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Alep, 8 septembre 2015 : Banalisation de l’horreur

Actualités du droit - Gilles Devers, 13/09/2015

Que savons-nous de ce qui se passe à Alep ? Voici une lettre d’Alep,...

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Que savons-nous de ce qui se passe à Alep ? Voici une lettre d’Alep, rédigée par le Docteur Antaki, médecin et membre des Maristes bleus, ONG travaillant dans Alep. C’est la 23ème lettre. Vous pouvez ici en lire quelques-unes ici, et là, c’est la page Facebook de l’équipe des Maristes bleus. Avec ces documents, nous sommes dans les réalités syriennes, dans la partie de la ville restée sous contrôle gouvernemental. Le Docteur Antaki a également diffusé une interview récente. Il nous parle de vie qui se maintient à Alep, du contexte politique et diplomatique, des activités de son ONG… S’agissant de l’accueil des réfugiés, voici le message du Docteur Antaki : « Considérez les réfugiés comme des êtres humains fuyant la guerre et la mort et non des migrants qui viennent cherchez un mieux-être chez vous. Soyez généreux de cœur et hospitaliers. Ensuite, informez, luttez contre la désinformation pratiquée par certains médias, faites pression sur vos élus et vos responsables pour qu’ils changent leur politique afin d’arriver à une solution politique du drame syrien et sauver ce qui peut l’être de la Syrie et de son tissu social. Ensuite et seulement ensuite, donnez généreusement pour aider et secourir ».

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Si nous n’écrivons pas plus fréquemment nos lettres d’Alep, et pourtant vous, nos amis, ne cessez de les demander, c’est parce que nous pensons que la répétition de la dénonciation des crimes commis et des souffrances endurées par les Syriens, risque de les banaliser. Nous craignons que, à force de lire les atrocités qui sont commises en Syrie, vous ne perdiez votre faculté d’indignation, que vous vous résigniez à accepter l’inacceptable, et de ce fait, que nous participions tous à la banalisation de l’horreur. Et pourtant, nous ne pouvons pas ne pas raconter et partager avec vous les souffrances de notre peuple.

Alep manque d’eau et les Alepins ont eu très soif et très chaud cet été. Ce n’était pas à cause d’une sècheresse ou de la baisse du niveau de l’eau dans l’Euphrate. La station de pompage existe toujours, elle n’a pas été détruite. Les réservoirs et les bassins sont pleins. L’eau qui s’y trouve est, tous les jours, vidée dans la nature plutôt que d’être pompée dans les conduites d’eau de la ville.

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Nous sommes ainsi laissés à la merci des bandes armées qui ont décidé de nous laisser sans eau (avec 40 degrés à l’ombre) pendant de nombreuses semaines. Les files d’attente sont très longues devant les robinets alimentés par les puits qui existent dans les jardins publics, les églises et les mosquées, pour pouvoir remplir bidons, bouteilles et seaux. Pour régler ce problème, les autorités n’ont trouvé d’autre solution que de décider d’un programme de forage de 80 puits, qui, avec les puits existants, pourraient satisfaire le minimum vital d’eau d’une population de 2 millions d’habitants. Alep est devenue un gruyère tellement on y fore des puits et les Alepins commencent à oublier ce qu’est l’eau courante puisqu’il leur faut aller chercher l’eau du puits. Il y a un an, pour ce même crime, vous avez été nombreux à protester et vos medias aussi. Aujourd’hui avec la répétition du crime, il est devenu banal et personne n’en parle plus.

Alep manque d’électricité, « on » ne nous la fournit pas ; Ah si, occasionnellement une heure par jour. Il y a 2 ans, quand nous l’avions 4 heures par jour, vous aviez protesté contre ces groupes armés alliés de vos gouvernements qui arrêtaient intentionnellement la fourniture d’électricité. Depuis, les choses ont empiré mais on n’en parle plus, c’est devenu tellement banal et ordinaire.

Il y a un an, quand les barbares ont commencé à détruire les sites archéologiques en Irak et en Syrie, patrimoine de l’humanité et mémoire de notre histoire, certains ont protesté. Depuis, « ils » continuent à détruire les trésors de la Syrie ; les 2 principaux temples de Palmyre, joyau du désert syrien étant les derniers à être détruit. « Ils » veulent raser tout ce qui rappelle l’histoire multimillénaire du pays. « Ils » veulent que l’Histoire commence avec eux et personne ne dit rien. C’est devenu banal.

Ils égorgent des êtres humains. Vous avez protesté il y a un an quand ils ont égorgé quelques occidentaux. Pourtant ils n’étaient pas les premiers ! Des centaines de Syriens avaient déjà été victimes de cette barbarie. Beaucoup d’autres ont suivi ; le dernier en date était le directeur des antiquités de Palmyre, un savant de 82 ans, mais plus personne ne proteste. Banalisation ! Bof, égorger un être humain comme on égorge un mouton et alors !!!

« Ils » ont enlevé des centaines de chrétiens et de Yezidis en Irak. C’était il y a presque un an. Vous vous êtes indignés et vos dirigeants ont protesté en faisant des déclarations tonitruantes qui ont fait pschitt comme un pétard mouillé. Depuis, « ils » ont enlevés des centaines de chrétiens assyriens à Hassake, d’autres à Quariatayn au centre de la Syrie. Et personne n’a protesté. C’est devenu banal, ça ne choque plus ; et alors, dites-vous, si on devait s’indigner aussi parce qu’ils vendent les femmes comme esclaves, on n’arrêterait pas de se lamenter ; pour si peu…

La Syrie se vide de son peuple, surtout de ses chrétiens. Ils sont devenus les « réfugiés » qui vous dérangent tant. Il faut les écouter raconter leurs souffrances et les dangers qu’ils affrontent pour passer clandestinement en Europe. Ah, ils n’ont qu’à rester chez eux, dites-vous ? Mais chez eux, c’est l’enfer, c’est le chaos, c’est la mort. Ce ne sont pas des migrants comme vous vous plaisez à les appeler pour soulager votre conscience, ce sont des réfugiés ; et puis, si les réfugiés vous dérangent tellement, pensez-y doublement la prochaine fois avant de déclencher la guerre dans leur pays. Entretemps, arrêtez celle que vous avez déclenchée en Syrie et vous verrez le flot des réfugiés qui vous dérangent se tarir, les gens préférant de loin rester chez eux et garder leur dignité. Il ne faut pas oublier les milliers de réfugiés qui sont morts par noyade ou asphyxie. Vous ne vous êtes indignés que quand vos médias vous ont montré l’image déchirante et médiatisée du petit Aylan sur une plage turque. Il fallait le faire avant et aussi, maintenant, après ce drame.

Mais, mourir en mer, c’est devenu tellement banal !

Devant tant de misères, de souffrances, de morts, de destructions et de drames, nous, les Maristes Bleus, ne pouvions pas rester les bras croisés. Nous dénonçons, nous attirons l’attention, nous refusons l’inacceptable, nous protestons, nous informons et nous agissons.

Certaines des familles déplacées que nous aidions et les familles de certains de nos bénévoles ont fuient la Syrie pour l’Europe en empruntant les voies illégales des passages clandestins des frontières et la navigation en méditerranée. Nous n’avons pas de leçons à leur donner quand ils viennent demander conseil ni de réprimandes à leur faire. C’est déjà un exploit d’avoir tenu le coup pendant 4 ans et demi. Tout au plus, nous prions pour qu’ils arrivent sauf sans trop de souffrances.

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Face à la crise de l’eau, nous avions, il y a 6 semaines, lancé un appel au secours. Trois associations amies occidentales ont répondu généreusement à notre appel. Nous avons pu acheter 3 camionnettes que nous avons équipées de réservoirs de 1000 à 2000 litres d’eau, d’une pompe et d’un petit générateur. Nous avons aussi acheté des réservoirs de 250 litres que nous avons installés chez les familles déplacées. Nous avons ainsi initié un nouveau programme « J’ai Soif ». Nous remplissons plusieurs fois par jour les réservoirs des camionnettes à partir des puits artésiens d’une église et nous allons les vider dans ceux des familles déplacées ou chez nos bénévoles.

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Notre projet « goutte de lait » qui consiste à distribuer à tous les enfants de moins de 10 ans du lait en poudre ou du lait pour nourrissons a entamé son 5 ème mois avec la reconnaissance des parents qui voient leurs enfants grandir normalement en dépit de la guerre.

Nous continuons à aider les familles déplacées ou démunies à survivre grâce aux paniers alimentaires mensuels que nous leur distribuons et à s’habiller. Nous aidons des centaines de familles déplacées à se loger. Nous participons aux frais des opérations chirurgicales ou des admissions à l’hôpital pour ceux qui n’ont pas les moyens de le faire. Nous continuons à distribuer des repas chauds à midi.

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Notre programme des « Civils blessés de Guerre » se poursuit pour traiter gratuitement et sauver de la mort les blessés gravement atteints par des obus ou des balles et ce dans le meilleur hôpital privé d’Alep.

La fin de l’année scolaire n’a pas sonné l’arrêt de nos activités pédagogiques. Cet été, comme chaque été, nous avons organisé plusieurs « colonies de vacances » pour les enfants de nos différents projets, en particulier ceux de « Apprendre à Grandir » et de « Je veux Apprendre ».

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« Magic Bus 1 », « Magic Bus 2 », « I love Summer » ont fait la joie des enfants qui ont passé des semaines de bonheur et de joie oubliant la guerre et les privations.

Skill School a poursuivi ses activités avec les adolescents (tes) qui ont profité des vacances scolaires pour vivre de très beaux projets.

Notre « M.I.T. » se porte bien et malgré la guerre et surtout la chaleur torride de cet été, les sessions ont continué avec davantage de demandes de participation.

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Ce midi, un journaliste canadien m’a demandé au cours d’une interview radiophonique en direct via le téléphone ce que j’aimerai dire à un citoyen européen ou américain. Je voudrai partager avec vous la réponse que j’ai faite :

« D’abord, ne perdez pas votre faculté d’indignation devant le drame syrien et les souffrances des Syriens, dénoncez les actes barbares, ne vous habituez pas à l’horreur, évitez que la répétition des dénonciations ne banalisent les actes dénoncés. Déclarez votre solidarité avec les gens qui ont faim, qui ont soif, qui sont malades ou blessés, déplacés ou réfugiés, sur les routes ou sur la mer.

« Considérez les réfugiés comme des êtres humains fuyant la guerre et la mort et non des migrants qui viennent cherchez un mieux-être chez vous. Soyez généreux de cœur et hospitaliers. Ensuite, informez, luttez contre la désinformation pratiquée par certains médias, faites pression sur vos élus et vos responsables pour qu’ils changent leur politique afin d’arriver à une solution politique du drame syrien et sauver ce qui peut l’être de la Syrie et de son tissu social. Ensuite et seulement ensuite, donnez généreusement pour aider et secourir ».

Là-dessus, je vous quitte en vous transmettant les salutations et les remerciements de toute notre équipe.

Docteur Nabil Antaki

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