Les somptueuses banalités du président suffisent-elles ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 10/10/2019
C'est beau, c'est grand, c'est exaltant, c'est moral.
Mais cela suffit-il ?
J'ai scrupule à questionner la validité et l'efficacité de ces funèbres et solennelles cérémonies à répétition. Il n'est personne qui autour de moi n'ait pas apprécié le dernier hommage rendu par le président de la République à la mémoire des quatre victimes de l'assassin Mickaël Harpon, son ton, sa mesure, sa dignité et sa vigueur.
Sa vigueur ?
Etait-il nécessaire, après avoir évoqué l'obligation d'une "société de vigilance", d'user de précaution de pensée et de langage pour bien la distinguer du "soupçon qui corrode" ? Comme si les Français en avaient jamais fait trop dans leur quotidienneté contre "l'hydre islamiste" enfin nommée sans détour !
Le président en a appelé à l'exigence de l'unité et à l'esprit de résistance. Il a souhaité la mobilisation de tous, pas seulement celle de l'Etat et des administrations. Elle devrait conduire à "repérer à l'école, au travail, dans les lieux de culte, près de chez soi, les relâchements, les déviations".
Emmanuel Macron promet "un combat sans relâche".
Pourquoi ce verbe volontariste et qu'un citoyen de bon sens ne peut qu'approuver sonne-t-il pourtant non pas faux mais en quelque sorte "impuissant" ?
D'abord il a été peu ou prou exprimé, moins bien certes, mais on ne peut pas dire que François Hollande ait été sur une ligne radicalement différente, dans l'oralité, de celle de son successeur.
Ces hommages qui se répètent constituent un tragique aveu d'impuissance qui, pour susciter l'émotion, révèle surtout un terrifiant désarroi face à ce qu'on est incapable d'empêcher.
Non pas qu'il faille s'en abstenir - on n'a pas le choix - mais j'aimerais que dans les tréfonds de la République on ne s'y habitue pas. Comme s'il s'agissait d'une fatalité à prendre avec notre démocratie humaniste mais désarmée.
Le président de la République, comme on l'a souligné ici ou là, s'est efforcé de ne pas hystériser son propos mais la rançon de ces somptueuses banalités est qu'en définitive nous n'avons pas eu le ton d'un chef de guerre mais celui d'un responsable qui, à force de ne pas vouloir angoisser le pays tout en cherchant à l'alerter, a donné certes des pistes, insufflé de l'énergie, formulé des avertissements mais sans que rien d'opératoire ne puisse en résulter.
Il n'a pas mis l'accent prioritairement sur l'autorité, le respect de la loi - le nombre d'infractions tenant par exemple à l'interdiction du voile intégral non relevées -, l'exemplarité professionnelle, les sanctions à prononcer contre les défaillants et les incompétents et le devoir d'une société de se défendre en se corsetant et en prenant les devants au lieu d'attendre le coup de grâce.
Pour qu'Emmanuel Macron puisse convaincre que sa volonté de rassemblement concerne tous les citoyens, il conviendrait qu'il cesse de mêler à ce combat capital pour notre sauvegarde l'opposition politique et l'apparent consensus démocratique. Comme si son objectif principal était davantage d'exclure les électeurs du RN de cette entreprise collective que de permettre à la France de bander toutes ses forces pour demain.
Je tiens à cette distinction entre l'affrontement politique et au moins l'aspiration à une concorde républicaine pour ne pas laisser le moindre citoyen sur le bord de ce chemin où se joue notre survie. Quand je lis un éditorial "Terrorisme : faire bloc" (Le Monde), je retrouve ce risque de considérer que la "subversion migratoire" dénoncée "par Marine Le Pen et Marion Maréchal" est beaucoup plus dangereuse quasiment que la mission collective de lutter contre le terrorisme.
A voir plusieurs réactions immédiates et à prendre acte de certains constats, n'aurait-on pas le droit d'estimer que notre société et les autorités publiques ont plus besoin d'être boostées, stimulées qu'incitées à un apaisement qui n'est que trop naturel pour un régime prenant ses défaites pour de la sagesse et ses avanies pour une heureuse modération ?
Qu'on en juge. Un imam de la mosquée de Gonesse jamais éloigné comme il aurait dû l'être dans les meilleurs délais. Un Hadama Traoré qui annonce son intention de manifester à Gonesse pour, si on analyse bien, restituer le vrai Harpon, comme si l'assassin ne suffisait pas. La manifestation est interdite et Traoré placé en garde à vue. Des commissariats dans la région parisienne ont reçu des messages insultants et des menaces islamistes. A Saint-Denis un couple dont la femme portait le voile intégral a reçu l'appui de la force publique alors qu'il s'en était pris à un mouvement défendant la laïcité (Le Point). Des épisodes ne laissant pas douter que le ver est dans le fruit et qu'aucun discours à la fois humaniste et pugnace ne saurait le réduire.
Mais il y a plus grave que ces troubles inquiétants de la quotidienneté.
Jean-Pierre Chevènement, personnalité admirée, dit-on, par le président de la République, souligne "un danger certain de fragmentation" et énonce que "les guerres civiles commencent toujours à bas bruit" (Le Point). Ces assertions lucides sont confirmées par le fait que "3 Français sur 4 sont tentés par un vote antisystème", ce qui démontre , selon Dominique Reynié, que "le niveau de la menace populiste est historiquement élevé" (Le Figaro). Avec une forte défiance à l'égard des institutions et des politiques. Ainsi que, constante, une moitié des Gilets jaunes qui demeurent rétifs au vote.
Dans ces conditions, on ne peut pas se contenter de la saillie pertinente de Riss: "Les délateurs de l'islamophobie, les adeptes de la laïcité apaisée, ne demandent jamais aux plus fanatiques de s'apaiser, ça non" (Le Point).
J'incline à penser, avec la modestie qui convient face à une France au moins désorientée, que les somptueuses banalités du président ne suffisent pas.
Il n'a pas besoin de devenir quelqu'un d'autre pour susciter notre adhésion mais de grâce que sa parole soit l'injonction d'un guerrier et non le message d'un républicain brillant mais sans surprise.