En finir avec les confusions qui entourent les Centres éducatifs fermés (476)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 23/06/2012
Les journées d’études sur" l'éducation sous contrainte" organisées à Limoges jeudi et vendredi dernier par l'ALSEA de la Vienne ont mis en exergue une nouvelle fois et de manière massive la confusion, et donc finalement le malaise, qui entoure les Centres éducatifs fermés, figure-phare du dispositif innové en 2002 pour réagir autrement à la délinquance juvénile.
Ces difficultés méritent d’être dépassées au plus vite quand le président de la République s’est engagé dans sa campagne à doubler le nombre de CEF dans son septennat pour disposer d’environ 80 structures quand aujourd’hui une bonne quarantaine fonctionnent.
Cette démarche s’impose d’autant plus que le coût du programme CEF est fort élevé : entre 600 à 800 euros par jour et par mineur accueilli. Conçues initialement pour 8 à 10 jeunes ces structures peuvent aujourd’hui en recevoir 12 et semble-t-il le projet est formé, pour réduire ces coûts hors du commun et augmenter la capacité d’accueil, de dépasser singulièrement ce seuil.
Plusieurs clarifications s’imposent d’urgence.
Déjà et fondamentalement, l’appellation est ambiguë. Elle ne correspond pas à la réalité : aucun des lieux existants n’est réellement et matériellement fermé et, le voudrait-on, ces structures ne peuvent pas juridiquement être fermées. Ce ne sont pas des établissements pénitentiaires relevant de l’administration du même nom. (1) Le jeune y est confié sur ordre d’un juge et généralement dans le cadre d’un contrôle judiciaire qui lui interdit de sortir de l’établissement sans l’accord des responsables. S’il ne respecte pas cette règle - ou s’il ne respecte pas le règlement intérieur -, il peut se retrouver ... incarcéré pour un délai maximum d’un mois renouvelable un mois.
L’orientation vers un Centre éducatif fermé relève d’une démarche de contrainte judiciaire indéniable et il est important que certains jeunes se voient imposer des ordres par un juge. C’est le cas pour ceux qui, dans la toute puissance, ont refusé jusqu’ici toute démarche éducative. Il est de leur intérêt, sinon dans celui de la société, de se voir imposer un lieu de vie et des obligations de formation ou de soins.
Les CEF ne sont pas des prisons « sociales » qui permettraient de donner bonne conscience à une bourgeoisie de droite ou de gauche qui refuse d’incarcérer un enfant. De fait les prisons à la française sont criminogènes ; de fait elles sont souvent « la honte de la République ». Un programme a été développé depuis 2002 pour doter le pays d’Etablissements pénitentiaires pour mineurs –EPM - conformes aux standards internationaux. Il en est six en tout et pour tout – sans que d’autres soient en prévision- qui peuvent accueillir 60 mineurs chacun pour 150 personnels de surveillance, éducateurs et enseignants.
Il faut savoir le dire clairement : quand un jeune mérite d’être incarcéré soit en détention provisoire pour être mis à l’écart, soit en exécution d’une peine, il faut assumer cette détention, y compris à l’égard du jeune. On ne peut pas lui dire publiquement que ce qu’il a fait est grave et ne pas appliquer les réponses que prévoit notre société pour des faits graves. Bien évidemment l’incarcération n’est pas une fin en soi pour quiconque, mais pour un jeune ce ne peut être qu’une étape – forte certes - d’une prise en charge sur le long terme qui vise à la détacher d’un certain mode de vie.
Reste que d’aucune façon, comme trop de politiques l’imaginent, un Centre éducatif fermé peut ou doit se substituer à l’incarcération. Il faut oser le dire tellement l’implicite est fort ici. Et pourtant nombre sont encore près de tomber dans panneau comme le gouvernement précédent l’a fait après l’affaire du Boen sur Lignon en décidant qu’un mineur criminel non incarcéré devrait rester en CEF jusqu’à son jugement.
En France, si on l’on veut priver un enfant de liberté, avec les garanties judiciaires qui s’imposent autour du mandat de dépôt, il faut recourir à l’un des six EPM ou aux 59 quartiers pour mineurs existants dans les centres pénitentiaires de droit commun.
Un CEF ne peut pas être une alternative à l’incarcération, mais une alternative au retour au domicile.
Et un Centre éducatif fermé avant d’être fermé est éducatif.
En d’autres termes un jeune confié à un CEF doit pouvoir en sortir comme de tout établissement éducatif … à ses risques et périls. On ne s’évade pas d’un CEF ; on en fugue ! Certes il ne s’agit pas de lui faciliter les choses : la présence d’un nombre important d’adultes, les aménagements matériels, l’organisation de l’emprisonnement du centre, etc. Beaucoup de choses peuvent contribuer à rendre ce départ difficile. Violant les obligations judiciaires – contrôle judicaire, placement dans le cadre d’une libération conditionnelle, exercice d’une mise à l’épreuve - le jeune fugueur sait qu’il pourra être incarcéré et déjà recherché et ramené manu militari comme au temps jadis où les éducateurs traversaient la France pour ramener au CEF un jeune fugueur et au passage reprendre avec lui le travail engagé, et s’il le faut plusieurs fois jusqu’à ce qu’il se demande pourquoi les éducateurs ne lâchent pas prise. Ils obéissent au mandat judiciaire reçu et ils marquent leur intérêt pour le jeune. Il n’est pas question de revenir aux Bon Pasteur et autres Maisons de correction de jadis avec leurs cellules et les robes de bure dont les jeunes étaient affublés quand, rappelons-le, tous n’étaient pas des délinquants.
Deuxièmement clarification du débat : il faut (ré)affirmer haut et fort qu’il ne peut pas y avoir de réelle démarche éducative dans un milieu aussi artificiel qu’est un lieu clos. Il ne s’agit pas de dire que la privation de liberté n’a aucune dimension éducative ou ne permet pas un minimum de démarche éducative, mais que c’est un leurre que de mettre la barre très haut. Le temps de sa privation de liberté un individu peut se réconcilier un peu avec lui même et avec son corps en acceptant des soins (2) ; il peut ré-apprendre ou apprendre à se coucher et à se lever à une certaine heure, il peut parfois trouver des adultes avec qui dialoguer. Même dans les EPM on est loin de la prison-école rêvée publiquement par M. Perben, garde des sceaux en 2002.
C’est un autre paradoxe majeur de la dernière période que l’on donne un objectif éducatif à la prison quandl' on demande aux centres éducatifs de se fermer!
Il faut donc sortir de ces confusions avec quelques repères simples.
1) Quand la privation de liberté s’impose – et cela doit être rare - il fait oser l’accepter.
2) Bien évidemment le temps d’incarcération doit être mis à profit pour prolonger le travail éducatif qui aura pu être préalablement engagé
3) La démarche éducative a pour ressort une prise de risque. Elle peut être refusée ; il faut convaincre l’enfant de l’accepter. La contrainte imposée par l’adulte – le parent ou le juge – quant aux conditions de vie est légitime ; la loi en fixe le cadre. L’autorité parentale implique le pouvoir de se faire obéir par l’enfant ; l’autorité judicaire dispose elle aussi du pouvoir de sanctionner la violation des interdits posés.
4) Peu de jeunes relèvent d’une structure qui pratique l’éducation sous contrainte. A peine 2000 sur les 75 000 mineurs suivis par les juges des enfants. Reste que ces structures sont avant tout des établissements d’éducation.
En d’autres termes, sans angélisme, il s’agit de revenir sur le vice originel des CEF créés dans la foulée de l‘élection présidentielle de 2002 sans qu’on ait préalablement identifié les objectifs visés et en jetant la confusion sur leur nature réelle.
Cet effort s’impose d’autant plus aujourd’hui que certains auraient tendance à tout attendre de ces structures. Or elles ne peuvent pas faire de miracles quand en plus on change en permanence la commande : initialement prévues pour les multirédivistes, on leur a demandé ensuite d’accueillir des primo-délinquants. Il faut déjà leur donner les moyens de répondre au cahier des charges qu’on veut leur fixer. Il ne peut s’agit que d’un instrument dans une gamme d’outils.
Il ne s‘agit pas d’être pour ou contre les CEF, mais de bien identifier ce que l’on peut attendre de ces établissements, éducatifs avant tout. A défaut un jour viendra où on leur fera un procès injuste.
Réunir dans la même structure une dizaine de jeunes ayant de gros problèmes, dont certains des difficultés psychologiques majeures est une gageure. L’effet cocotte-minute est permanent. Il faut donc se donner les moyens d’une vie institutionnelle qui protège chacun, mineur comme professionnel (3); il faut aussi prévoir des dégagements extérieurs comme l’offrent les centres éducatifs renforcés; il faut encore que l’équipe éducative soit spécialement formée et puisse s’inscrire dans la durée quand trop sont en crise – comme les EPM – sont régulièrement en crise. Il faut déjà permettre que se constituent des équipes dont les membres croient au projet éducatif. Or on est loin de réunir cette condition dans les structures gérées directement par l’administration.
L’enjeu par rapport à un jeune qui entre ou s’inscrit dans une délinquance préoccupante est bien de faire du sur-mesure.
Dans le même temps où on a le souci de construire sur quelques mois une réponse éducative pour chaque jeune, il faut aussi qu’il y ait un pilote dans la cabine judiciaire. Or ce juge est en voie de disparaître dans quelques mois avec la décision de juillet 2011 du Conseil Constitutionnel qui conteste la partialité du juge des enfants et vient lui interdire de présider le tribunal pour enfants quand il aura instruit l’affaire pénale. Quand c’est bien cette partialité qui a été jusqu’ici le garant de la prise en charge éducative des jeunes vraiment inscrits dans la délinquance.
(1) Ces structures sont à quelques exceptions près gérées par des supports associatifs
(2) Les jeunes incarcérés sont généralement dans un état de santé physique et psychique pitoyable. De longue date, dans une démarche nihiliste, ils laissent se dégrader leur corps.
(3) Aujourd’hui les CEF se présentent comme plain quand ils ne les ont pas car au-delà d’un effectif de 8 jeunes le risque d’explosion est majeur. D’où au plan national un taux d’utilisation de 80%