Assises de Paris : Huit ans pour des viols d’enfants en Indonésie
Actualités du droit - Gilles Devers, 9/09/2012
Les affaires de mœurs qui passent aux assises sont chaque fois une plongée dans l’horreur du crime, souvent trop sordides pour en parler. Mais l’affaire jugée ce vendredi à Paris est intéressante pour la petite mise à jour qu’elle permet à propos des modalités de la preuve et du jugement en France des faits de viols commis par des Français à l’étranger.
A l’occasion de l’affaire du plus célèbre rapport sexuel hâtif de Manhattan, on avait entendu de drôle de choses sur la compétence du juge français ou la preuve, fantasmée comme une danse du ventre autour de « parole de l’un contre parole de l’autre », le tout le contexte judiciaire d’un pays fatigué où les avocats doivent dénoncer au procureur les mensonges de leur client, même si ces mensonges ne concernent pas les faits criminels en cours d’enquête…
Retour sur un pays qui a des pratiques judiciaires sérieuses, la France.
Les faits
Les faits se passent en Indonésie, à Yogyakarta, sur l'île de Java. L’accusé, âgé de 75 ans lors du procès, s’y est installé depuis les années 1990. Il répond être artiste-peintre quand la cour lui demande son métier.
Il accueillait chez lui des enfants sourds ou malentendants, expliquant que c’était pour leur éviter une scolarisation avec les handicapés mentaux.
Mais trois enfants l’ont accusé d’agressions sexuelles, à savoir des viols répétés.
Le procès
La presse a suivi les audiences, et il en ressort que les preuves étaient bien minces.
Eléments objectifs, ie des données médicales ? A priori rien, ce qui s’explique selon l’accusation par le mode d’agression, par séduction et autorité, mais sans violences physiques.
Eléments subjectifs, ie les plaintes des enfants ? Oui, et c’était la base du procès, mais avec de sérieuses difficultés. Les enfants s’exprimaient par le langage des signes, et leurs dépositions, recueillies par la police indonésienne, ont ensuite été traduites en français. L’avocat de la défense a dénoncé les doutes résultant de cette double traduction, l’impossibilité d’entendre les enfants et l’absence d’expertise médicale ou psychologique.
L'accusation repose exclusivement sur l’interprétation de ces plaintes, car juridiquement il ne s’agit pas de témoignages, les enfants étant les victimes. On ne disposait pas de témoignages de tiers, les faits reprochés se tenant à huis clos. Une enquête de police conduite sur place donnait des renseignements généraux sur la manière de vivre de l’accusé, décrit comme un nabab, rien de plus…
Le réquisitoire a été développé à partir des plaintes des enfants, décrivant de « scènes différentes, mais qui se recoupent ».
La défense de l’accusé est l’innocence : « Je n'ai jamais violé personne, je pense qu'on leur a suggéré des choses », et il évoque des réseaux locaux motivés par l’esprit de vengeance, ajoutant : « Je suis privé de 90% de mes moyens de défense ».
Son avocate a expliqué que le recueil des dépositions des enfants a été faite « dans des conditions complètement artisanales » (ce qui n’est pas gentil pour les artisans) et dénonçant la manière « complètement univoque » dont les enfants avaient été interrogés, son client étant présenté d’après elle comme le coupable.
L’accusé avait effectué un an et demi en détention provisoire, avant d’être libéré, et il en avait profité pour prendre le large. Il a été arrêté à la frontière franco-italienne… Comportement jamais apprécié, mais qui n’est pas une preuve des agressions.
Il a été condamné à huit ans de prison par la cour d'assises pour viols sur mineurs, sur personne vulnérable, par personne ayant autorité concernant deux enfants, et il a été acquitté pour les faits qui concernaient un troisième.
Alors ?
Je n’en dirais pas davantage de l’affaire. L’accusé peut encore faire appel, et il est toujours présumé innocent.
De plus, si des affaires peuvent être résumées, le jugement suppose un important travail d’analyse, et la cour d’assises y a passé une journée entière, le délibéré intervenant tard dans la nuit.
Je veux simplement souligner deux points qui ressortent de cette affaire :
- un Français qui commet des crimes à l’étranger sur des victimes étrangères peut être jugé en France s’il n’a pas été jugé au pénal à l’étranger, et une décision de classement du parquet est administrative, et non judiciaire ;
- il revient aux juges d’analyser tous les indices probatoires, aussi imparfaits soient-ils, au regard de la situation criminelle qui leur est dénoncée, sans attendre des preuves formelles et malgré les faiblesses objectives des plaintes.
Pour aujourd’hui, je n’en dirai pas plus.
Le procureur Cyrus Vance Eternal Junior