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L’imputabilité du comportement de la filiale à sa mère : l’exemple de l’affaire de la signalisation routière

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Aymeric Gaultier, 16/04/2012

Par la décision n° 10 D 39 rendue le 22 décembre 2010, l’Autorité de la concurrence avait sanctionné 10 entreprises à hauteur de 55 millions d’euros pour la mise en œuvre de trois pratiques d’entente anticoncurrentielle et d’abus de position dominante dans le secteur de la signalisation routière verticale. La Cour d’Appel de Paris statuant sur les recours introduits par 8 des 10 entreprises sanctionnées a confirmé, dans son ensemble, la décision de l’Autorité revenant seulement sur le montant des actions. Cet arrêt, bien que n’étant pas novateur, est intéressant à plusieurs titres. Nous nous en tiendrons ici essentiellement à la problématique de l’imputabilité aux sociétés mères des pratiques mises en œuvre par leurs filiales.
1. Les termes de l’arrêt de la cour d’appel de Paris
Dans cette affaire, la société AXIMUM, qui détenait de 1998 à 2006 la totalité du capital de la société SES, a été sanctionnée par l’Autorité en raison de l’influence déterminante d’AXIMUM sur sa filiale SES et donc de sa responsabilité et du comportement anticoncurrentiel de sa filiale.

En appel, la société AXIMUM avançait que l’imputabilité aux sociétés mères des pratiques mises en œuvre par leurs filiales portait de multiples atteintes aux grands principes généraux du droit. Elle considérait également que les éléments du dossier démontraient l’autonomie commerciale de SES à son égard, permettant ainsi de ne pas lui imputer la responsabilité du comportement de SES.

Pour rejeter les arguments soulevés par la société AXIMUM, la Cour d’Appel prend soin de détailler sa démonstration en reprenant à son compte la position européenne sur la question. La Cour précise ainsi que contrairement à ce qui sous-tend l’argumentation de la société AXIMUM, l’imputabilité à la société mère de pratiques mises en œuvre par sa filiale ne consacre pas un cas de responsabilité du fait d’autrui.

S’appuyant sur un grand nombre de décisions au niveau européen, la Cour rappelle que la responsabilité de la société mère n’est encourue qu’en dépit du fait que ces entreprises sont des entités juridiques distinctes, elles ne constituent qu’une seule et même entité économique et donc une seule entreprise au sens de l’article 101 du Traité TFUE qui sanctionne les ententes anticoncurrentielles.

C’est donc sur la base d’une responsabilité personnelle que la société AXIMUM a été sanctionnée.

De même, la requérante qui considérait que l’article 6 de la CEDH consacrant le principe de la présomption d’innocence s’opposait à l’existence d’une présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante et donc de responsabilité de la société mère lorsque celle-ci détient 100 % du capital de sa filiale. La Cour rappelle que cette présomption est réfragable et qu’il appartient à la société de démontrer l’existence d’une autonomie de la filiale au moment des faits.

Sur ce point, les arguments avancés par la société AXIMUM n’ont pas convaincu la Cour d’Appel qui a confirmé la position de l’Autorité de la concurrence.

Elle rappelle, à juste titre, qu’une entreprise ne peut se prévaloir de dysfonctionnements de son organisation interne pour s’exonérer de sa responsabilité. C’est la raison pour laquelle la Cour ne retient pas l’argument selon lequel le dirigeant de la société aurait participé au cartel à l’insu des actionnaires dirigeants de droit et supérieurs hiérarchiques et, en dépit des règles déontologiques de la Société.


2. La présomption de responsabilité des sociétés-mères : conséquences pratiques
Outre ce cas d’espèce, on constate que le renversement de la présomption réfragable pesant sur la société mère, dès lors que celle-ci détient 100 % de sa filiale, est particulièrement délicat. A notre connaissance, la présomption n’a été renversée que dans trois cas au niveau communautaire. Or, cette imputabilité a des conséquences importantes sur la société mère, dès lors que celle-ci détient plusieurs filiales : les risques au titre de la réitération de la pratique, la condamnation conjointe et solidaire ou l’augmentation de la sanction à titre dissuasif. Or, si le principe même de cette présomption de responsabilité de la société mère est justifié, il peut toutefois aboutir à des situations délicates.

C’est ainsi qu’il y a quelques mois, la Commission Européenne a lancé une enquête à l’encontre notamment du fonds d’investissements Goldman Sachs Capital Partners au titre de sa participation dans une société italienne, Prysmian, soupçonnée d’avoir participé à un cartel en Italie. La mise en cause de la société Goldman Sachs pourrait être retenue dès lors qu’aucune preuve d’absence d’exercice d’influence déterminante ne serait rapportée alors que, par définition, les fonds d’investissement ne s’impliquent pas quotidiennement dans la gestion de leurs portefeuilles de participations. Mais les éléments retenus, au cas par cas, par la jurisprudence pour contrer cette présomption sont rares et certains d’entre eux peuvent permettre, au contraire, de conforter la présomption.

A ce titre, on relèvera que le déploiement de programmes de conformité en droit de la concurrence par la société mère au sein de l’ensemble de ses filiales est considéré comme un élément permettant de justifier l’exercice effectif d’une influence déterminante.

Ce point, bien que ne permettant pas, à lui seul, de pouvoir conclure à l’exercice d’une telle influence est à contre-courant de la volonté, en tout cas au niveau national, de promouvoir la politique de concurrence au sein des entreprises, notamment par l’adoption de programmes de conformité.

Ainsi, si une société désireuse de faire comprendre les règles de concurrence et de faire appliquer ces règles au sein de ses différentes filiales, met en place des programmes de conformité, elle pourrait se voir reprocher l’existence de ces programmes aboutissant à la mise en cause de sa responsabilité personnelle.

Nul doute que l’adoption d’une position commune au niveau européen sur l’intérêt et la place des programmes de conformité apporterait une plus grand sécurité juridique pour les entreprises



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