Procès du Carlton : et soudain, la dignité s’est exprimée
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 12/02/2015
Il est là depuis le premier jour, discret, attentif, assis au banc des parties civiles. Un vieux monsieur aux cheveux blancs, qui porte tricot de laine sous son costume et ruban rouge à la boutonnière. C'est son regard apaisant que cherchent les jeunes femmes ex-prostituées lorsqu'elles se lèvent pour venir témoigner à la barre ou qu'elles en reviennent, secouées de larmes. Bernard Lemettre est diacre et délégué régional pour le Nord–Pas-de-Calais du Nid, une association de lutte contre la prostitution et de soutien aux prostituées. Pour la première fois, jeudi 12 février, c'est lui qui a parlé. Et soudain, dans cette salle d'audience si lourde d'impudeur et de vulgarité, la dignité s'est exprimée.
Bernard Lemettre aide depuis quarante ans des femmes à sortir de la prostitution. Il parle crû lui aussi pour raconter la réalité de leur condition. "Un corps de femme, ce n'est pas fait pour être pénétré cinq fois, dix fois par jour. Ce n'est pas cela une femme", dit-il.
De ces neuf jours d'audience, il retient d'abord la honte. "Honte de tous ceux qui sont là et qui ont touché à la prostitution, honte de ceux qui n'osent pas l'avouer. Il suffit de voir cela pour comprendre que la prostitution est bien une atteinte à la dignité des personnes." Bernard Lemettre cite avec fierté ces mots du fondateur de l'association : "Si la prostitution n'est pas faite pour ceux que l'on aime, alors, elle n'est faite pour personne."
C'est lui que Jade est venue voir en 2011 pour lui demander de l'accompagner dans la nouvelle vie qu'elle avait décidé de mener. Il la voit tous les quinze jours depuis. "Nous entrons dans leur vie, nous découvrons que derrière elles il y a une famille, des enfants, des amis. Notre rôle, c'est d'être un passage", dit-il. Sortir de la prostitution, poursuit Bernard Lemettre, "c'est comme sortir d'un tombeau. Personne n'arrive à la prostitution comme ça, par volonté. Il y a toujours des fragilités. Après, il faut réapprendre à vivre avec un corps qui a été pénétré, violé".
A Jade, comme aux autres femmes, il offre "le non-jugement, le temps, la disponibilité. Quand la parole se libère, c'est tout l'être qui se libère". Des raisons de son engagement à leurs côtés, il dit simplement : "Il y a ceux qui gravissent l'Everest ou l'Annapurna. Moi, j'aime gravir la richesse de la personne humaine."
Jade lève la main, le président la convie à la barre. Elle vient se placer juste à côté du vieux monsieur un peu penché, mains jointes, qui lui sourit. Elle dit : "Pour moi, c'est un petit peu un ange gardien." Ce sera aussi cela, grâce à eux, le procès du Carlton.