit se montrer extrêmement vigilant sur les conditions de détention des personnes les plus vulnérables, un certain niveau de gravité doit, toutefois, être atteint pour ouvrir le droit au versement d’une provision.

7. Le Conseil d’Etat confirme, par cette solution, l’exacte qualification des faits opérée par la cour administrative d’appel de Paris, selon laquelle les conditions de détention, que le détenu estimait contraire à la dignité humaine, n’atteignaient pas un degré de gravité tel que l’obligation invoquée puisse être regardée comme non sérieusement contestable.


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